Allemagne/Pologne : Mgr Bätzing fulmine contre Mgr Gadecki

Source: FSSPX Actualités

Mgr Georg Bätzing et Mgr Stanislaw Gadecki

Mgr Stanislaw Gadecki a adressé au pape François une lettre contre les idées de réforme du Chemin synodal allemand. Mgr Georg Bätzing, évêque de Limbourg, président de la Conférence épiscopale allemande (DBK) et de ce fait co-président du Chemin synodal, lui a répondu vivement.

Une lettre de protestation vigoureuse

Le 27 novembre 2023, Rzeczpospolita a publié une lettre de Mgr Gadecki au Pape, datée du 9 octobre. Il s’y plaint du Chemin synodal (CS) et exprime sa crainte de le voir influencer le Synode mondial. Le quotidien varsovien publie aussi la réponse de Mgr Bätzing, datée du 21 novembre.

La lettre de Mgr Gadecki, archevêque de Poznan et président de la conférence épiscopale de Pologne, a donc été écrite durant le Synode. Elle n’a été rendue publique qu’à la mi-novembre par l’agence de presse catholique polonaise KAI. L’archevêque y critique plusieurs décisions du CS comme étant « absolument inacceptables et non catholiques ».

Comme l’explique l’archevêque, le courrier au Pape a été déclenché par la réception dans un email, le jour de l’ouverture du Synode, d’un document intitulé : Décisions du Chemin synodal allemand de l’Eglise catholique en Allemagne, contenant les textes votés par l’Assemblée synodale allemande. Dans un entretien au Catholic World Report, Mgr Gadecki dit qu’il y a vu « une tentative d’étendre les problèmes allemands à l’ensemble de l’Eglise. »

Un changement dans la politique de l’Eglise

Le premier reproche vise l’inspiration des réformateurs allemands : Mgr Gadecki la voit comme « une révolution inspirée par des idéologies libérales de gauche » plus que par l’Evangile. Et il note que « le point de départ est le principe d’inculturation. L’Eglise doit se rapprocher le plus possible du monde qui, dans sa version libérale-démocratique, est un modèle d’humanisme » selon le CS.

Suit une critique du système démocratique actuel : « où la démocratie fonctionne-t-elle réellement sur la base d’une conception correcte de la personne humaine, par exemple, en respectant le droit à la vie de tout être humain depuis la conception jusqu’à la mort naturelle ? » demande-t-il. Il ajoute : « la démocratie libérale n’est certainement pas le seul bon système ». Il poursuit vigoureusement :

« Le CS demande que l’Eglise adopte comme système celui qui prévaut en Occident, avec (…) une tutelle des laïcs sur le clergé, la transparence des processus de décision, la participation des laïcs à l’attribution des postes ecclésiastiques ou la titularisation des fonctions. Le pouvoir hiérarchique doit être limité et soumis au contrôle des laïcs organisés dans une structure parallèle. »

La bénédiction des unions non-sacramentelles

Mgr Gadecki attaque ensuite fortement les bénédictions de couples non-mariés ou de même sexe. Il se pose la question que les cinq cardinaux ont déjà posée au Pape : « Pourquoi bénir des personnes vivant dans le péché ? » Pour le CS, explique-t-il, la réponse est la demande faite par ces personnes et leur conviction qu’elles ne vivent pas dans l’état de péché.

La raison fondamentale est, comme l’exprime bien l’archevêque de Poznan, que « l’amour justifie tout et rend tout bon. Tout ce qui est l’expression de l’autodétermination est en principe bon et doit être reconnu comme tel par l’Eglise. La reconnaissance signifie ici l’octroi d’une bénédiction. »

Le président de la conférence épiscopale polonaise répond en distinguant entre amour et amour, et cite saint Augustin : « Il y a cependant deux sortes d’amour : “L’amour de Dieu jusqu’au mépris de soi et l’amour de soi jusqu’au mépris de Dieu.” [1] » Il conclut : « L’amour ne justifie donc pas tout et ne rend pas tout bon. Nous traitons chaque être humain avec respect, mais pas chaque choix humain. »

Mgr Gadecki continue avec animation : « les auteurs du document attendent de l’Eglise qu’elle reconnaisse les “unions libres”, les unions civiles, les partenariats, les unions entre personnes du même sexe, etc. comme étant bonnes et menant à la sanctification, en plus du mariage sacramentel. L’acceptation sociale de ces unions doit trouver son expression dans la liturgie de l’Eglise. »

L’archevêque de Poznan avertit : « il est important de se rappeler que, conformément à la dynamique de ce processus observée dans le monde séculier, la légalisation des partenariats civils n’est que la première étape sur la voie du “mariage pour tous” ».

 


[1] Saint Augustin, Cité de Dieu, XIV, 28.

Révision de la doctrine sur le genre et l’homosexualité

Enfin, l’archevêque polonais rappelle que « selon le CS, l’ensemble de l’enseignement de l’Eglise sur le genre devrait être fondamentalement révisé, car il ne correspond pas à la conception que les personnes transgenres ont d’elles-mêmes. La demande comprend une réinterprétation de la Bible. »

Reprenant un point discuté au Synode sur l’autorité doctrinale d’une conférence épiscopale il assène : « Si les conférences épiscopales étaient dotées d’une autorité doctrinale, les thèses susmentionnées seraient considérées comme catholiques et, peut-être, seraient imposées à d’autres conférences, en dépit de leur caractère clairement non catholique. »

Il conclut par un appel au pape François : « je souhaite attirer l’attention du Saint-Père sur ces thèses absolument inacceptables et non catholiques du CS, en espérant que le dépôt apostolique dont Votre Sainteté est le gardien et le dépositaire, restera intact ».

Une lettre d’amères reproches

Le 21 novembre, Mgr Bätzing a répondu à l’archevêque polonais, l’accusant d’un « comportement très peu synodal et peu fraternel » du fait que Mgr Gadecki ne lui a rien dit, lors du Synode à Rome, de la lettre qu’il avait écrite à François sur le CS. Au lieu d’opter pour le dialogue, il a choisi de faire des affirmations « fausses » sur le processus allemand, selon l’évêque de Limbourg.

Ce qui semble blesser le plus le président de la DBK, c’est que Mgr Gadecki mette en doute la doctrine des évêques allemands : « De quel droit le président de la conférence épiscopale d’une Eglise ose juger de la catholicité d’une autre Eglise et de son épiscopat. Je considère cette lettre comme un énorme abus d’autorité. » – Ignorance de l’Histoire de l’Eglise ou aveuglement ?

Mgr Bätzing explique que c’est par hasard que les documents du CS, adressés à tous les évêques du monde, leur ont été expédiés au premier jour du Synode à Rome… Il affirme ensuite que « nulle part dans les décisions du CS la structure hiérarchique de l’Eglise catholique n’est remise en question. Son objectif est de renforcer l’épiscopat et la papauté, et non de les affaiblir. »

Il rappelle le point de départ du CS : « s’attaquer aux conditions systémiques de l’Eglise qui favorisent les abus ». Il ne manque pas de noter une convergence avec le Synode : « nous sommes en plein accord avec le Synode des évêques, qui dit en 1. e) : “Nous avons encore un long chemin (…) qui nécessite de s’attaquer aux conditions structurelles qui ont permis de tels abus”. »

Mgr Bätzing se dit aussi « préoccupé par l’attitude de l’archevêque vis-à-vis de la démocratie moderne qui, outre la reconnaissance de la dignité humaine et des droits de l’homme, accorde une importance particulière aux principes de l’ordre constitutionnel, de la souveraineté populaire, de l’Etat de droit, de la séparation des pouvoirs ».

Cette préoccupation montre la tendance de Mgr Bätzing et du CS à une séparation des pouvoirs dans l’Eglise et une dose de souveraineté populaire, ce qui est précisément le reproche de Mgr Gadecki. De plus prétendre que la structure hiérarchique n’est pas remise en question par le CS est stupéfiant.

En effet, tout récemment un Comité synodal a été formé en Allemagne, chargé de l’application des décisions du CS : l’une d’entre elles est la mise en place de comités synodaux paroissiaux, diocésains ou pour tout le pays, mêlant laïcs et ecclésiastiques. Or le Vatican a plusieurs fois dénoncé les comités diocésains ou pour tout le pays, comme non conformes à la constitution de l’Eglise.

Pour justifier la discussion sur le sacerdoce féminin, l’évêque de Limbourg a beau jeu de citer les Réponses aux Dubia des cardinaux : « une doctrine claire et contraignante sur la nature exacte de la “déclaration définitive” [Ordinatio sacerdotalis] n’a pas encore été pleinement élaborée. Il ne s’agit pas d’une définition dogmatique, même si elle doit être acceptée par tous.

« Personne ne peut la nier publiquement, et pourtant elle peut faire l’objet d’une enquête, comme dans le cas de la validité de l’ordination dans la Communion anglicane. » Réponse que le cardinal Joseph Zen avait dénoncée : « Ainsi, malgré la déclaration définitive, il sera toujours possible de discuter “à l’infini” ! »

Comme il fallait s’y attendre, le président de la DBK cite le § III 15 g du Rapport du Synode quant à la bénédiction des couples de même sexe : « Les catégories anthropologiques que nous avons développées ne sont pas toujours suffisantes pour saisir la complexité des réalités qui émergent de l’expérience ou de la connaissance des sciences et nécessitent d’être affinées et approfondies. »

Ce paragraphe avait été dénoncé par Mgr Gadecki dans l’entretien susmentionné : « L’inclusivité ne s’inscrit absolument pas dans la théologie chrétienne. Elle provient des sciences sociales. (…) Certains théologiens et évêques croient en l’infaillibilité des sciences sociales, et de théories qui disparaîtront bientôt. » Mgr Gadecki vise le Rapport (III, 15, g) dont il dit qu’il « relève soit d’un complexe d’infériorité inconscient, soit d’une approche superstitieuse de la science ».

Conclusion

La critique de Mgr Gadecki est forte et bien ajustée. La réponse de Mgr Bätzing est souvent habile, mais – l’auteur s’en rend-il compte ? – elle justifie entièrement la mise en garde et la dénonciation au Pape de l’archevêque de Poznan.

Il faut en outre soigneusement noter que la réponse de Mgr Bätzing a été écrite près d’un mois après la réception par l’épiscopat allemand de la note officielle du cardinal Pietro Parolin avertissant la DBK que les questions de l’ordination des femmes et de la doctrine sur les actes homosexuels n’étaient pas discutables, en citant entre autres Ordinatio sacerdotalis.

Cette lettre de l’évêque de Limbourg est pour lui est une occasion de montrer ce qu’il pense de cette note du Secrétaire d’Etat. Visiblement, le message ne semble pas avoir été reçu, ou plutôt, il n’a eu aucun effet. L’autorité du cardinal Secrétaire d’Etat en sort éreintée.