France : la guerre contre les crèches de Noël

Source: FSSPX Actualités

Depuis le début du mois de décembre, dans plusieurs villes de France, des actions juridiques ont été lancées par des partisans de la laïcité contre les crèches installées dans des lieux publics.

Ainsi la commune de Béziers dont le maire, Robert Ménard (sur la photo), a fait placer une crèche de Noël dans sa mairie. Sur demande du Front de Gauche, le préfet de l’Hérault a enjoint au maire de Béziers de retirer cette crèche, ce que ce dernier refuse. En Vendée, la même haine s’est manifestée après l’installation d’une crèche à l’entrée du Conseil Général, crèche retirée après décision de justice du tribunal administratif de Nantes, à la suite d’une plainte de La Libre Pensée. Le 12 décembre, le Conseil Général a décidé de faire appel de cette décision. 

La hiérarchie catholique se contente d’apaiser le débat. Mgr Bernard Podvin, porte-parole de la Conférence des évêques de France (CEF) a assuré que l’Église respectait la neutralité de l’Etat, mais il a signalé qu'il fallait « être aveugle pour ne pas discerner que la crèche touche la population d’un point de vue affectif bien plus large que sa signification religieuse. » Le 5 décembre, l’Observatoire de la Laïcité a rappelé que la loi de séparation de l’Église et de l’État de 1905 interdisait la présence de signes religieux dans les lieux publics, tout en relevant qu'il appartenait aux juges d’examiner chaque situation, au cas par cas, car des traditions locales culturelles peuvent être des arguments juridiques. Mais, en France, aucune jurisprudence n'existe encore à ce sujet.

Lors d’une conférence de presse au siège du Parti Radical de Gauche (PRG), la sénatrice Françoise Laborde a critiqué l’Observatoire de la Laïcité où elle siège avec trois autres députés et sénateurs : « C’est mou, (…) il en ressort des communiqués creux. Au lieu de servir d’aiguillon, l’Observatoire met le couvercle sur les problèmes », explique-t-elle, se disant « insatisfaite » du travail de cette instance. Comme elle, d’autres membres de l’Observatoire estiment que cette institution, mise en place par François Hollande en avril 2013, minimise les menaces que font peser sur le pacte républicain les poussées fondamentalistes, notamment venant de l’islam. » Aussi, plutôt que s’attaquer énergiquement au fondamentalisme islamique, le Grand Orient de France (GOF) préfère formuler, le 9 décembre — décrété « journée de la laïcité » en souvenir de la loi de séparation du 9 décembre 1905 —, 25 propositions pour un « renforcement » de la laïcité. Sont ainsi préconisées : la modification de la Constitution pour y inscrire les deux premiers articles de la loi de 1905, la sortie progressive du régime concordataire en Alsace-Moselle…

Dans Famille chrétienne du 8 décembre, Jean Paillot, avocat au barreau de Strasbourg et expert au Conseil de l’Europe, expliquait que par l’ "arrêt Lautsi", qui concernait la présence de crucifix dans les écoles publiques d’Italie, « la Cour européenne a précisé qu’une ‘règlementation donnant à la religion majoritaire du pays une visibilité prépondérante’ ne suffit pas à caractériser une atteinte au principe de neutralité. Il en va de même lorsqu’il s’agit d’une simple tradition ou d’un usage. » Selon Jean Paillot : « La conséquence est limpide : tout comme un crucifix dans une école publique d’un pays de tradition chrétienne, une crèche ou un sapin de Noël dans une mairie ou un Conseil général français ne sont pas contraires au principe de neutralité ».

Dans l’hebdomadaire français Le Point du 9 décembre, l’essayiste Jean-Paul Brighelli dénonce « ce que cache l’interdiction des crèches de Noël ». Pour lui, ceux qui, au nom de la laïcité, s'offusquent des crèches dans les lieux publics souhaitent en réalité éradiquer nos traditions pour imposer le multiculturalisme : « Oh, comme ils sont malins ! Ils se drapent dans les oripeaux de la laïcité pour mieux imposer une société multiculturaliste ! Ils prétendent agir au nom de la loi de 1905, quand leur agenda personnel a l'ambition d'ouvrir la France au communautarisme, dont l'avènement rampant marque la dilution de notre société ! (...) Car les ‘ayatollahs de la laïcité’ (l'expression est de Robert Ménard) qui s'insurgent, en Vendée et ailleurs, contre cette tradition populaire qui ne fait de mal à personne et qui alimente l'industrie du santon, à Aubagne et Marseille, ont peut-être en tête un agenda tout autre que le strict respect de la loi de 1905. (...) Désormais, l'islam aura le droit de revendiquer un même traitement, en affirmant qu'il est la tradition culturelle de demain — puisqu’aussi bien on aura éradiqué les traditions culturelles d'hier. » Et de conclure : « Il faut pour en finir proclamer que, oui, la France est soluble dans le communautarisme et le multiculturalisme. Oui, soluble, et bientôt dissoute. »

Dans Le Figaro du 5 décembre, sous le titre « La guerre contre Noël est déclarée », le sociologue Mathieu Bock-Côté montre que l’opposition à la présence des crèches dans l’espace public existe depuis de nombreuses années outre-Atlantique : « Cette querelle n'est pas nouvelle. Surtout, elle n'est pas exclusivement française. En fait, elle traverse, depuis plus de vingt ans, toutes les sociétés occidentales. Elle a d'abord été nommée aux Etats-Unis, où on parle de War on Christmas (la guerre contre Noël), mais elle se déploie ailleurs. Au Québec aussi, depuis une dizaine d'années, elle est devenue rituelle à partir du 1er décembre, même si son intensité varie au fil des ans. « On peut en évoquer certaines manifestations. En 2007, l'Assemblée Nationale avait rebaptisé le sapin de Noël, qu'elle illumine chaque année, ‘arbre des festivités’. En 2009, dans un des quartiers les plus ‘branchés’ de Montréal, un étrange ‘Joyeux décembre’ avait remplacé le traditionnel ‘Joyeux Noël’, déjà déclassé par le ‘Joyeuses fêtes’, moins suspect de reconduire la préférence pour le christianisme dans l'espace public. Cette initiative venait de l'association des commerçants du quartier. D'autres exemples viennent à l'esprit. En 2006, Patrimoine Canada, l'institution responsable de la culture au gouvernement fédéral canadien, avait proposé de remplacer dans ses communications internes la référence à Noël par celle, apparemment plus consensuelle, au solstice d'hiver. Au gouvernement fédéral, encore une fois, en 2011, la direction avait voulu retirer le sapin de Noël des bureaux de Service Canada parce qu'il s'agissait apparemment d'un symbole discriminatoire. « L'entreprise se mène aussi dans les écoles, où les chants de Noël, souvent, sont censurés des chorales de Noël. Il s'agit, en fait, d' éradiquer les dernières traces du christianisme dans l'espace public, pour le neutraliser. Plus largement, on effacera progressivement tout ce qui peut lier les institutions publiques à une civilisation particulière, à une mémoire historique particulière. C'est en extrayant chaque société occidentale de son histoire qu'on l'ouvrira vraiment à la différence et à l'altérité. « Mais on aurait tort de voir dans cette entreprise la seule œuvre d'un laïcisme radicalisé. Si l'argumentaire laïciste sert encore à justifier cette censure publique du christianisme, c'est autre chose que son carburant traditionnel qui l'alimente. Plus souvent qu'autrement, les symboles de Noël ne sont pas attaqués d'abord en tant que symboles religieux, mais en tant que symboles identitaires de la ‘majorité chrétienne’ dont il faudrait contester les privilèges symboliques. C'est en fait la querelle du multiculturalisme qui se révèle. Dans la perspective du multiculturalisme, ce qui était autrefois considéré comme la nation, avec son identité culturelle, historique et civilisationnelle n'est plus qu'un communautarisme parmi d'autres dont il faudrait contester les privilèges. On veut déconstruire la culture nationale pour mieux accueillir ceux qui arrivent. On oublie pourtant une chose : si toutes les convictions sont naturellement égales devant la loi, toutes les religions ne sont pas égales devant l'identité. « Mais pour les multiculturalistes, la démocratie ne sera vraiment qu'en intégrant publiquement les symboles identitaires et religieux des différentes communautés qui se sont implantées par l'immigration. La preuve en est que ce zèle suspect pour déchristianiser l'espace public s'accompagne souvent d'un militantisme pour favoriser la reconnaissance de l'islam. On se souvient d'ailleurs du rapport Tuot (2013) qui poussait la France à assumer publiquement sa part arabo-orientale. La complaisance devant les différentes revendications identitaires et religieuses associées à l'islam témoigne de cet état d'esprit. On y verra autant d'occasion d'en finir avec l'occidentalocentrisme et le christianocentrisme. On invitera alors les institutions publiques à ajuster leurs horaires, leurs menus à la cantine, leurs formulaires, pour les adapter aux différentes minorités religieuses. L'héritage religieux du pays d'accueil est systématiquement négatif, celui des communautés issues de l'immigration est systématiquement positif. »

Dans Le Figaro du 8 décembre, sous le titre « Ces petits santons qui mettent en péril le consumérisme », Gaultier Bès, professeur agrégé de lettres modernes, indique un autre aspect de la guerre faite aux crèches : « En somme, dans ce nouvel épisode du conflit de civilisation entre les partisans de l'indifférenciation et ceux de l'enracinement, dans ces petites crèches exposées publiquement, ce qui pose problème, au-delà de l'amnésie collective qui passe désormais par une censure étatique, un ‘trou de mémoire’ orwellien, ce qui choque vraiment les complices et les agents de l'argent-roi, c'est qu'on y voit déjà Jésus blasphémer nos faux dieux. »