Le chemin synodal vers une Eglise nationale allemande (5) : le rôle du ZdK

Source: FSSPX Actualités

L'Assemblée générale du ZdK en mai 2017 à Berlin

Si la décision du « chemin synodal » a été prise par la Conférence épiscopale allemande (DBK), elle n’a été possible qu’avec l’accord du Comité central des catholiques allemands (ZdK). Ce dernier est en effet un élément essentiel du processus : par sa représentation, par ses moyens matériels, mais surtout par sa coresponsabilité, selon le terme qu’il revendique. 

Avant de délimiter le rapport entre les deux entités qui réaliseront ce chemin synodal et le mécanisme de leur collaboration, il est nécessaire de connaître la nature du ZdK à travers son histoire. 

La naissance d’une organisation laïque catholique en Allemagne 

La révolution de mars 1848 ouvrit aux associations confessionnelles une certaine liberté d’action qui leur était jusqu’alors refusée. Le 23 mars 1848, Adam Franz Lennig, chanoine de Mayence, fonde l’Association Pie (Piusverein) – du nom du pape Pie IX alors régnant – pour la liberté religieuse. Cette initiative est immédiatement reproduite un peu partout, de sorte qu’une chaîne de Piusvereine se crée dans toute l’Allemagne. 

Le mouvement est si étendu que, dès octobre 1848, un grand rassemblement est organisé à Mayence : c’est le premier Katholikentag, la Journée catholique. Les associations s’unissent alors en une grande union : l’Association catholique allemande. Celle-ci envoie aussitôt une députation à l’Assemblée nationale pour protester contre la suppression des Jésuites et pour demander la liberté de l’enseignement catholique. Le succès obtenu sur ces deux points connaît un grand retentissement. 

Le développement rapide du mouvement associatif et l’organisation annuelle du Katholikentag exigèrent une certaine centralisation. En 1868, un Comité central fut élu pour la préparation des Journées catholiques et la mise en œuvre de leurs résolutions. La direction en fut confiée au prince Charles VI de Löwenstein-Wertheim-Rosenberg qui l’assura pendant 30 ans. Ce noble allemand, membre du Reichstag pour le Zentrum, parti du centre catholique, marié deux fois et deux fois veuf, prit le froc dominicain en 1907 et fut ordonné prêtre en 1908. 

Clemens Heidenreich Droste lui succéda jusqu’en 1920 et eut pour successeur le prince Aloys de Löwenstein-Wertheim-Rosenberg, fils du prince Charles VI, en poste jusqu’en 1949. Sous le régime hitlérien le comité fut réprimé et les Journées catholiques suspendues. Elles ne reprirent qu’en 1948. Durant cette période, pour pallier la suspension du comité central, des groupements catholiques se formèrent à l’échelle de la paroisse, du doyenné et de la ville, qui furent intégrés dans des comités diocésains. 

La nouvelle forme de l’après-guerre : le ZdK 

A la fin de la guerre, le comité central dut unir et coordonner les comités diocésains au niveau national avec les associations. Ce mouvement d’intégration dura huit ans (1945-1953) : il fallut en effet se mettre d’accord sur la place du pouvoir de l’épiscopat sur le Comité central. L’on retrouve ici la difficulté usuelle alors posée par le statut de l’Action catholique. En 1952, en présence du cardinal Josef Frings, président de la Conférence épiscopale, le Comité central fut établi selon des statuts élaborés par le président du Comité central et le président de la Conférence épiscopale. 

Dès le premier paragraphe était précisé que « le Comité central des catholiques allemands est l’union des forces actives dans l’apostolat laïc de l’Eglise catholique en Allemagne, soutenue par l’autorité des évêques ». 

A partir de 1950 les Katholikentag se réunissent à nouveau tous les deux ans, dans des villes différentes, sous la responsabilité du Comité central du ZdK, désormais dirigé par le prince Charles VII de Löwenstein-Wertheim-Rosenberg, fils du prince Aloys. Il restera en poste jusqu’en 1968. 

L’émancipation des laïcs (1967) 

Au concile Vatican II, la nouvelle conception de l’Eglise bouleverse le rôle et la place des laïcs. Le décret Apostolicam actuositatem sur l’apostolat des laïcs déclare que : « L’apostolat des laïcs ne peut jamais manquer à l’Eglise, car il est une conséquence de leur vocation chrétienne » (n°1). Le texte explique que l’apostolat laïc ne provient pas du clergé comme détenteur du ministère ordonné, mais directement du Christ ou de l’union des laïcs « avec le Christ Tête » et « comme participation à la mission salvifique de l’Eglise elle-même » (nos 2 et 3). 

Le ZdK sort transformé de ce bouleversement. Sa définition est renouvelée : les Statuts de 1952 parlaient d’une « union soutenue par l’autorité des évêques », les nouveaux Statuts de 1967 décrivent une « union reconnue par la Conférence épiscopale allemande ». L’union soutenue, et donc dépendante, est devenue union indépendante et responsable de l’apostolat laïc. En conséquence, les représentants diocésains du ZdK ne sont plus nommés par leurs évêques respectifs, mais par le conseil diocésain ou son équivalent (Statuts 1967, § 4). 

Les membres nommés par l’Assemblée plénière n’ont plus besoin d’approbation épiscopale (Statuts 1967, § 4). De plus, la compétence et la responsabilité des départements vont passer des évêques au secrétariat général du ZdK, nouvellement créé (Statuts 1967, § 11). Enfin, le travail du ZdK ne dépend plus de l’accord explicite des évêques et ses décisions ne sont plus soumises à leur confirmation. Par conséquent, la nouvelle tâche du ZdK est de conseiller les évêques sur les questions de vie sociale et ecclésiale (Statuts 1967, § 2b). 

Friedrich Kronenberg, le premier secrétaire général du comité, résume dès 1970 cette évolution : en un siècle d’histoire, le ZdK « a pris conscience de la valeur de la pluralité des structures. Il sait, par sa connaissance de l’intégrisme ecclésiastique (sic), la valeur d’une certaine autonomie de son travail propre. C’est pourquoi, aujourd’hui, le ZdK a pour tâche particulière de veiller à ce qu’une unification structurelle de l’Eglise ne soit pas réalisée selon des idées d’unité mal comprises, mais qu’en cette matière aussi une saine pluralité soit respectée ».

Dr Thomas Stenberg, président du ZdK

La marque du synode de Wurtzbourg (1975) 

Le synode de Wurtzbourg (1971-1975) provoqua une nouvelle mise à jour des statuts, d’autant que fut décidée la tenue d’une réunion bisannuelle d’une Conférence conjointe entre la DBK et le ZdK – une manière de continuer le synode de façon quasi permanente. D’autres changements intervinrent après la réunification de l’Allemagne en 1990, mais aussi en 1995 et en 2001 pour autoriser des étrangers à être membres du ZdK.  

A la faveur des versions successives de ses Statuts, le ZdK affirmait de plus en plus son autonomie. Ainsi, dans celle de 1975, la responsabilité et l’indépendance de ses décisions sont-elles clairement exprimées : 

« 1. Le Comité central des catholiques allemands est une association de représentants de conseils diocésains et d’associations catholiques ainsi que d’institutions d’apostolat laïc et d’autres personnalités de l’Eglise et de la société. 2. C’est l’organe reconnu par la Conférence épiscopale allemande au sens du décret du Concile sur l’apostolat des laïcs (n°26) pour la coordination des forces de l’apostolat laïque et pour la promotion de l’activité apostolique de l’Eglise. 3. Les membres du Comité central prennent leurs décisions sous leur propre responsabilité et sont ainsi indépendants des décisions d’autres organes. » (§ 1 Statuts 1975). 

Que reste-t-il de catholique dans cette institution ? Essentiellement deux points : 1) Toute modification des statuts élaborés par l’Assemblée plénière nécessite l’approbation de la Conférence épiscopale d’Allemagne. 2) Le président élu par l’Assemblée plénière doit être confirmé par la Conférence épiscopale. Ce dernier point n’est pas seulement théorique, puisqu’il est arrivé au moins une fois qu’un président préconisé ne soit pas agréé par la DBK. 

Une espèce de parti politique « catholique » 

Aujourd’hui, le ZdK est devenu la structure officielle qui assure une véritable représentation des catholiques dans l’espace public allemand. Il participe régulièrement aux consultations des partis politiques et intervient dans les débats de société. Il est ainsi en quelque sorte le parti politique de l’Eglise, mais « laïquement » indépendant. 

Cette évolution se manifeste d’une part à travers la personnalité des dirigeants du ZdK. Depuis 1968, les sept présidents qui se sont succédé sont tous issus du milieu politique, spécialement de l’Union chrétienne démocrate d’Allemagne (CDU), ou de son jumeau bavarois, l’Union chrétienne sociale (CSU).  

D’autre part, selon les Statuts de 2001 actuellement en vigueur, le ZdK est composé d’associations et d’institutions catholiques, de conseils diocésains mais aussi de personnalités issues du monde de la science, de l’Eglise et de la société. Les associations désignent 97 délégués, les conseils diocésains 84 et, ensemble, ils élisent 45 personnalités. Aujourd’hui, presque la moitié de ces personnalités sont des membres actifs de partis politiques : CDU, CSU, les Verts et le parti social-démocrate (SPD). Cela donne une idée des tendances des membres du comité, puisque « tels élus, tels électeurs ». 

Cette composition explique sans doute les positions très avancées du ZdK sur la morale catholique. En voici quelques exemples. 

En 1998, le Comité soutient des groupes opposés à l’encyclique Humanae Vitae, et notamment l’association Donum vitae, qui délivre l’attestation d’entretien préalable avant tout avortement et qui fut interdite par Jean-Paul II. Ce soutien perdure encore. En novembre 2012, le ZdK propose l’admission des catholiques divorcés et remariés à la communion. En mai 2015, il préconise la bénédiction des couples homosexuels. 

En décembre 2017, le ZdK adopte les sept “Thèses d’Osnabrück” sur la question des "Femmes dans les offices ecclésiastiques". Ces thèses, élaborées au cours d’un congrès œcuménique, affirment que « ce n’est pas l’accès des femmes aux ministères et offices de l’Eglise qui doit être justifié, mais leur exclusion ; la question de savoir si Dieu a donné une règle immuable pour désigner le titulaire d’un office ecclésiastique peut et doit rester ouverte ». En 2019, la demande d’accès des femmes à toutes les fonctions ecclésiastiques est réaffirmée. 

La participation du ZdK au chemin synodal 

Les 23 et 24 novembre 2018, l’Assemblée plénière du ZdK émet une résolution portant sur l’étude MHG (voir l’article précédent) et intitulée : “Une action commune résolue, maintenant !”. Cette résolution déplore la timidité de la DBK et l’insuffisance radicale des mesures prises à Fulda deux mois plus tôt. Elle ne craint pas d’affirmer : 

« Les structures de pouvoir ecclésiastiques et cléricalistes internes doivent être rapidement démantelées, car le problème réside dans le système ! (…) Il a enfin besoin d’être changé. C’est pourquoi nous exigeons : 

- La séparation de l’exécutif et du judiciaire en droit canonique. Nous exigeons une juridiction administrative ecclésiastique indépendante sur le territoire de la Conférence épiscopale allemande. 
– La participation égale des laïcs et des personnes consacrées à la direction de l’Eglise afin de favoriser une totale transparence et de contrecarrer la cléricalisation dénoncée par le pape François. 
– L’accès des femmes à toutes les fonctions ecclésiastiques afin de les placer sur un pied d’égalité avec les hommes. 
– L’abolition du célibat obligatoire. 
– La reconnaissance des multiples formes de vie et réalités de vie dans la morale sexuelle de l’Eglise. [Entendez : accepter tout le programme LGBT.] 
– La reconnaissance de l’autorité décisionnelle de toutes les personnes baptisées et consacrées à tous les niveaux de l’Eglise. 

« Nous appelons les évêques allemands à prendre l’offensive, avec des laïcs engagés (femmes et hommes), entre autres dans les commissions de coresponsabilité pour discuter des questions à venir et en tirer des conclusions. Le ZdK est prêt à s’engager dans le processus de réforme nécessaire. Mais il est inutile d’offrir au peuple de Dieu une thérapie lénifiante et apaisante. Ce qu’il nous faut maintenant, c’est une action commune courageuse et orientée vers des objectifs ! » Ces demandes furent présentées à la DBK lors d’une conférence commune.

Lorsque la décision de lancer un chemin synodal fut annoncée le 13 mars 2019 à Lingen, le ZdK avait été consulté au préalable. Son président, Thomas Sternberg, n’accepta d’y participer qu’à la condition expresse que le processus soit « contraignant », ainsi que le précise le communiqué de presse du ZdK daté du 14 mars 2019. Le 22 mars, le Présidium du ZdK apportait les précisions suivantes : 

« Dans les forums [préparatoires] du “Chemin synodal”, des personnes doivent être appelées à préparer un format contraignant pour la coopération en matière de prise de décision. Il ne devrait pas y avoir de double structure en ce qui concerne la Conférence conjointe, mais plutôt une clarification de la manière dont les processus autour du “Chemin synodal” seront liés à la Conférence conjointe. Le ZdK devrait participer à ce processus sur un pied d’égalité. Le règlement intérieur doit être établi conjointement par le ZdK et la DBK. » 

Enfin, l’Assemblée plénière du ZdK des 10 et 11 mai 2019 a entériné cette décision : 

« L'Assemblée plénière du ZdK se félicite de la décision de la DBK de former avec le ZdK un "chemin synodal" contraignant, et réaffirme la résolution du 24 novembre 2018 : "Une action commune résolue, maintenant !”. Il charge le Présidium de poursuivre la coopération avec la DBK sous une forme contraignante et sous une direction commune. L'Assemblée générale charge le Présidium de créer un forum parallèle aux forums déjà proposés par la DBK sur le thème de “l'accès des femmes aux ordinations”». 

Sans erreur possible, les catholiques engagés en Allemagne sont déjà sur la voie d’une nouvelle Eglise nationale, où ils avancent à grand pas. Ils se considèrent comme les pionniers d’une transformation radicale de la constitution de l’Eglise, devenue obsolète à leurs yeux. L’histoire leur donnera raison, se persuadent-ils. La synodalité leur sert d’arme de destruction massive de la hiérarchie sacrée pour aboutir à une démocratisation totale de l’Eglise. 

Le synode sur l’Amazonie pourrait n’avoir été qu’un ballon d’essai à côté de ce qui se prépare sous la houlette de la DBK et du ZdK. 

A suivre…