Un temps pour changer… encore et toujours ! (1)

Source: FSSPX Actualités

Le pape François a fait paraître le 2 décembre 2020 un livre intitulé Un temps pour changer (Flammarion, 224 pages), au sous-titre éloquent : Viens, parlons, osons rêver

L’ouvrage est le fruit de ses entretiens avec le journaliste britannique Austen Ivereigh, qui est également son biographe (François le réformateur – De Buenos Aires à Rome, Paris, L’Emmanuel, 2017, 532 pages).

Eloge de la synodalité contre la polarisation

Dans le prolongement des encycliques Laudato si’ (2015) et Fratelli tutti (2020), le livre est présenté comme une réponse du pape à la crise du monde moderne, révélée par la pandémie de la Covid-19.

Il est l’occasion de revenir sur tous les thèmes qu’affectionne François, en particulier la synodalité, présentée en termes lyriques : « Dans la dynamique d’un synode, les différences sont exprimées et polies jusqu’à ce que l’on parvienne, sinon à un consensus, du moins à une harmonie qui conserve les fines nuances de ses différences. C’est ce qui se passe en musique : avec sept notes, leurs dièses et leurs bémols, on crée une harmonie qui permet de mieux articuler les singularités de chaque note. C’est là que réside sa beauté : l’harmonie qui en résulte peut être complexe, riche et inattendue. Dans l’Eglise, c’est l’Esprit-Saint qui crée cette harmonie. » (p.165-166)

Variations sur le thème connu de « l’unité dans la diversité » ou de « l’unité plurielle » …

A cette harmonie synodale, le pape oppose une Tradition, à ses yeux, fixe et rigide : « La Tradition n’est pas un musée, la vraie religion n’est pas un congélateur (sic), et la doctrine n’est pas statique mais elle grandit et se développe, comme un arbre qui reste le même mais qui grandit et porte toujours plus de fruits. Certains prétendent que Dieu a parlé une fois pour toutes – presque toujours exclusivement de la manière et sous la forme que ceux-là connaissent déjà bien. » (p.118)

La notion d’« évolution homogène du dogme », où la compréhension du dépôt révélé peut évoluer mais non son contenu (nove sed non nova), semble échapper à François, tout comme l’idée que la Révélation est close à la mort du dernier apôtre, saint Jean.

Au nom de la synodalité, le pape dénonce ce qu’il appelle la « polarisation », c’est-à-dire l’attachement à une vérité immuable qui transcende les points de vue personnels. Il invite à dépasser les divisions, et la crise actuelle favorise, selon lui, un « débordement » qui doit amener à ébranler toutes les fausses certitudes et permettre au monde de sortir meilleur de cette période difficile.

En toute candeur, il avoue : « Mon souci en tant que pape a été d’encourager de tels débordements au sein de l’Eglise, en revigorant l’ancienne pratique de la synodalité. » (p.165)

La synodalité, explique le pape, est un remède contre l’esprit de conflit et les polarisations stériles. Et cela vaut au-delà de l’Eglise : « au lieu de se laisser piéger dans le labyrinthe de l’accusation et de la contre-accusation », les hommes doivent « s’engager dans le conflit et le désaccord » afin de trouver « une nouvelle pensée qui peut transcender cette division » (p.158). « Cette approche synodale est une chose dont le monde a maintenant grand besoin » (p.168), insiste-t-il.

Pour François, la synodalité est une recherche, au sein de l’Eglise, de « l’harmonie qui permet de mieux articuler les singularités ». Chaque peuple « fait l’expérience du don de Dieu selon sa propre culture, et en chacun d’eux l’Eglise exprime sa véritable catholicité et la beauté de ses nombreux visages différents » (p.167, voir à ce propos la notion d’« Eglise polyédrique » chère à François).

Cela demande des médiateurs et c’est, à ses yeux, le seul chemin qui mène à une véritable réconciliation. Il donne un exemple profane de la synodalité qu’il cherche à promouvoir toujours plus : l’Union européenne qui, par son projet originel mais aussi par son récent plan de sauvetage contre le coronavirus, tente « d’harmoniser les différences dans le cadre d’un effort global de recherche de l’unité » (p.169).

Les fruits escomptés du processus synodal

Dans l’Eglise, François rappelle les fruits qu’il a observés lors des trois synodes de son pontificat – sur la famille, les jeunes et l’Amazonie – fruits qui sont d’abord issus, selon lui, de la sagesse du peuple de Dieu, mais aussi d’une expérience de conversion propre au processus synodal.

Il faut se laisser déborder par l’Esprit-Saint : « Notre Dieu est un Dieu de surprises, toujours en avance sur nous. » (p.189) – On sait que, depuis Vatican II, la dynamique des groupes de pression est commodément identifiée à l’action du Saint-Esprit ; le pape montre ici qu’il est bien dans la droite ligne du Concile.

Contre les polarisations stériles et l’esprit de conflit qui animent le monde et l’Eglise, le pape propose comme remède cette voie synodale, qui n’est pas sans rappeler le « chemin synodal » dans lequel se sont engagés les évêques allemands depuis plus d’un an (voir le dossier complet que lui a consacré FSSPX.Actualités).

C’est dans cette perspective qu’il éclaire la notion de « discernement » sur laquelle il revient si souvent : il faut quelquefois faire un compromis, explique-t-il, « c’est même parfois la seule chose que tu peux faire », mais un compromis est « une solution temporaire, un modèle d’attente, qui permet à une situation de mûrir au point de pouvoir être résolue par un chemin de discernement, au bon moment, en cherchant la volonté de Dieu » (p.52).

François s’en prend à l’expression « valeurs non négociables », soulignant que toutes les vraies valeurs sont non négociables (p.108), mais il tient à rappeler que, face aux « critères nobles mais abstraits », il faut appliquer le « discernement », car « on débat des concepts, mais on discerne le réel » (p.112).

Il condamne un « quiétisme existentiel » – origine des fondamentalismes – qui ferme la porte à la discussion, car « une pensée féconde doit toujours rester inachevée afin de laisser la place à un raisonnement ultérieur » (p.115). Ces forteresses de certitude, dans l’Eglise en particulier, sont à l’origine de l’allergie du pape argentin pour « les moralismes et autres “-ismes” » (p.116).

Un exemple éclairant de synodalité « débordante » – aux yeux de François – est fourni par le synode sur la famille, où il fut question de l’accès à la communion des divorcés « remariés ». Le pape déplore que les médias aient alors présenté l’Eglise comme devant soit « assouplir ses règles », soit « maintenir sa position stricte », établissant ainsi un conflit « stérile » que le synode cherchait précisément à dépasser.

Il salue le « débordement » opéré par le cardinal autrichien Christoph Schönborn, rappelant qu’aucune règle générale ne pouvait s’appliquer à toutes les situations. Cela a permis au synode de « s’accorder sur la nécessité d’un discernement au cas par cas ». « Il n’était pas nécessaire de changer la loi de l’Eglise, mais seulement la manière dont elle était appliquée » (p.179), observe François avec une satisfaction consternante.

A suivre...