L’influence de la théologie de la libération en Amérique du Sud
Cardinal Claudio Hummes, préfet de la Congrégation pour le clergé
Le voyage de Benoît XVI au Brésil a été l’occasion de plusieurs déclarations sur la théologie de la libération. Le pape a affirmé lors de sa conférence de presse dans l’avion qui le conduisait à Sao Paolo que la situation de la théologie de la libération avait profondément changé avec le changement de la situation politique dans le continent sud-américain, et que désormais, aux yeux de tous, ces « millénarismes fragiles » étaient « erronés ». Mais les entretiens accordés à la presse par diverses personnalités religieuses sont loin d’être unanimes sur ce sujet.
Dans un article publié par le quotidien brésilien La Folha de S. Paulo, le 9 mai 2007, le cardinal Claudio Hummes, préfet de la Congrégation pour le clergé, s’est exprimé clairement contre la théologie de la libération « qui prétend être l’expression de l’Eglise des pauvres, et qui a commencé à utiliser l’analyse marxiste, soutenant que c’est une ligne d’analyse scientifique, alors qu’au contraire elle est idéologique et athée ».
Comme en réponse aux propos du cardinal Hummes, l’archevêque de Tegucigalpa, au Honduras, le cardinal Oscar Rodriguez Maradiaga a accordé un entretien à Famiglia Cristiana du 13 mai. Il y défend la théologie de la libération, estimant que le cardinal Ratzinger l’avait encouragée. « Une confrontation idéologique a été provoquée sur la théologie de la libération », déclare-t-il, reconnaissant toutefois « qu’il y avait eu quelques problèmes doctrinaux ». « Mais 80 % de la théologie de la libération est l’option et le travail pour les pauvres. Et cela continue », estime-t-il. « Aucune Eglise en Amérique latine n’a oublié que le problème principal est l’augmentation de la pauvreté et le manque d’efforts pour parvenir à une plus grande justice sociale ». « La théologie de la libération n’est pas morte, parce que personne ne parle de choses extravagantes, mais seulement de l’Evangile », ajoute le cardinal hondurien. « Et aujourd’hui, la doctrine sociale de l’Eglise nous enseigne ce point de vue ».
Selon lui, le cardinal Ratzinger n’a jamais été « un homme fermé » sur la question. Et de mentionner la rencontre de 1997, en Allemagne, entre le cardinal Ratzinger et Mgr Bertone - alors respectivement préfet et secrétaire de la Congrégation pour la doctrine de la foi - et plusieurs théologiens de la libération, rencontre qui « fut un dialogue ouvert ». A cette époque, Mgr Maradiaga était président de la Conférence des évêques d’Amérique latine. D’après lui, le cardinal Ratzinger « a toujours encouragé la théologie de la libération ». « Il a seulement discuté quelques problèmes doctrinaux », mais qui « ne sont pas le cœur » de cette théologie.
Au sujet de l’éventuelle béatification d’Oscar Romero, le cardinal Maradiaga révèle que Benoît XVI aurait fait « une enquête approfondie sur ses écrits » et qu’il n’y aurait « rien trouvé de dangereux pour la doctrine ».
Dans un entretien avec Sergio Ferrari de l’Apic, publié le 7 mai, le contestataire ultra-progressiste Leonardo Boff considère que l’évolution à gauche des gouvernements du continent sud-américain est à porter au crédit de la théologie de la libération. « Le fait nouveau, déclare-t-il, c’est que nous vivons un processus démocratique de centre-gauche dans quasiment tous les pays du continent. Il y a une émergence des masses, fruit d’une nouvelle conscience historique, dans une étape de maturité croissante. Aujourd’hui, aspect grandiose de la situation, il existe des centaines de mouvements populaires qui dialoguent avec les pouvoirs publics et font pression sur les gouvernements, en les contraignant à impulser des politiques sociales en leur faveur. Nous vivons un autre type de démocratie enrichie par des sujets historiques, absents auparavant et maintenant très actifs. Ce phénomène social, par exemple entre autres en Bolivie, en Equateur et au Brésil compte avec une grande participation de l’Eglise de la libération, qui depuis 50 ans arbore ces mêmes bannières, aujourd’hui victorieuses. La théologie de la libération a aidé à consolider ces avancées, comme le reconnaît publiquement le président équatorien Rafael Correa. Plusieurs ministres de Lula viennent de ce secteur. Le triomphe de cette théologie est aujourd’hui très clair aussi bien dans le cadre politique que dans les espaces ecclésiaux ».
A la veille du voyage de Benoît XVI au Brésil, le cardinal Tarcisio Bertone avait rappelé que l’Eglise faisait de la lutte contre la pauvreté en Amérique latine l’une de ses priorités. Le secrétaire d’Etat du Saint-Siège s’était exprimé dans un long entretien accordé au mensuel italien 30 Giorni, le 8 mai 2007. « L’Eglise n’oublie pas les pauvres », déclarait-il estimant que, sans cela, « elle irait contre son fondateur, Jésus ».
Considérant ensuite le pouvoir politique au Brésil et le fait que, ces dernières années, les élections ont été remportées par des partis de gauche, le secrétaire d’Etat du Saint-Siège soulignait que « si les gouvernements de gauche font quelque chose de gauche (…), s’ils se préoccupent de favoriser les classes les plus humbles, de répartir plus équitablement les terres afin qu’elles soient cultivées plus équitablement, s’ils se préoccupent d’améliorer l’assistance sanitaire et le système éducatif, s’ils s’engagent à mettre en oeuvre des politiques de l’emploi qui détournent les jeunes du trafic de drogue et freinent le phénomène de l’émigration (…), si, en somme, ils font toutes ces choses, ces gouvernements ne peuvent pas ne pas recevoir les applaudissements ainsi que la collaboration de l’Eglise ».
Un problème, en revanche, se pose lorsque « ces gouvernements veulent exhumer des régimes anachroniques et dictatoriaux ou quand ils tombent sous l’emprise de certains courants culturels (…) qui propagent des modèles de vie toujours plus éloignés et hostiles à la tradition chrétienne et qui menacent les droits fondamentaux de la personne humaine et de l’Eglise ». Le cardinal italien saluait le fait qu’il n’y ait plus, « par chance, ces féroces dictatures militaires qui ont ensanglanté le continent ces dernières décennies ».