Mgr Romero, martyr de la foi ou de la théologie de la libération ?

Source: FSSPX Actualités

Le 3 février 2015, le Saint-Siège a annoncé que le pape François avait ordonné la promulgation des décrets relatifs au martyre de Mgr Oscar Arnulfo Romero y Galdámez (1917-1980), archevêque de San Salvador, « assassiné en haine de la foi » le 24 mars 1980, et des Pères Michal Tomaszek (1960-1991) et Zbigniew Strazalkowski (1958-1991), prêtres franciscains polonais, ainsi que de l’abbé Alessandro Dordi (1931-1991), prêtre italien, assassinés au Pérou « en haine de la foi » les 9 et 25 août 1991. La promulgation simultanée de ces décrets qui devraient permettre la prochaine béatification du prélat salvadorien et des trois prêtres missionnaires au Pérou, n’est pas due au hasard : elle montre d'un côté Mgr Romero tué par des contre-révolutionnaires – qui s’opposaient au marxisme et à la théologie de la libération –, et de l'autre des victimes des communistes maoïstes du Sentier Lumineux au Pérou.
 La symétrie semble parfaite. 

La Croix du 4 février, relatant la conférence de presse donnée par Mgr Vincenzo Paglia postulateur de la cause d’Oscar Romero et actuellement président du Conseil pontifical pour la famille –, fait remarquer que le « Vatican s’emploie à dépolitiser la béatification de Mgr Romero », en soulignant que la mort du prélat salvadorien se situe « selon la tradition classique de l’Eglise pour qui le martyre n’est pas un drapeau brandi contre, ni un acte d’accusation vers le persécuteur, mais un témoignage de la foi ». Toutefois Mgr Paglia a tenu à préciser que Mgr Romero était comme « le proto-martyr (premier martyr) des nouveaux martyrs contemporains » (sic), à l’instar de saint Etienne pour les martyrs anciens... Le pape pour sa part avait tout résumé la veille en ces termes : « Le martyre d’Oscar Romero est signe de foi dans l’amour révolutionnaire du Christ », « sans trop évoquer », note La Croix, « les rapports de l’archevêque du Salvador avec la théologie de la libération – expression très peu entendue durant la conférence de presse ».

La réalité est certainement plus délicate, comme le montre cet article du P. Alberto Royo Mejia, religieux espagnol, en février 2010, dont voici les passages les plus significatifs.

La vraie figure de Mgr Romero est beaucoup plus riche et complexe à juger que beaucoup veulent nous faire croire, en le présentant comme le paladin de la révolution en faveur des pauvres et des déshérités. De son amour pour les pauvres et les déshérités, il n’y a pas de doute, comme cela devrait être le cas de tous les ministres du Christ. Il en est de même pour son amour de l’Eglise et sa dévotion à la Vierge, mais au sujet de sa ferveur révolutionnaire nous pouvons nourrir de nombreux doutes…

Le 8 février 1977 il fut nommé archevêque de San Salvador, étant jusqu’alors évêque du diocèse de Santiago de Maria. Sa nomination fut saluée par le secteur le plus progressiste du clergé salvadorien, non parce qu’il était de cette tendance, mais parce que parmi les autres postulants, Romero apparaissait le plus facile à convaincre bien qu’en des occasions qui n’étaient pas rares il eût critiqué les compromis politiques du clergé. Il semble que le 22 février il prit possession de l’archevêché et, du 24 au 28 février 1977, Mgr Romero s’enferma avec un groupe de prêtres dans le séminaire San José de la Montaña. Il fut complètement isolé, et même pour qu’il ne soit pas permis de lui parler, on mit une religieuse à la porterie du Séminaire. … Durant ces jours ils lui décortiquèrent la situation du pays à travers le prisme de l’analyse marxiste.

Ils découvrirent la faille psychologique et personnelle de Mgr Romero, à savoir qu’il était un homme bon et manipulable. Les prêtres du “Groupe” s’offrirent comme soutien dans la direction pastorale de l’archidiocèse.

Le 1er mars, Mgr Romero déclara que sa ligne de conduite pastorale serait celle de Medellín (ndt : ligne de la théologie de la libération) et qu’il se solidarisait avec la ligne pastorale du Groupe des prêtres qui, dans cette ligne, réalisaient une pastorale « libératrice », nonobstant le fait que ce groupe l’avait empêché de prendre possession de l’archidiocèse dans la cathédrale. Jusqu’à cette date Mgr Romero s’était toujours manifesté contre la ligne pastorale de Medellín. Il déclara également qu’il n’aurait aucune relation avec le Gouvernement (ndt : sous la Présidence du général Molina de 1972 à 1977), pour protester contre le massacre qui avait eu lieu à 22h30 le jour précédent, 28 février. A cette occasion étaient apparues les Ligues Populaires du 28 février (LP-28), groupe armé communiste. Ce même jour sortit le premier Bulletin du Bureau de presse de l’archevêque de San Salvador.

Le 12 mars de la même année à 17h30 le P. Rutilio Grande, (jésuite qui menait une action pastorale dans la ligne de la théologie de la libération) curé d’Aguilares, fut assassiné avec ceux qui participaient au service, Manuel Solórzano, 62 ans et Nelson Rutilio Lemus, 15 ans. Durant la messe d’inhumation du P. Rutilio Grande, à laquelle assistaient tout l’épiscopat, et à la grande surprise et stupeur de tous les évêques, Mgr Romero affirma dans l’homélie funèbre qu’il appuyait la ligne d’action pastorale du P. Grande comme la ligne authentique pastorale de l’Eglise. Le dimanche 20 mars Mgr Romero décréta la suspension de la célébration de la messe dans toutes les églises et les aumôneries et convoqua à une messe unique contre l’avis de la Nonciature.

Les curés révolutionnaires ont commencé à travailler fébrilement dans l’archevêché après la prise de sa charge par Mgr Romero, chose inouïe, du jamais vu jusque là dans le pays. Fréquemment on voyait les jésuites dans les bureaux de l’archevêché. (...) Le P. Rafael Moreno, docteur en marxisme, était le chef des relations publiques de l’archevêché. Le magistère parallèle contrôlait également toutes les informations de l’archevêché, la radio YSAX fut aux mains du P. Angel María Pedrosa. Certains parlent même d’un véritable lavage de cerveau de l’évêque par les prêtres marxistes.

A la question qu’on aurait faite à l’un d’entre eux, « Pourquoi les prêtres révolutionnaires collaboraient si activement à l’archevêché de San Salvador ? », il fut répondu : « épauler ce pauvre homme qui ne savait que faire dans ce diocèse à un moment si difficile, et en voyant ce que l’UCA (Université Centre Amérique, fondée en 1965 par les jésuites ; considérée comme « l’Université de la théologie de la libération » par ses contradicteurs) pouvait faire pour l’archevêché ». Toujours selon la même source, Mgr Romero était guidé par une équipe de poids composée de ces prêtres et par les têtes pensantes de l’UCA.

Différentes personnes invitèrent Mgr Romero chez elles pour l’aider à réfléchir sur la possibilité d’éviter qu’ils (ces prêtres révolutionnaires) se servent de lui comme instrument de leurs propres objectifs, comme quelques faits l’avaient démontré. Au début, Mgr Romero se montra reconnaissant et intéressé par cette aide. Mais quelqu’un se proposa de l’écarter des dites réunions mensuelles.

Le prêtre belge Pierre Declercq réunit dans sa cité de Zacamil, des ex-religieuses qui abandonnèrent ou furent expulsées de leurs Congrégations respectives pour différents motifs, auxquels s’ajoutèrent quelques jeunes femmes, activistes de la révolution communiste, et c’est ainsi que fut fondée une nouvelle congrégation de religieuses. Alors naquit la Congrégation des Sœurs de l’Eglise Populaire, de la “Nouvelle Eglise”. Ces religieuses, avec croix de bois sur la poitrine, apparurent dans différents bureaux de l’archevêché. L’une d’entre elles fut la secrétaire privée de Mgr Romero, une autre chargée des archives de l’archevêché.

Le “triomphalisme” qu’on avait critiqué et combattu des mois auparavant dans le travail pastoral de l’Eglise, renaissait alors autour de la personne de Mgr Oscar Arnulfo Romero, en qui le Groupe de Réflexion Pastorale ou Eglise Populaire, comme on l’appellera plus tard, rencontra une occasion propice pour une véritable instrumentalisation de l’Eglise catholique au profit de la cause communiste. L’Eglise Populaire accula Mgr Romero, en lui fournissant l’orientation, les conseils et la mise en œuvre de l’action pastorale.

Le 14 février 1978, l’Université de Georgetown aux Etats-Unis octroya à Mgr Romero le doctorat honoris causa. Le 7 décembre 1978, Mgr Romero fut proposé comme candidat pour le prix Nobel de la paix par 118 membres du parlement britannique. Plus tard l’Université de Louvain, en Belgique, lui octroya le doctorat honoris causa.

Un groupe de militaires réussit à mêler Mgr Romero dans le projet de coup d’état (ndt : contre le général Carlos Humbert Romero, président en 1977, renversé en 1979) parce qu’ils ne leur convenaient pas d’avoir contre eux l’archevêque de San Salvador. Le 15 octobre1979 eut lieu le coup d’état. (…) S’installa une junte révolutionnaire (…) Jean-Paul II (élu le 16 octobre 1978, ndlr) appela à Rome l’archevêque et la rencontre avec le nouveau pape impressionna beaucoup le prélat salvadorien. Le dimanche suivant son retour de Rome l’archevêque signala les injustices et les excès des groupes marxistes-léninistes. La riposte, à l’intérieur de l’archevêché, fut immédiate. Le jour suivant, le lundi, les prêtres de l’Eglise Populaire et les religieuses de la « Nouvelle Eglise » qui travaillaient dans les bureaux de l’archevêché, dans l’édifice du séminaire Saint-Joseph de la Montagne, abandonnèrent leurs postes en signe de protestation.

Mgr Romero avoua la chose dans une homélie le dimanche suivant à la cathédrale : « Ils m’ont laissé tout seul ». Mgr Romero avait trahi les groupes communistes et la cause marxiste-léniniste, mais en voyant le danger, il voulut regagner les bonnes grâces des groupes communistes en revenant dans son homélie des dimanches suivants, au système de dénonciation du gouvernement, en omettant les injustices communistes ou en les signalant de façon atténuée. Les personnels de l’archevêché qui avaient abandonné leurs bureaux reprirent leurs postes de travail. Les relations entre les groupes marxistes-léninistes, FPL (Front Populaire de Libération), ... FAL (Forces Armées de Libération) avec l’archevêque se firent, avec des hauts et des bas, toujours plus tendues.

Au mois de février 1980 Mgr Romero écrivit une lettre au président du secrétariat de l’épiscopat de l’Amérique Centrale (SEDAD) lui demandant de publier un document de soutien le concernant car il était tombé dans une situation difficile de laquelle il ne pouvait pas sortir. Le service de renseignement du gouvernement (ANSEAL) lui avait fait savoir qu’il avait eu connaissance du danger mortel qu’il courait. (...)