Le Synode sur les jeunes soulève des inquiétudes

Source: FSSPX Actualités

Le Synode des évêques qui se déroule à Rome du 3 au 27 octobre 2018, sur le thème : « Les jeunes, la foi et le discernement vocationnel », suscite bien des inquiétudes. La désignation par le pape François de participants proches du cardinal Théodore McCarrick, d’une part, et le document de travail (instrumentum laboris) – rendu public le 8 mai dernier – qui doit guider les travaux du Synode, d’autre part, font se poser la question d’un synode truqué dont les conclusions seraient déjà faites. – Il faut dire que tout le monde a présent à l’esprit le Synode sur la famille (2014-2015) qui a débouché sur l’exhortation Amoris lætitia autorisant subrepticement la communion des divorcés « remariés ». 

Des participants proches du cardinal McCarrick

Les inquiétudes sur les participants au Synode, nommés par François, sont formulées dans la Nuova Bussola Quotidiana du 18 septembre.

Sous le titre, Au Synode des jeunes, on trouve aussi les noms de la “filière McCarrick”, Marco Tosatti a écrit : « On a vu qu’en réalité, ces grands rassemblements (les synodes) suivent un agenda très précis, voulu et piloté d’en haut. Et ils servent, en fin de compte, à créer la base de documents en substance pré-confectionnés – voir Amoris lætitia –, auxquels l’apport des pères synodaux apparaît comme purement cosmétique. Comment ne pas se souvenir de la confidence naïve d’une conversation privée avec le pape, faite par l’archevêque Bruno Forte ? “Si nous parlons explicitement de communion aux divorcés remariés – a raconté Mgr Forte, rapportant une boutade du pape François –, tu n’imagines pas quel bazar ceux-là nous mettront. Alors n’en parlons pas directement, assurons-nous que les prémisses sont là, et ensuite, c’est moi qui tirerai les conclusions.” (...)

« On ne peut donc s’empêcher de regarder avec perplexité certaines nominations pontificales au Synode des jeunes. Celle du cardinal Cupich de Chicago, par exemple, un homme de la filière des nominations de McCarrick, qui a déclaré que le pape a des choses plus importantes à traiter que les accusations de Mgr Viganò, tels l’environnement et les migrations. Ou du cardinal Joe Tobin, archevêque de Newark, disciple et héritier de McCarrick dans ce diocèse, qui a admis candidement qu’il n’avait pas accordé de poids aux rumeurs et aux plaintes concernant les méfaits de McCarrick, car elles lui semblaient incroyables. Et puis le cardinal Marx, et Mgr Paglia... (...)

« Après Dublin (Rencontre mondiale des familles, 21-26 août 2018. NDLR), et étant donné la présence d’éminences et d’excellences qu’il est aisé d’inscrire dans le courant philosophique pro-homosexuel dans l’Eglise, il n’est pas risqué de mettre parmi les objectifs possibles un autre petit ou grand pas vers la “normalisation” de l’homosexualité et des relations homosexuelles, à condition bien sûr que celles-ci soient “stables et aimantes”... Le vent de Sainte-Marthe semble souffler dans cette direction. Dans les faits, pas dans les déclarations. Espérons que nous nous trompons. »

Le même jour, 18 septembre, Stefano Fontana, professeur à la Sapienza de Rome, s’interrogeait lui aussi sur « les invités du pape », non pas tant sur leur appartenance au réseau du cardinal McCarrick, que sur leur modernisme affiché dans le domaine de la morale : 

« Laissons de côté, pour l’instant, le fait que beaucoup parmi ceux nommés par le pape sont dans l’œil du cyclone du scandale des abus et de l’homosexualité (de Maradiaga à Cupich, de Farrell à Marx). L’archevêque de Philadelphie, Mgr Charles Chaput, avait même suggéré de suspendre le Synode des jeunes parce que “les évêques n’auraient en ce moment absolument aucune crédibilité pour aborder cette question”, et le pape nomme précisément les noms les plus impliqués dans la querelle. Laissons de côté, comme je l’ai dit, pour le moment, cet aspect central, et insistons sur le fait que les nommés sont tous des représentants du progressisme moderniste en termes de sexualité et de famille : au premier rang, bien sûr, le père Antonio Spadaro, directeur de La Civiltà Cattolica, et Enzo Bianchi (moine laïc, fondateur de la communauté interconfessionnelle et mixte de Bose, en Italie. NDLR). Ces nominations si unilatérales du pape visent évidemment à conditionner d’emblée le résultat du Synode et à confirmer l’opinion exprimée par beaucoup, à savoir que l’objet du Synode n’est pas la jeunesse mais de nouvelles ouvertures modernistes dans le domaine de la morale sexuelle, notamment des relations sexuelles prénuptiales et de la contraception. La petite armée de nomination papale directe aurait pour but de forcer la main avec certitude en ce sens et de confirmer un résultat prévu dès maintenant. En d’autres termes : le Synode comme machine ‘instrumentale’ pour atteindre d’autres fins que celles déclarées. (...)

« Nous pourrions parler de synodes “prétextes”, ou de synodes “instruments” pour atteindre certains objectifs déjà établis préalablement. Cela ne signifie pas, comme nous l’avons déjà appris, que le Synode dira finalement quelque chose de clair, bien qu’en rupture avec la doctrine traditionnelle. Et même, on peut s’attendre à ce que le Synode reste dans le vague, dise et ne dise pas, ouvre des questions plutôt que de les clore. Le progressisme moderniste ne veut pas se transformer en une nouvelle doctrine, mais mettre en doute la doctrine pour pouvoir ouvrir la porte à des pratiques ecclésiales qui s’opposent à elle, sans toutefois le déclarer ».

Dans la liste des participants au Synode, on peut signaler l’absence volontaire d’un évêque : Mgr Robert Mutsaerts, évêque de Bois-le-Duc aux Pays-Bas, chargé des jeunes par la Conférence épiscopale néerlandaise, qui a renoncé à se rendre à Rome, en raison des scandales d’abus sexuels dans l’Eglise. Il est remplacé par Mgr Everardus Johannes De Jong, évêque auxiliaire de Roermond. Plusieurs prélats, en particulier Mgr Charles Chaput, archevêque de Philadelphie aux Etats-Unis – comme l’a rappelé Stephano Fontana dans l’article cité plus haut –, avaient demandé que le Synode sur les jeunes soit reporté, la multiplication des scandales rendant l’Eglise actuellement peu crédible sur ce sujet. 

Un document de travail relativiste et naturaliste 

Le 21 septembre 2018, le site américain First Things faisait paraître les « Réflexions sur l’Instrumentum laboris » de Mgr Charles Chaput. En fait, l’archevêque de Philadelphie y présente une étude critique émanant d’un « théologien nord-américain respecté » dont il ne donne pas le nom, mais dont il considère le travail « suffisamment important pour justifier une réflexion et une discussion beaucoup plus larges ». Cette analyse relève dans l’Instrumentum laboris (présenté sous les initiales : IL) du relativisme et du naturalisme.

Principales difficultés théologiques de l’Instrumentum laboris (IL) pour le synode 2018 :

I. Naturalisme

L’IL met l’accent sur les éléments socioculturels, à l’exclusion des questions religieuses et morales plus profondes. Bien que le document exprime le désir de « relire » les « réalités concrètes » « à la lumière de la foi et de l’expérience de l’Eglise (§4) », l’IL échoue malheureusement à le faire. Exemples spécifiques :

• §52. Après une discussion de la conception instrumentalisée contemporaine du corps et de ses effets « activité sexuelle précoce, partenaires sexuels multiples, pornographie numérique, exposition de corps en ligne et tourisme sexuel », le document ne déplore que « la défiguration de la beauté et de la profondeur du sexe et de la vie ». Aucune mention n’est faite de la défiguration de l’âme, de son aveuglement spirituel qui en résulte et de l’impact sur la réception de l’Evangile par celui qui est blessé.

• §144. Il y a beaucoup de discussions sur ce que veulent les jeunes ; peu de choses sur la façon dont ces besoins doivent être transformés par la grâce dans une vie conforme à la volonté de Dieu pour leur vie. Après des pages d’analyse de leurs conditions matérielles, l’IL n’offre aucune indication sur la manière dont ces préoccupations matérielles pourraient être élevées et orientées vers leur fin surnaturelle. Bien que l’IL offre une certaine critique des objectifs exclusivement matérialistes / utilitaires (§147), la majorité du document répertorie minutieusement les diverses réalités socioéconomiques et culturelles des jeunes adultes tout en n’offrant aucune réflexion significative sur les préoccupations spirituelles, existentielles ou morales. Le lecteur peut facilement conclure que ces dernières n’ont aucune importance pour l’Eglise. L’IL note à juste titre que l’Eglise doit encourager les jeunes à « renoncer à la recherche constante de petites certitudes (§145) ». Nulle part, cependant, elle ne note qu’elle doit également élargir cette vision avec la grande certitude qu’il existe un Dieu, qu’il les aime et qu’il veut leur bien éternel.

• Ce naturalisme se manifeste également dans la préoccupation du document concernant les considérations suivantes : la mondialisation (§10) ; défendre le rôle de l’Eglise dans la création de « citoyens responsables » plutôt que de saints (§ 147) et préparer les jeunes à leur rôle dans la société (§135) ; objectifs séculiers pour l’éducation (§149) ; promouvoir la durabilité et d’autres objectifs séculiers (§152-154) ; promouvoir « l’engagement social et politique » en tant que « véritable vocation » (§156) ; l’encouragement de la « mise en réseau » en tant que rôle de l’Eglise.

• L’espoir de l’Evangile manque visiblement. Au paragraphe 166, dans le cadre d’une discussion sur la maladie et la souffrance, un homme handicapé est cité : “vous n’êtes jamais suffisamment préparé pour vivre avec un handicap : il vous incite à poser des questions sur votre propre vie et à vous demander quelle est votre finitude.” Ce sont des questions existentielles pour lesquelles l’Eglise possède les réponses. L’IL ne répond jamais à cette citation en discutant de la croix, de la souffrance rédemptrice, de la providence, du péché ou de l’amour divin. L’IL est également faible sur la question de la mort dans le §171 : le suicide est décrit comme simplement « malheureux » et aucune tentative n’est faite pour le corréler aux échecs d’une philosophie matérialiste. Cela se voit également dans le traitement tiède de la dépendance (§49-50).

II. Une compréhension inadéquate de l’autorité spirituelle de l’Eglise

L’IL remet en cause les rôles respectifs de l’Ecclesia docens et l’Ecclesia discens (Eglise enseignante et Eglise enseignée). L’ensemble du document repose sur la conviction que le rôle principal de l’Eglise magistrale est « d’écouter ». Le plus problématique est le §140 : « L’Eglise devra opter pour le dialogue comme style et méthode, en favorisant la conscience de l’existence de liens et de connexions dans une réalité complexe… Aucune vocation, en particulier au sein de l’Eglise, ne peut se placer en dehors de ce dynamisme de sortie et de dialogue… ». En d’autres termes, l’Eglise ne possède pas la vérité mais doit prendre sa place aux côtés d’autres voix. Ceux qui ont joué le rôle d’enseignant et de prédicateur dans l’Eglise doivent remplacer leur autorité par le dialogue. (A cet égard, voir aussi §67-70).

• La conséquence théologique de cette erreur est la confusion du sacerdoce baptismal et sacramentel. Dès la fondation de l’Eglise, par ordre divin, les ministres ordonnés de l’Eglise ont été chargés de l’enseignement et de la prédication ; depuis sa fondation, les fidèles baptisés ont été chargés d’entendre et de se conformer à la Parole prêchée. De plus, le mandat de prédication est co-institué par Notre Seigneur avec le sacerdoce ministériel lui-même (cf. Mt 28, 19-20). Si l’Eglise devait abandonner son ministère de prédication, c’est-à-dire si les rôles de l’Eglise enseignante et de l’Eglise qui écoute devaient être inversés, la hiérarchie elle-même serait inversée et le sacerdoce ministériel s’effondrerait dans le sacerdoce baptismal. En bref, nous deviendrions luthériens. – N’est-ce pas le ferment révolutionnaire introduit par le concile Vatican II dans la constitution Lumen gentium, qui insiste tant sur le sacerdoce commun des fidèles qu’il risque en pratique de se substituer au sacerdoce ministériel ? (NDLR)

• Outre ce grave problème ecclésiologique, cette approche présente un problème pastoral. Il est de notoriété publique que les adolescents issus de ménages permissifs aspirent généralement à ce que les parents fassent attention à fixer des limites et à donner des directives, même s’ils se rebellent contre cette direction. De même, l’Eglise, en tant que mère et enseignante, ne peut, par négligence ou lâcheté, renoncer à ce rôle nécessaire de fixation de limites et de direction (cf. §178). A cet égard, le paragraphe 171, qui indique la maternité de l’Eglise, ne va pas assez loin. Il n’offre qu’un rôle d’écoute et d’accompagnement tout en éliminant celui de l’enseignement.

III. Une anthropologie théologique partielle

La discussion sur la personne humaine dans l’IL ne fait aucune mention de la volonté. La personne humaine est réduite dans de nombreux endroits à « l’intellect et au désir », à la « raison et à l’affectivité » (§147). Cependant, l’Eglise enseigne que l’homme, créé à l’image de Dieu, possède un intellect et une volonté, tout en partageant avec le reste du règne animal un corps, avec son affect. C’est la volonté qui est fondamentalement orientée vers le bien. La conséquence théologique de cette omission flagrante est extrêmement importante, puisque le siège de la vie morale réside dans la volonté et non dans les vicissitudes de l’affect. D’autres exemples aux §§114 et 118.

IV. Une conception relativiste de la vocation

Tout au long du document, l’impression est donnée que la vocation concerne la recherche de la signification et de la vérité privées. Les exemples comprennent :

• §129. Qu’entend-on par « forme personnelle de sainteté » ? Ou « vérité propre » ? C’est le relativisme. Tandis que l’Eglise propose certainement l’appropriation personnelle de la vérité et de la sainteté, les Ecritures sont très claires : Dieu, la première vérité, est Un ; le diable est légion.

• §139 donne l’impression que l’Eglise ne peut pas proposer la vérité (singulière) aux gens et qu’ils doivent décider eux-mêmes. Le rôle de l’Eglise ne consiste que dans l’accompagnement. Cette fausse humilité risque de diminuer les contributions légitimes que l’Eglise peut et doit apporter.

• §157. Pourquoi l’Eglise devrait-elle « soutenir des parcours de changement de style de vie » ? En liaison avec les exhortations aux jeunes à prendre leur vie en charge (§62) et à se construire un sens (§7, §68-69), cela donne l’impression que la vérité absolue ne se trouve pas en Dieu.

V. Une compréhension appauvrie de la joie chrétienne

La spiritualité chrétienne et la vie morale sont réduites à la dimension affective, plus clairement au §130, comme en témoigne une conception sentimentaliste de la « joie ». La joie semble être un état purement affectif, une émotion heureuse parfois ancrée dans le corps ou l’amour humain (§76), parfois en engagement social (§90). En dépit de sa référence constante à la « joie », l’IL ne la décrit nulle part comme le fruit de la vertu théologale de la charité. La charité n’est pas non plus caractérisée comme l’ordre correct de l’amour, en plaçant Dieu en premier et en ordonnant ensuite tous les autres amours en référence à Dieu.

La conséquence théologique de ceci est que l’IL manque de théologie de la Croix. La joie chrétienne n’est pas antithétique à la souffrance, qui est une composante nécessaire d’une vie cruciforme. Le document donne l’impression que le vrai chrétien sera « heureux » à tout moment, dans le sens familier. Cela implique en outre l’erreur que la vie spirituelle elle-même se traduira toujours par une joie (affective) ressentie. Le problème pastoral qui en découle apparaît clairement au §137 : Est-ce le rôle de l’Eglise de faire en sorte que les jeunes « se sentent aimés de lui [Dieu] » ou de les aider à savoir qu’ils sont aimés, indépendamment de ce qu’ils pourraient ressentir ?

Outre les considérations ci-dessus, il existe d’autres préoccupations théologiques graves dans l’IL, notamment : une fausse compréhension de la conscience et de son rôle dans la vie morale ; une fausse dichotomie proposée entre la vérité et la liberté ; une fausse équivalence entre le dialogue avec les jeunes LGBT et le dialogue œcuménique ; et un traitement insuffisant du scandale des abus.