Sermon de saint Léon le Grand sur la Transfiguration
Il fallait que les Apôtres conçoivent vraiment dans leur cœur une forte et bienheureuse fermeté, et qu’ils ne tremblent point devant la rudesse de la croix qu’ils auraient à prendre ; il fallait qu’ils ne rougissent point du supplice du Christ, ni qu’ils n’estiment honteuse pour lui cette patience avec laquelle il devait subir les rigueurs de sa passion sans perdre la gloire de sa domination.
Le Christ prépare ses Apôtres à la croix par la vision de sa gloire
Aussi, « Jésus prit-il avec lui Pierre, Jacques et Jean son frère », et, les ayant conduits à part, il gravit avec eux une haute montagne, et leur manifesta l’éclat de sa gloire : car, bien qu’ils eussent compris que la majesté de Dieu était en lui, ils ignoraient encore la puissance détenue par ce corps qui cachait la Divinité. Et voilà pourquoi il avait promis en termes propres et précis que certains des disciples présents ne goûteraient pas la mort avant de voir le Fils de l’homme venir dans son royaume, c’est-à-dire dans l’éclat royal qui convenait spécialement à la nature humaine qu’il avait prise, et qu’il voulut rendre visible à ces trois hommes. Car pour ce qui est de la vision ineffable et inaccessible de la Divinité elle-même, vision réservée aux cœurs purs dans la vie éternelle, des êtres encore revêtus d’une chair mortelle ne pouvaient en aucune façon ni la contempler ni la voir.
Cette vision est également pour toute l’Eglise et pour nous
Le Seigneur découvre donc sa gloire en présence de témoins choisis et il éclaire d’une telle splendeur cette forme corporelle qui lui est commune avec tous que son visage devient semblable à l’éclat du soleil en même temps que son vêtement est comparable à la blancheur des neiges. Sans doute cette transfiguration avait surtout pour but d’ôter du cœur des disciples le scandale de la croix, afin que l’humilité de la passion volontairement subie ne troublât pas la foi de ceux à qui aurait été révélée l’éminence de la dignité cachée. Mais, par une égale prévoyance, il donnait du même coup un fondement à l’espérance de la sainte Église, en sorte que tout le corps du Christ connût de quelle transformation il serait gratifié, et que les membres se donnassent à eux-mêmes la promesse de participer à l’honneur qui avait resplendi dans la tête. A ce sujet, le Seigneur lui-même avait dit, parlant de la majesté de son avènement : « Alors les justes resplendiront comme le soleil dans le royaume de leur Père » ; et le bienheureux apôtre Paul affirme la même chose en ces termes : « J’estime, en effet, que les souffrances du temps présent ne sont pas à comparer avec la gloire qui doit se révéler en nous » ; et encore : « car vous êtes morts et votre vie est désormais cachée avec le Christ en Dieu ; quand le Christ sera manifesté, lui qui est votre vie, alors vous aussi vous serez manifestés avec lui pleins de gloire ».
La Transfiguration manifeste l’unité des deux Testaments
Cependant les apôtres, qui devaient être affermis dans leur foi et initiés à la connaissance de toutes choses, trouvèrent de surcroît en ce prodige un autre enseignement. En effet, Moïse et Élie, c’est-à-dire la loi et les prophètes, apparurent s’entretenant avec le Seigneur : ceci afin que s’accomplit très parfaitement dans la présence de ces cinq hommes ce qui est dit : « Toute parole sera ferme, proférée en présence de deux ou trois témoins ». Quoi de plus établi, quoi de plus ferme que cette parole ? Pour la proclamer, la double trompette de l’ancien et du nouveau Testament résonne en plein accord et tout ce qui servit à en témoigner dans les temps anciens se rencontre avec l’enseignement de l’Évangile ! Les pages de l’une et l’autre alliance, en effet, se confirment mutuellement, et celui que les anciens symboles avaient promis sous le voile des mystères, l’éclat de sa gloire présente le montre manifeste et certain : c’est que, comme le dit saint Jean, « la loi fut donnée par l’intermédiaire de Moïse, mais la grâce et la vérité nous sont venues par Jésus-Christ », en qui se sont accomplis et la promesse des figures prophétiques et le sens des préceptes de la loi ; car, par sa présence, il enseigne la vérité de la prophétie, et, par sa grâce, il rend possible la pratique des commandements.
Mais elle nous dit aussi que la souffrance doit précéder la gloire
Entraîné par cette révélation des mystères, saisi de mépris pour les biens de ce monde et de dégoût pour les choses terrestres, l’apôtre Pierre était comme ravi en extase par le désir des biens éternels ; rempli de joie par toute cette vision, il souhaitait demeurer avec Jésus en ce lieu où sa gloire ainsi manifestée faisait toute sa joie ; aussi dit-il : « Seigneur, il nous est bon d’être ici ; si tu le veux, faisons ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse et une pour Élie ». Mais le Seigneur ne répondit pas à cette proposition, voulant montrer non certes que ce désir était mauvais, mais qu’il était déplacé ; car le monde ne pouvait être sauvé que par la mort du Christ et l’exemple du Seigneur invitait la foi des croyants à comprendre que, sans devoir douter du bonheur promis, nous devions parmi les tentations de cette vie, demander la patience avant la gloire ; le bonheur du royaume ne peut, en effet, précéder le temps de la souffrance.
(Source : FSSPX - FSSPX.Actualités - 17/03/2019)