Déchristianisation et crise de l'Eglise selon le cardinal Schönborn

Q : Le prochain congrès pour la nouvelle évangélisation – dont Vienne fut le berceau en 2003 – aura lieu à Budapest du 16 au 22 septembre prochain. Est-ce un remède efficace à la déchristianisation de l’Europe ?
Cardinal Schönborn : Je pense qu’il faut se rendre à l’évidence de ce qu’est la situation de l’Eglise en Autriche et en Europe. Nous assistons à une déchristianisation à vive allure de la vie quotidienne. Je constate cela en Autriche, mais c’est aussi le cas de la France et dans d’autres pays d’Europe.
Jusqu’à il y a peu de temps, la plupart des jeunes avaient au moins des grands-parents avec des attaches chrétiennes et une certaine connaissance du catéchisme. Aujourd’hui, pour la plupart des populations, ces attaches n’existent plus du tout ou à trace homéopathique. C’est une nouvelle situation parce que de toute évidence, l’Eglise catholique principalement, les Eglises orthodoxes et les protestants dans une certaine mesure, constituent le patrimoine principal de la culture européenne. Les touristes viennent en France non pas pour voir la Grande arche de la Défense mais Notre-Dame et le Mont-Saint-Michel - et c’est ainsi dans toute l’Europe. D’un autre côté, les chrétiens qui vivent activement et consciemment leur foi chrétienne se trouvent effectivement en minorité. Il n’y a rien d’effrayant à cela : pensez que du temps de l’empereur Constantin, il y avait peut-être 20% de chrétiens dans l’Empire romain.
Aujourd’hui, le plus grand défi que relève le Saint Père, c’est l’approfondissement de la foi de ceux qui ont la grâce de l’avoir reçue : les rendre plus aptes à être témoins, dans une société qui, en général n’est même plus hostile au christianisme, parce qu’elle connaît peu cette religion. La grande chance, c’est que nous vivons aujourd’hui ce que le christianisme a vécu dans l’Empire romain : le christianisme comme nouveauté, comme découverte et comme surprise ; la foi chrétienne comme une véritable alternative à une société qui a ses valeurs mais qui est déroutée et en recherche d’elle-même.
Commentaire : – Le cardinal Schönborn considère que l’état des premiers chrétiens qui venaient de découvrir la foi est semblable à celui des Occidentaux qui ont apostasié la même foi. Il n’oppose pas la conversion des premiers à la perversion des seconds. Christianisation et déchristianisation, c’est tout un ! Dans un irénisme confondant, il ne voit pas une grande hostilité au christianisme dans le monde contemporain, mais seulement une nouveauté, une découverte, une surprise… offerte à une société « déroutée et en recherche d’elle-même », mais qui a quand même « ses valeurs ».
Q : A l’heure où l’on évoque une possible rencontre œcuménique entre le pape et le patriarche Alexis II, la Congrégation pour la doctrine de la foi vient de réaffirmer que l’Eglise catholique était "l’unique Eglise du Christ". Certains observateurs n’ont-ils pas raison de pointer une contradiction ?
Cardinal Schönborn : Qu’ils lisent et étudient Vatican II ! Le document de la Congrégation pour la doctrine de la foi publié le 10 juillet reprend strictement et de manière encore plus claire ce qu’a dit Vatican II. Il explique de manière plus explicite que Dominus Iesus le rapport de l’Eglise catholique aux autres communautés chrétiennes. C’est vraiment l’expression sobre et parfaite de ce qu’a enseigné Vatican II.
Cet enseignement est simple et tient tout entier dans le refus de deux extrêmes. D’une part le relativisme ecclésial - toutes les églises se valent et sont des préfigurations plus ou moins réussies de ce que sera l’Eglise du Ciel. Et d’autre part, dire qu’il n’y a que l’Eglise catholique et que le reste n’est pas Eglise. Certains moines du Mont Athos, par exemple, nient de manière très explicite la validité du baptême catholique et donc ne nous considèrent même pas comme Eglise. Ce n’est pas la position du patriarche œcuménique ni de la plupart des théologiens orthodoxes mais c’est une position qui existe chez les orthodoxes aux positions un peu durcies.
Or Vatican II a une position très claire : dire que l’Eglise du Christ ne peut être qu’une et cette Eglise unique du Christ subsiste et est concrètement réalisée dans l’Eglise catholique unie aux successeurs de Pierre et aux évêques légitimes. Mais, ajoute Vatican II, cela n’empêche que, en dehors de cette communion visible de l’Eglise catholique, il y ait un grand nombre d’éléments de sanctification et de vérité qui font partie de l’unique Eglise du Christ et qui tendent vers l’unité chrétienne et catholique. Ainsi, avec ce nouveau document de Rome, on a la reconnaissance des éléments d’ecclésialité qui existent dans les églises protestantes mais on dit encore qu’il leur manque aussi les éléments essentiels de ce qui constitue à notre sens l’Eglise, c’est-à-dire la succession apostolique et la plénitude du sacrement de l’Eucharistie.
Commentaire : – Il ne s’agit bien sûr ici que d’un entretien et non d’une étude théologique rigoureuse, on est tout de même surpris de voir l’archevêque de Vienne y parler d’églises protestantes alors que le récent document romain sur le subsistit in dénie le caractère d’Eglise aux diverses confessions protestantes. On est également étonné de voir le prélat autrichien affirmer que « l’Eglise du Christ subsiste et est concrètement réalisée dans l’unique Eglise catholique » pour immédiatement après déclarer que, selon Vatican II, il y a hors de l’Eglise catholique un grand nombre d’éléments de sanctification et de vérité qui sont des éléments d’ecclésialité, parce qu’ils font partie de l’Eglise du Christ et qu’ils tendent vers l’unité chrétienne et catholique. Cette présentation paradoxale, comme le reconnaît le document romain cité, repose sur la volonté de rejeter deux extrêmes : le relativisme ecclésial, d’une part, et l’affirmation qu’il n’y a que l’Eglise catholique et que le reste n’est pas Eglise, d’autre part. Mais en rejetant cette dernière affirmation, on rejette un dogme : Hors de l’Eglise pas de salut.
(…) Q: Que répondez-vous aux Français qui voient le motu proprio sur la liturgie essentiellement comme un retour en arrière ?
Cardinal Schönborn : La situation française est un peu particulière. Primo, il n’est pas encore très clair ce que ce motu proprio veut dire dans la pratique quotidienne de l’Eglise. Avec le Saint Père, nous allons évaluer cette pratique sur trois ans. Deuxièmement, il faut se dire encore une fois que la position catholique n’est pas vel/vel (ou bien ou bien) mais et/et, ce n’est pas l’un ou l’autre mais les deux, non pas au nom d’un certain relativisme ou d’une indifférence mais parce que la réalité est plus complexe.
Le Saint Père parle très consciemment de l’ancien et du nouvel usage de l’unique rite romain. Je suis dominicain, j’ai grandi dans le rite dominicain ancien, un des nombreux rites de l’Eglise latine, comme le rite cartusien, ou le rite ambrosien ou d’autres encore. Le rite romain n’a jamais été monolithique. Le Saint Père nous rappelle que le rite romain est un, tout en connaissant une réelle diversité. Regardez les discussions, autour de la liturgie du Mouvement néo-catéchuménal. Il a ses pratiques liturgiques propres que le Saint Père, autorité suprême de l’Eglise, vient de reconnaître comme des formes légitimes, sous certaines conditions, de l’unique rite romain. Il faut regarder la question du motu proprio sous le même angle.
Commentaire : – Selon le cardinal Schönborn, il n’y a pas plus de différence entre l’ancienne et la nouvelle messe qu’entre le rite romain et le rite dominicain ou cartusien, on se demande bien pourquoi le cardinal Ottaviani et le cardinal Bacci dénonçaient le Novus Ordo Missae, dans le Bref examen critique, comme s’éloignant « de façon impressionnante, dans l’ensemble comme dans le détail, de la théologie catholique de la Sainte Messe, telle qu’elle a été formulée à la XXIIe session du Concile de Trente, lequel, en fixant définitivement les ‘canons’ du rite, éleva une barrière infranchissable contre toute hérésie qui pourrait porter atteinte à l’intégrité du Mystère ». Oui, pourquoi ? s’il ne s’agissait que de différences dans les rubriques et non pas d’opposition doctrinale ! En outre, pour l’archevêque de Vienne, le Motu Proprio met à égalité la messe de toujours et les pratiques liturgiques plus que contestables du Mouvement néo-catéchuménal. Ce sont toutes des formes de l’unique rite romain : il y a la forme ordinaire (Paul VI), la forme extraordinaire (saint Pie V) et maintenant la forme néo-catéchuménale de Kiko aux chants en style flamenco… Voilà bien l’expression de l’unité dans la diversité !
Q : Où en est l’Eglise d’Autriche sur cette querelle liturgique ?
Cardinal Schönborn : Les Autrichiens sont un peu moins cartésiens que les Français. Au moment de la réforme liturgique, ils ont été moins absolus, moins intransigeants que certains en France qui, je pense à tort, ont exaspéré ceux qui avaient de la peine à accepter des réformes liturgiques – sans d’ailleurs suivre fidèlement le rituel de Paul VI mais en inventant toutes sortes de choses. Le pape en parle clairement dans sa lettre d’accompagnement. Mon ’pré-prédécesseur’ à Vienne, le cardinal Koenig, était un libéral au bon sens du terme ; il avait un esprit très ouvert et généreux. Il n’a jamais été pour lui question d’abandonner complètement le latin dans la cathédrale. Depuis l’introduction de la langue vernaculaire dans la liturgie, il a évidemment maintenu une messe en latin à la cathédrale. Et tous les dimanches, une demi douzaine d’églises célèbrent des messes en latin, dont au moins une avec le rite de 1962, en usus extraordinarius, dirait le Saint Père. Je pense que cela n’a pas posé de problèmes, parce que nous sommes plus tolérants. Le Motu proprio ne nous touche pas vraiment en Autriche.
Commentaire : – Tolérance ! Faut-il tolérer la messe tridentine comme un moindre mal ? Le cardinal Schönborn n’envisage pas le lien étroit qui unit la lex orandi à la lex credendi, la prière à la foi. Toutes les formes – ordinaire, extraordinaire, néo-catéchuménale… - peuvent cohabiter dans un climat de tolérance où l’unité doctrinale se dilue dans la diversité liturgique.