Voyage du pape en Birmanie et au Bangladesh : 27 novembre – 2 décembre 2017

Birmanie : 27 au 30 novembre 2017
Arrivé le 27 novembre en Birmanie, le Saint-Père s’est rendu à l’archevêché de Rangoun pour se reposer du voyage. Aucun engagement officiel n’était prévu, mais François a accepté de rencontrer dans l’après-midi, et non pas à la fin de son séjour, Min Aung Hlaing, général en chef de l’armée birmane. Cette « visite de courtoisie » anticipée de la délégation militaire dura 15 minutes, et le pape y souligna « la grande responsabilité des autorités dans cette période de transition du pays », a rapporté Greg Burke, directeur du Bureau de presse du Vatican.
Les catholiques de Birmanie, pays à majorité bouddhiste, sont environ 700.000 sur 51 millions d’habitants, les bouddhistes constituent 88% de la population, les chrétiens 6% dont 1,2% de catholiques, les musulmans 4%, et les animistes 0,8%. La plupart des chrétiens de Birmanie appartiennent à des minorités ethniques : Kachins, Shans, Karens etc. Selon le dernier recensement publié en juillet 2016, la population chrétienne augmente. « Cette hausse s’explique surtout par les populations animistes qui ont rejoint la religion chrétienne », a indiqué le cardinal Charles Bo, archevêque de Rangoun, à Eglises d’Asie (EDA).
La Birmanie (Myanmar) a été dirigée par la junte militaire jusqu’en 2015, année de la victoire de la Ligue nationale pour la démocratie menée par l’opposante Aung San Suu Kyi. Cependant l’armée contrôle toujours la défense, les frontières, l’économie et les affaires intérieures, et la conseillère d’Etat Aung San Suu Kyi « n’a aucune voix contre l’armée constitutionnellement », reconnaît l’archevêque de Rangoun. « Il y a plus de 130 groupes ethniques dans le pays. Celui des Birmans représente 70% de la population. Ils sont majoritairement bouddhistes et se considèrent comme les vrais habitants du pays. Ils entretiennent donc parfois des relations difficiles avec les autres ethnies et religions », précise Olivier Guillard, chercheur à l’Institut des relations internationales stratégiques (IRIS). Ainsi, « la plupart des Birmans considèrent que les Rohingyas ne sont que des réfugiés venus du Bangladesh [majoritairement musulman]. C’est une réalité, même si certaines familles sont arrivées il y a plusieurs générations. (…) Et il est vrai qu’il y a parmi les Rohingyas des éléments islamistes radicaux qui usent de violence, notamment contre les forces de l’ordre. Ces djihadistes ont recruté de force des milliers de villageois pour leurs attaques ».
Par ailleurs, une guerre civile sévit depuis 2011 entre l’armée pour l’indépendance du Kachin (KIA) et les forces birmanes, et 150.000 personnes sont actuellement déplacées. La région du Kachin se situe au nord de la Birmanie, à la frontière avec la Chine et l’Inde, où l’indépendantisme kachin est né en 1958 en réaction à la volonté de l’Etat d’imposer le bouddhisme aux chrétiens de cette minorité. L’Eglise catholique y compte quatre évêques, 70 prêtres et environ 70.000 fidèles. Selon le gouvernement, les bouddhistes représenteraient 57,8% de la population de cette région et les chrétiens 36,4%.
Le 28 novembre au matin à Naypyidaw, la capitale birmane, le Saint-Père a été reçu par le président de la République Htin Kyaw, avant de s’entretenir en privé avec Aung San Suu Kyi, ministre des Affaires étrangères. Pour son combat non-violent en faveur de la démocratie, Aung San Suu Kyi a été plusieurs fois arrêtée et condamnée, et assignée à résidence 15 ans entre 1989 et 2010. Le Saint-Père a rejoint l’International Convention Center pour prononcer son premier discours devant les autorités du gouvernement, la société civile et le corps diplomatique. Aung San Suu Kyi, en partie élevée au Couvent Saint-François de Rangoun, a évoqué devant le pape la situation dans l’Etat Rakhine qui a « retenu l’attention du monde ». François a souligné la nécessité de guérir les blessures et de respecter les minorités, ajoutant que l’avenir de la Birmanie doit être la paix, « fondée sur le respect de tout groupe ethnique et de son identité ». Il a précisé qu’il est, avant tout, venu en Birmanie « pour prier avec la communauté catholique, pour l’encourager dans son effort de contribution au bien de la nation ». Il a conclu en évoquant la formation des jeunes sur lesquels repose l’avenir du pays : une formation aux valeurs éthiques d’honnêteté, d’intégrité et de solidarité, visant à garantir le renforcement de la démocratie.
Le même jour, le pape a rencontré 17 responsables religieux birmans : bouddhistes, musulmans, un hindou, un catholique de l’ethnie kachin, un membre du Conseil des Eglises de Birmanie, un anglican, un baptiste et un juif. La rencontre interreligieuse a eu lieu dans le réfectoire de l’archevêché de Rangoun, et duré une quarantaine de minutes. Déclarant « qu’il est beau de voir des frères unis », François a tenu à expliquer que « unis ne veut pas dire égaux. L’unité n’est pas l’uniformité, même au sein d’une même confession. Chacun a ses valeurs, ses richesses », ses traditions et aussi ses défauts, car « nous sommes tous différents ». Mais chacun a des richesses à partager, ce qui ne peut arriver qu’en temps de paix, estime-t-il. Reprenant un thème souvent développé, il a affirmé sans souci du paradoxe : « La paix se construit dans le cœur de la différence. L’unité se fait toujours dans la différence ». « N’ayons pas peur des différences ! » a-t-il exhorté.
Le 29 novembre, le pape François a célébré la messe devant 150.000 catholiques birmans au stade Kyaikkasan de Rangoun, en présence de 22 évêques de Birmanie et des pays voisins.
Dans son homélie, il a rappelé aux fidèles l’importance de faire confiance à Jésus qui a enseigné la sagesse, non pas par « de longs discours ou de grandes démonstrations de pouvoir politique ou terrestre, mais en donnant sa vie sur la croix ». C’est lui la seule « boussole sûre », le « GPS spirituel », guide infaillible vers Dieu et le prochain. De la croix, vient la sagesse, et ainsi la guérison, car il faut résister à la tentation de répondre aux blessures par la colère ou la vengeance. « La voie de Jésus est radicalement différente. Quand la haine et le refus l’ont conduit à la Passion et à la mort, il a répondu par le pardon et la compassion », rappelle le Saint-Père. Et la sagesse irrésistible est celle reçue par l’Esprit Saint. Le pape a évoqué « le baume apaisant de la miséricorde du Père. »
Dans l’après-midi, François a rencontré le Conseil Suprême Sangha Maha Nayaka au Centre Kaba Aye (temple du bouddhisme Theravada) : un comité de 47 moines bouddhistes de haut rang, nommés pour 5 ans par le ministère des Affaires religieuses, institué en 1980 par la junte militaire pour contrôler le clergé bouddhiste en Birmanie. Devant le Conseil Suprême qui représente les neuf sectes du bouddhisme birman, le pape a souhaité – dans la ligne conciliaire du dialogue interreligieux – que bouddhistes et catholiques « cheminent ensemble sur ce chemin de guérison, et travaillent côte à côte pour le bien » de tous. Et il a assuré « que l’Eglise catholique est un partenaire disponible » pour continuer « à semer des graines de paix et de guérison, de compassion et d’espérance sur cette terre ».
Puis François a retrouvé les 22 évêques catholiques birmans à proximité de la cathédrale Sainte-Marie de Rangoun : « L’Eglise est un hôpital de campagne. N’oubliez pas d’être le plus proche possible des prêtres, et que chaque prêtre non seulement sache mais sente aussi qu’il peut trouver un père en chaque évêque ! La prière est le premier devoir de l’évêque », a-t-il affirmé en sortant de son discours officiel. Le P. Mariano Soe Naing, porte-parole des évêques birmans, a précisé à Aymeric Pourbaix de l’agence I. Media : « Nous sommes forts dans notre foi parce que nous avons été un petit nombre très soudé, pendant les années de répression de la part du régime militaire. Notre foi est donc simple et solide. Nous n’avons pas non plus de problème de doctrine : personne n’en conteste les fondements. Nous croyons dans la foi que nous avons reçue de nos pères. »
Le 30 novembre au matin, en conclusion de sa visite en Birmanie, François a célébré la messe pour les jeunes, à la cathédrale Sainte-Marie de Rangoun. Dans une atmosphère très joyeuse, le Saint-Père a exhorté les jeunes à contribuer au développement de leur pays en vivant leur foi catholique avec enthousiasme. « Je voudrais que les gens sachent que vous, jeunes hommes et jeunes femmes de Birmanie, vous n’avez pas peur de croire en la bonne nouvelle de la miséricorde de Dieu, parce qu’elle a un nom et un visage : Jésus-Christ », a affirmé le Saint-Père, les invitant à cultiver le silence, la prière, la vie intérieure : « le Seigneur vous donnera de porter beaucoup de fruit, un fruit que vous pourrez ensuite partager avec les autres ». « Parlez aussi aux saints, à nos amis du ciel qui peuvent nous inspirer », a-t-il ajouté.

Le pape François à la clinique de Mère Teresa, à Dacca (Bangladesh).
Bangladesh : 30 novembre au 2 décembre 2017
Le souverain pontife est arrivé le 30 novembre après-midi à Dacca, capitale du Bangladesh, pays où les chrétiens sont très minoritaires, aux côtés de 90% de musulmans et 9% d’hindous, pour une population totale de 169 millions de Bangladais. Le Bangladesh s’est séparé du Pakistan en 1971. Le pape François a été accueilli à l’aéroport par le président de la République, Abdul Hamid. Au palais présidentiel, le pape François a rencontré les autorités civiles et politiques, et a demandé une aide urgente pour les Rohingyas, soulignant « la gravité de la situation » et sollicitant une « assistance matérielle immédiate ». François a également souhaité que les catholiques puissent conserver leur « liberté » religieuse, après avoir rappelé la « violente attaque terroriste » de juillet 2016 à Dacca, et la tradition « d’harmonie » interreligieuse du Bangladesh.
Le 1er décembre, au cours de la messe célébrée dans le Park Suhrawardy Udyan, le pape a ordonné 16 séminaristes et a exhorté les 100.000 fidèles présents à soutenir les prêtres par la prière.
A l’archevêché de Dacca, François a pris part à une rencontre interreligieuse et œcuménique pour la paix. Réaffirmant que le droit à la liberté religieuse est un principe fondamental au Bangladesh, il a demandé pardon aux réfugiés Rohingyas « au nom de tous ceux qui les ont faits souffrir et pour l’indifférence du monde ». Le grand mufti du Bangladesh, Malwana Farid Uddin Masud, a remercié le souverain pontife pour « son ferme soutien aux Rohingyas ».
Le 2 décembre, le pape François s’est rendu à l’église du Saint-Rosaire pour rencontrer 1.500 prêtres, religieuses, religieux, séminaristes et novices. Abandonnant son discours officiel, pour ne pas être « ennuyeux », il a improvisé sur la vocation et mis en garde contre l’ennemi principal des communautés religieuses : les médisances qui sont comme du « terrorisme », d’autant plus ravageur qu’il est secret – c’est une « bombe ». Cela sème un « esprit de division » qui détruit le dialogue, à l’intérieur même de l’Eglise. Dans le discours officiel, le pape s’exprimait sur le rosaire, « prière magnifique » qui forge la vie spirituelle et le service apostolique. Prière qui « nous stimule à donner complètement nos vies au Christ, en union avec Marie ».
A l’Université Notre-Dame à Dacca, le pape François a encouragé les jeunes à se fier à la « sagesse de la foi » et non celle du monde qui est « fausse », pour trouver un but à leur vie. Les encourageant « à promouvoir un climat d’harmonie, où on se tend la main les uns aux autres, en dépit des différences religieuses. » L’espérance, a conclu le pape, vient de la rencontre personnelle avec Jésus dans la prière et les sacrements, et dans la rencontre avec les pauvres, les malades, les isolés.
Au retour de son 21e voyage apostolique, le 2 décembre 2017, le pape François a donné une conférence de presse dans l’avion. Il précisa que le général Hlaing avait demandé d’avancer son rendez-vous car il devait aller en Chine. Sur la question des Rohingyas, le pape a déclaré que des « groupes terroristes essayaient de profiter de la situation des Rohingyas, qui sont des personnes de paix. Ceux-là sont comme toutes les ethnies, toutes les religions, il y a toujours un groupe fondamentaliste. Nous aussi les catholiques, nous en avons. » Lors de la rencontre avec les représentants des autres religions, « la prière interreligieuse nous a tous préparés le cœur », explique le pape, « nous étions religieusement très ouverts. Moi, du moins, je me sentais ainsi. » (…) « Je les ai écoutés un à un, avec l’interprète. Ils me parlaient dans leur langue. Je commençais à sentir des choses à l’intérieur de moi. Je me suis dis : “je ne peux pas les laisser partir sans leur dire un mot, j’ai demandé le micro”. J’ai commencé à parler, je ne me souviens plus de ce que j’ai dit, je sais qu’à un certain moment, j’ai demandé pardon. A ce moment, je pleurais, je cherchais à ce que cela ne se voie pas. Eux pleuraient aussi. »
Au sujet des ordinands du Bangladesh, le pape confia : « J’ai toujours l’habitude, cinq minutes avant l’ordination, de parler avec eux en privé. (…) Je leur ai demandé s’ils jouaient au foot, ils m’ont tous dit ‘oui!’…, ils savent qu’ils doivent être proches de leur peuple, ils sentent qu’ils doivent être attachés à leur peuple, et ça m’a plu. » Répondant à la question de savoir s’ils avaient peur d’être prêtre, dans un pays parfois difficile pour la minorité catholique, et où un prêtre avait été enlevé quelques jours avant : « Ils m’ont semblé sereins, tranquilles, conscients de la mission » a-t-il expliqué.
« Faut-il opposer dialogue et évangélisation ? », ont demandé les journalistes français. François a redit encore son avis sur ce sujet, à savoir qu’évangéliser avant tout n’était pas faire du prosélytisme. L’Eglise grandit par attraction, par le témoignage, a-t-il répondu en insistant sur le travail de l’Esprit-Saint qui change les cœurs.
(Sources : radio vatican/eda/imedia/cath.ch/vatican.va – FSSPX.Actualités - 08/12/17)