Discours du cardinal Müller sur la réforme de la Curie

30 Septembre, 2022
Provenance: fsspx.news

Le 1er septembre, Lifesite.news a publié le texte du discours que le cardinal Gerhard Müller devait donner au consistoire de fin août, contenant une critique de la réforme de la Curie romaine souhaitée par le pape François avec le motu proprio Praedicate Evangelium (19 mars 2022). Cette critique “conservatrice” nous conduit au cœur des paradoxes ecclésiologiques du modernisme.

Le status quaestionis

Un article du site avait relevé, lors de la publication du motu proprio sur la réforme de la Curie, que le texte avait nié les nouveautés doctrinales introduites par la constitution conciliaire Lumen gentium pour permettre aux laïcs d’exercer des fonctions nécessitant une juridiction ecclésiastique.

Selon la doctrine définie par l’Eglise, la juridiction ecclésiastique, de droit divin, ne peut être reçue que par des clercs, comme le rappelle le canon 118 du Code de droit canonique de 1917. Ils ne la reçoivent pas par ordination, mais par la collation d’un office par le supérieur. Seul le pape reçoit ce pouvoir directement du Christ, et dans sa plénitude.

Mais Lumen Gentium a changé cette doctrine en affirmant que pour les évêques la juridiction ne serait pas reçue du Pape, mais du sacrement de l’Ordre lui-même. Cette erreur – condamnée par l’Eglise jusqu’à Pie XII – maintes fois réitérée dans les documents ultérieurs (surtout par le cardinal Ratzinger) et le nouveau droit canonique, fonde l’erreur de la collégialité et la praxis synodale.

Comment, dans une perspective moderniste, résoudre l’attribution systématique de la juridiction aux laïcs ? Le père Gianfranco Ghirlanda, un important canoniste créé cardinal lors du dernier consistoire, l’a expliqué de manière surprenante lors de la présentation de Praedicate Evangelium.

Le préfet d’un dicastère, explique le jésuite, « n’a pas d’autorité en raison du rang hiérarchique dont il est investi », mais en raison du « pouvoir » qu’il reçoit du pape. « Si le préfet et le secrétaire d’un dicastère sont des évêques, cela ne doit pas conduire au malentendu que leur autorité provient du rang hiérarchique qu’ils reçoivent, comme s’ils agissaient avec un pouvoir propre. Le pouvoir vicaire d’exercer un office est le même, qu’il soit reçu d’un évêque, d’un prêtre, d’un homme ou d’une femme consacré(e), d’un laïc ou d’une laïque. »

Par cette phrase, le P. Ghirlanda annule en un clin d’œil l’erreur de Lumen gentium, comme si rien ne s’était passé, mais dans le but d’inclure les laïcs dans l’exercice du pouvoir de gouvernance (ce qui est contraire à la loi divine).

L’intervention du cardinal Müller

Une telle “innovation” par rapport au dictat conciliaire n’a pas échappé au cardinal Müller, qui fonde sa critique sur l’herméneutique “orthodoxe” de Lumen gentium : « Ce n’est pas un progrès de l’ecclésiologie, mais une contradiction flagrante à ses principes fondamentaux, si toute juridiction dans l’Eglise est déduite de la primauté juridictionnelle du Pape.

« Même le grand verbiage du ministère, de la synodalité et de la subsidiarité ne peut cacher la régression vers une conception théocratique de la papauté. » Le fait que toute juridiction dans l’Eglise vienne du pape était, avant le Concile, un dogme fondamental de la religion catholique.

« Toute juridiction ecclésiastique est de nature apostolico-sacramentelle et liée au salut des âmes, par opposition à la nature politico-juridique de l’exercice du pouvoir dans un Etat, y compris l’Etat du Vatican. Pierre agit dans l’autorité du Christ en tant que son Vicaire. »

Malheureusement pour le cardinal, le Magistère jusqu’à Pie XII enseigne que la juridiction ecclésiastique n’est pas de nature sacramentelle ; quant à l’opposer à la juridiction civile pour affirmer a contrario sa sacramentalité, c’est un sophisme de tout premier ordre.

« Une Eglise totalement fixée sur le pape était et est toujours une caricature de l’enseignement catholique sur l’institution, la perpétuité, la signification et la raison de la primauté sacrée du Pontife romain (Lumen Gentium 18). Avec cette conception, tout œcuménisme avec les orthodoxes et les protestants est voué à l’échec dès le départ », continue le cardinal.

Il est donc évident que l’objectif des changements doctrinaux est de nature œcuménique. Il n’y a donc pas de vérité révélée, mais une adaptation constante aux exigences extérieures.

« En ce qui concerne la séparation classique de la potestas ordinis et de la potestas jurisdictionis, qui devrait établir une juridiction papale totale, Vatican II y a renoncé en raison de son inadéquation. Déjà selon Thomas d’Aquin, la potestas ordinis ne signifie pas simplement l’autorité d’administrer les sacrements.

« Au contraire, potestas ordinis signifie que dans l’ordination tous les pouvoirs sont conférés, même si l’office pastoral peut être limité dans sa juridiction concrète (S.Th. II-II q. 39 a.3). Il n’y a donc pas deux catégories équivalentes de potestas ecclesiastica, mais une seule potestas ordinis, dont la potestas jurisdictionis est une partie intégrante mais subordonnée. »

L’erreur conciliaire typique est réitérée, et le changement doctrinal est ouvertement reconnu : le Concile a « renoncé » à la doctrine traditionnelle. Quant à la citation de saint Thomas, dans le texte, le saint docteur expose en termes plus qu’explicites la doctrine classique, à laquelle le Concile a « renoncé ». Nous nous demandons quelle édition de la Summa le Cardinal utilise.

La suite du texte, qui définit l’Eglise comme sacrement, pensant ainsi se démarquer des protestants, devrait également être analysée de plus près. Bien qu’il semble combattre les erreurs, il entre dans des paradoxes qui méritent une analyse plus approfondie que ce court article.

Deux erreurs dialectiquement opposées

Nous sommes donc confrontés à un schéma dialectique d’erreurs opposées :

– La thèse de Ghirlanda, qui nie l’erreur de l’origine sacramentelle de la juridiction, mais dans le seul but de la conférer également aux laïcs, tombe dans une erreur tout aussi grave. Cette thèse est uniquement axée sur la participation des laïcs au gouvernement de l’Eglise.

– La thèse de Müller répète l’erreur de Lumen Gentium et de Ratzinger, selon laquelle la juridiction a pour origine et est confondue avec le pouvoir d’ordre, et pour cette raison n’est pas conférée aux laïcs ; cette thèse implique que des sujets autres que le pape reçoivent la juridiction directement du Christ, sapant le concept même de papauté (apparemment à des fins œcuméniques).

La foi catholique telle qu’enseignée par le Magistère traditionnel établit que seuls les clercs peuvent recevoir la juridiction ecclésiastique, certainement pas par le sacrement de l’Ordre, mais toujours par la plenitudo potestatis du Pape, qui est précisément en ce sens un monarque spirituel. Les deux pouvoirs sont distincts par leur nature et leur origine.

Il est intéressant de noter comment l’erreur la plus “progressiste” se sert d’un retour apparent à des éléments plus “traditionnels”, tandis que l’erreur conservatrice fait appel à une lecture “orthodoxe” du Concile. La clé pour interpréter ces paradoxes est cependant très simple : le modernisme adapte la doctrine non pas en fonction d’une recherche théologique de bonne foi, mais en fonction des besoins d’un ordre “politique”.

Hier, il fallait démolir la monarchie papale et on parlait de l’origine sacramentelle de la juridiction ; aujourd’hui, il faut parler d’égalité entre tous les baptisés et donc la juridiction peut aussi être donnée aux laïcs. Rechercher la cohérence de la pensée est totalement superflu et signifie ne pas avoir compris le fonctionnement de la “foi” moderniste.

Les conservateurs, s’ils sont de bonne foi, n’ont pas compris que « l’orthodoxie conciliaire » n’était qu’une phase dialectique ; ou s’ils s’en rendent compte, ils jouent le jeu en amenant les « bons » à réagir aux nouveautés du pape Bergoglio sur la base de leur herméneutique et non de celle du Magistère traditionnel.