L’entretien du pape François au “Corriere della Sera”

12 Mai, 2022
Provenance: fsspx.news

Le pape François a accordé à l’éditeur du Corriere della Sera, le quotidien le plus connu d’Italie, un entretien intéressant sur la question russo-ukrainienne, qui met en évidence le point de vue du Saint-Siège. L’intervention du Pontife présente un équilibre géopolitique, bien que certaines déclarations semblent manquer de cohérence et d’une vision plus élevée.

Contrairement aux nations occidentales liées à l’OTAN et à l’UE, le Saint-Siège n’a pas adhéré à la politique de guerre à tout prix contre la Russie et à l’armement de l’Ukraine. Une telle position équilibrée ne saurait être considérée comme acquise, ni exprimée en termes aussi clairs que ceux utilisés par le Pontife à cette occasion.

Un souci d’équilibre

Sur un ton faussement dubitatif, Francis se demande même si « la colère de Poutine » n’a peut-être pas été « provoquée » mais au moins « facilitée » par « les aboiements de l’OTAN aux portes de la Russie ». Une présentation des faits qui, tout en condamnant clairement l’invasion, ne divise pas le monde en « bons et méchants », et met en évidence les responsabilités de la politique américaine. Peu d’hommes de pouvoir en Occident se sont exprimés en termes aussi nets.

Le pape s’est également prononcé contre l’envoi d’armes à l’Ukraine, craignant à juste titre que cela ne serve qu’à provoquer une escalade militaire. Même cette prise de position place le Pontife apparemment en dehors du concert politiquement correct, qui est passé en très peu de temps du désarmement à la surenchère des armements et à l’augmentation des dépenses militaires.

Pour ces mêmes politiciens, exprimer des doutes sur l’utilité d’envoyer des armes à l’Ukraine équivaut à être considéré comme le complice de la Russie.

L’intention déclarée de ne pas aller à Kiev mais à Moscou, de parler à Poutine plutôt qu’au président ukrainien, semble également aller à contre-courant. Bien que probablement irréalisable, un tel objectif a une valeur politique considérable, à l’heure où la propagande occidentale ne cherche qu’à délégitimer le gouvernement russe, au lieu de le considérer comme un interlocuteur avec lequel négocier la fin des hostilités.

L’entretien avec Cyrille

La partie dans laquelle le pape raconte sa conversation avec l’évêque russe schismatique Cyrille, qui, il y a quelques semaines, avait justifié la guerre comme une « croisade » contre l’Occident perverti, est également très intéressante.

Tout d’abord, il faut rappeler qu’il ne faut pas se sentir obligé de choisir entre l’Occident corrompu et la prétendue moralité russe, certifiée par un groupe d’évêques illégitimes qui rejettent Rome et le catholicisme.

Le pape ne blâme évidemment pas Cyrille pour son schisme, étant donné la nouvelle ecclésiologie postconciliaire qui considère la secte “orthodoxe” comme une « église sœur », selon la doctrine erronée de Lumen Gentium et de Dominus Iesus.

Il est toutefois intéressant qu’il raconte avoir rappelé à Cyrille qu’un homme d’Eglise ne doit pas être un « clerc d’Etat », ni même l’« enfant de chœur » de Poutine, mais qu’il faut raisonner sur la base de l’Evangile et de manière indépendante.

Ce seraient des paroles dignes du concept de la liberté de l’Eglise, qui a toujours été fondamental pour les Pontifes romains et qui a toujours été humilié par le césaropapisme byzantin et russe, si elles ne venaient pas d’un Pontife moderniste. Car, le modernisme plie non seulement la politique ecclésiale aux exigences du pouvoir en place, mais aussi la doctrine ecclésiastique elle-même.

En fait, de la propagande du monde post-révolutionnaire, l’« Eglise conciliaire » a tiré ses nouvelles doctrines sur la liberté religieuse, l’œcuménisme, la collégialité ; sur les politiques écologiques, qui ont fait ressortir le panthéisme sous-jacent aux doctrines modernistes ; sur les politiques migratoires ; sur l’égalité de tous les baptisés, qui nie la différence entre le clergé et les laïcs ; sur la morale matrimoniale brisée par Amoris laetitia ; sur l’illégalité de la peine de mort ; sur mille autres questions, et potentiellement sur toutes.

En tant que clercs d’Etat, les évêques de nombreux pays ont agi pendant la pandémie, anticipant et obéissant sans mot dire à tous les souhaits des gouvernements, même là où ils auraient eu toute l’autonomie nécessaire pour faire face au problème.

Bartholomée de Constantinople est un tel clerc – du Département d’Etat américain –, grand ami du Pape, dont les actions en Ukraine n’ont certainement pas facilité la détente entre les deux pays, et pour lequel François n’a aucun mot de reproche.

Le Pape François fait ce qu’il reproche à Cyrille

Enfin, le pape François lui-même conclut son entretien par les déclarations d’un « clerc d’Etat », se sentant obligé de faire l’éloge de personnalités politiques italiennes qui n’ont rien de chrétien.

Le premier ministre Draghi, un homme de la haute finance internationale mis à la tête du gouvernement italien par l’Union Européenne, est défini par le Pape comme une « personne simple et directe », avec qui les relations sont excellentes ; même l’ancien Président de la République Napolitano, ancien membre du parti communiste et toujours homme de gauche, ainsi que l’actuel Président Mattarella, sont définis comme dignes d’admiration.

Mais tout cela pourrait passer pour de la politesse institutionnelle – sans doute inappropriée – s’il n’y avait pas l’éloge scandaleux d’Emma Bonino, ancienne ministre italienne et ancien membre de la Commission européenne, du Parti radical, et principal promoteur en Italie de la loi sur l’avortement et de toutes les lois les plus infâmes contre la morale naturelle.

Elle est aussi connue dans les médias parce que dans les années 1970, elle s’est vantée d’avoir procuré elle-même de nombreux avortements pour « aider les femmes ».

Répétant des déclarations qu’il avait déjà faites il y a quelques années, le Pontife – tout en affirmant, pour une fois, qu’il ne partageait pas ses idées – a déclaré sa plus grande admiration pour une telle femme, notamment en raison de sa « connaissance de l’Afrique ». Quel exemple de liberté de parole envers les dirigeants le pape peut-il donner à Cyrille ?

François conclut l’entretien par l’annonce de sa volonté de renouveler l’Eglise italienne par de nouveaux évêques qui n’ont pas une « mentalité préconciliaire déguisée » sous la doctrine conciliaire, et par un éloge du défunt Cardinal Martini.

Mais il laisse son lecteur sur un doute : comment concilier l’apparente indépendance de jugement sur la guerre avec un tel aplatissement moderniste sur les besoins du monde tels qu’interprétés par le Concile et l’après-Concile ?