
Le 27 février 2021, l’ancien pape Benoît XVI a accordé un entretien exclusif à la presse italienne, huit ans jour pour jour après l’entrée en vigueur de sa renonciation au souverain pontificat. Le pape émérite revient sur ces huit années, et livre son analyse sur l’actualité récente.
« Il n’y a qu’un pape, pas deux. » La voix qui s’adresse au rédacteur en chef du Corriere della Sera est faible, mais la pensée toujours agile. Joseph Ratzinger est assis dans le salon du premier étage du monastère Mater Ecclesiae, là où il s’est retiré du monde en mars 2013.
Luciano Fontana n’est pas venu les mains vides : il remet à l’ancien pontife romain deux caricatures qu’Emilio Giannelli, dessinateur du Corriere a réalisées tout spécialement pour lui. Le visage de l’hôte de Mater Ecclesiae s’éclaire : « ce Giannelli est une personne pleine d’esprit », dit-il avec un sourire.
Puis Benoît XVI revient sur sa renonciation faite il y a huit ans : « ce fut une décision difficile. Mais je l’ai prise en pleine connaissance de cause, et je pense que j’ai bien fait », explique-t-il.
Le prédécesseur de François évoque les remous causés par son départ : « certains de mes amis parmi les plus ‘acharnés’ sont toujours en colère, ils n’ont pas voulu accepter mon choix. Et je pense aux théories qui ont suivi : certains ont dit que c’était à cause du scandale des Vatileaks, d’autres qu’il s’agissait d’une conspiration du lobby gay, d’autres encore ont même avancé l’affaire de [Mgr] Richard Williamson. Tous ceux qui soutiennent ces théories ne veulent pas croire en un choix conscient. Mais ma conscience se porte bien. »
A Mater Ecclesiae, la vie est bien rythmée : la presse – dûment sélectionnée par les bureaux du Vatican – est lue tous les jours. L’Osservatore Romano, le Corriere della Sera et deux autres journaux allemands arrivent quotidiennement en version imprimée.
A table, on discute souvent de politique. D’ailleurs, le pape émérite confie qu’il est curieux de connaître Mario Draghi, le nouveau président du Conseil italien : « nous espérons qu’il sera en mesure de résoudre la crise, c’est un homme très respecté en Allemagne », précise-t-il.
Interrogé sur la prochaine visite du pape François en Irak, son expression devient grave, voire inquiète : « je pense que c’est un voyage très important, malheureusement, il tombe à un moment très difficile, ce qui en fait un voyage dangereux ; pour des raisons de sécurité, et aussi à cause de la Covid-19. Sans parler de l’instabilité de ce pays. J’accompagnerai François de ma prière. »
Sur le nouveau chef de l’exécutif américain, le pape émérite choisit ses mots, et montre qu’il n’a rien perdu de son habileté diplomatique : « c’est vrai, il est catholique et pratiquant. Et personnellement, il est contre l’avortement », observe-t-il.
« Mais en tant que président, il a tendance à se présenter dans la continuité de la ligne du Parti démocrate, et sur la théorie du genre, nous n’avons pas encore saisi sa position », évoquant à demi-mot la méfiance et l’hostilité d’une partie de l’épiscopat américain envers Joe Biden.
L’entretien s’achève. L’ancien pontife romain salue Luciano Fontana, et avec un sourire le remercie en désignant les deux dessins de Giannelli posés sur la table.
Dans le premier, le caricaturiste croque un Benoît XVI embrassant symboliquement une place Saint-Pierre noire de monde, tandis que François se trouve devant une place déserte, en raison des contraintes sanitaires liées à la Covid-19 : mais bien avant l’arrivée de la pandémie, le pape argentin n’attirait plus vraiment les foules.
Dans le second dessin, Benoît XVI confie les clés de l’Eglise catholique à un pape François fronçant le sourcil, quand son prédécesseur lui fait toute une série de recommandations.
Décidément, oltretevere, de la fiction à la réalité, il n’y a que l’épaisseur d’une feuille à dessin !