
Sous l’impulsion du pape François, la Curie romaine est devenue de moins en moins italophone et de plus en plus hispanophone. Le pape argentin, qui maîtrise parfaitement l’italien en raison de ses origines piémontaises, s’entoure de personnes parlant sa langue maternelle. Il a ainsi pourvu des dizaines de postes de direction avec des candidats originaires d’Espagne et d’Amérique latine.
L’italien est certes toujours la langue dominante au Vatican, mais il est aujourd’hui sérieusement concurrencé par l’espagnol, souligne l’agence allemande Katholische Nachrichten-Agentur (KNA), reprise par l’agence suisse cath.ch du 31 janvier 2022.
Au sommet de la hiérarchie, on trouve le préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, depuis 2017, le cardinal espagnol Luis Francisco Ladaria Ferrer (77 ans), qui sera bientôt remplacé en raison de son âge. Son compatriote, le cardinal Miguel Ayuso (69 ans) est président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux depuis 2019.
Ils ont été rejoints la même année par deux autres Espagnols : Juan Guerrero Alves (62 ans), préfet du Secrétariat pour l’économie, et Alejandro Arellano (59 ans), qui dirige depuis quelques mois la Rote romaine, le deuxième plus haut tribunal de l’Eglise. Et en octobre, François a nommé un Espagnol, Mgr Fernando Vérgez Alzaga (76 ans), président du gouvernorat de la Cité du Vatican.
A la Secrétairerie d’Etat, en charge des relations diplomatiques du Saint-Siège, c’est un Italien, Pietro Parolin, qui est toujours aux commandes, mais le pape lui a adjoint en 2018 l’archevêque vénézuélien Edgar Peña Parra (61 ans), comme substitut à la Secrétairerie d’Etat, ce qui fait de lui le « numéro trois » du Vatican.
Lorsque des réunions de travail rassemblent presque exclusivement des hispanophones, ces prélats se concertent dans leur langue maternelle, note KNA. Les communiqués de presse du Vatican sont également de plus en plus souvent publiés en espagnol, parfois même sans traduction en italien. En 2020, l’exhortation apostolique Querida Amazonia, était pour la première fois dévoilée en espagnol.
Cette évolution n’est pas seulement l’expression du désir du pape. Elle tient compte du poids des pays hispanophones dans l’Eglise universelle : 40 % des catholiques dans le monde vivent en Amérique latine. Ce nouvel équilibre fait que l’eurocentrisme traditionnel disparaît petit à petit.
La composition du collège des cardinaux manifeste également ce changement. En cas de conclave, il y aurait aujourd’hui 119 cardinaux électeurs. Parmi eux, 23 sont des Espagnols ou des Sud-Américains hispanophones ; ils supplantent les 20 Italiens actuels, en tant que groupe linguistique le plus important.
L’Eglise en Amérique latine, un laboratoire pour la synodalité
Il ne s’agit pas là que d’une influence linguistique prépondérante. L’Eglise en Amérique latine est très avancée dans la « synodalité » que promeut le pape François, et sur ce plan aussi son rôle ne cesse de grandir dans l’Eglise universelle. Dans cath.ch du 11 février, est publié un article de Rafael Luciani pour le Herder Korrespondenz, traduit et adapté par Davide Pesenti. Rafael Luciani est très impliqué dans cette « synodalité ».
Professeur à l’Universidad Católica Andrés Bello de Caracas (Venezuela) et au Boston College School of Theology and Ministry (Etats-Unis), il est conseiller théologique de la Conférence épiscopale latino-américaine (CELAM), de la Confédération latino-américaine des religieux et religieuses (CLAR), ainsi que de la Commission théologique du Secrétariat général du Synode des évêques. – Il est progressiste et s’exprime dans le sabir des progressistes ; son ramage se rapporte à son plumage.
Selon lui, l’Amérique latine est l’une des principales sources d’inspiration pour une nouvelle pratique synodale dans l’Eglise universelle. Le « style synodal » imprègne de facto la vie ecclésiale du continent, depuis la création de la Conférence épiscopale latino-américaine (CELAM) en 1955. « Organe de contact et de coopération », elle a fait émerger des approches collégiales nouvelles qui s’approfondissent aujourd’hui encore davantage.
Aux yeux de Rafael Luciani, les expériences de gestion participative au sein de l’Eglise catholique en Amérique latine ouvrent la voie au prochain synode des évêques convoqué par le pape François en 2023, en vue de trouver de nouveaux modèles institutionnels pour l’Eglise du troisième millénaire.
Un dernier exemple en date de synodalité sur le continent latino-américain est la création de la Conférence ecclésiale amazonienne (CEAMA). Lancée en juin 2020, son double objectif est de formuler et d’accompagner la mise en œuvre d’une « action pastorale commune avec des priorités différenciées » [sic] qui corresponde pleinement aux réalités des Eglises locales.
Réalisant concrètement l’exhortation post-synodale du pape François, Querida Amazonia (2020), la fondation de la CEAMA s’est inspirée de nouvelles formes participatives de gestion de l’Eglise, présentes depuis les années 1950.
La nouvelle Conférence est une réponse à l’invitation exprimée par le synode sur l’Amazonie (2019) de « créer un réseau ecclésial de communication panamazonien qui englobe les différents moyens utilisés par les Eglises particulières et autres institutions ecclésiales ».
La forme synodale se manifeste d’abord dans le choix de sa dénomination : il ne s’agit pas d’une « conférence épiscopale », mais d’une « conférence ecclésiale ». Elle associe, à différents niveaux de participation et dans des processus communs de discernement et de décision, des acteurs ecclésiaux et non-ecclésiaux.
On y trouve les sept conférences épiscopales des pays amazoniens, des organisations ecclésiales comme Caritas, la Confédération latino-américaine des religieux et religieuses (CLAR) et le Réseau ecclésial amazonien (REPAM), mais aussi des représentants des peuples indigènes, ainsi que des experts nommés par la présidence du CEAMA et par le pape François.
Tous les partenaires ecclésiaux participent aux discussions sur les décisions futures prises par les évêques sur la base du discernement et de délibérations communes.
Cette évolution fait suite au processus de restructuration synodale entamé en 2018 par l’ensemble de la Conférence épiscopale latino-américaine (CELAM), un processus auquel ont participé non seulement les évêques du continent, mais également des laïcs, des religieux et des prêtres, comme d’autres institutions ecclésiales.
Au terme de ce vaste processus, un nouveau modèle de gestion de l’Eglise a été adopté. Il a réformé l’organisation ecclésiale dans les trois composantes principales que sont les structures, la prise des décisions et la culture. Tant la réforme institutionnelle que le changement de vision ecclésiale ont été établis sur trois principes clés : participation, coresponsabilité et subsidiarité.
Toujours d’après Rafael Luciani, la caractéristique la plus novatrice de ce processus a été la manière « décentralisée » dont les décisions ont été prises. La procédure mise en place impliquait différentes instances de discernement et de délibération communes. Tout le travail s’est fait de bas en haut ; les décisions finales étant prises par des autorités épiscopales locales qui avaient participé à toutes les étapes du processus.
Le chemin était de longue haleine, car une structure collégiale véritablement synodale exige tout d’abord une nouvelle culture organisationnelle, basée sur le travail en commun, le partage des responsabilités, le dialogue permanent et la participation active des laïcs – en particulier des femmes. Cela, afin de dépasser l’autoritarisme et le cléricalisme qui ont pu caractériser les anciens modes de fonctionnement.
Amazoniser l’Eglise
Alors que se déroulent les phases préparatoires du synode des évêques sur la synodalité, il importe d’avoir à l’esprit cette réalisation sud-américaine de la synodalité. Rafael Luciani ne s’en cache pas. Pour lui, la structure participative du Conseil épiscopal latino-américain a favorisé un nouveau modèle d’organisation et encouragé une plus grande coopération pastorale.
Dès le départ, le Conseil épiscopal latino-américain (CELAM) découlait d’une nouvelle ecclésiologie locale qui reconnaissait le statut théologique de la réalité socioculturelle vécue dans une région spécifique, en transformant par conséquent la façon d’être et de vivre de l’Eglise.
De cette manière, chaque Eglise particulière était mieux intégrée dans une plus grande communion avec les autres institutions du continent et, de la sorte, avec l’ensemble du peuple de Dieu. Une perspective que le chemin synodal en cours désire réaliser à l’échelle de l’Eglise universelle.
Sous le jargon de cette théologie moderniste, on saisit parfaitement qu’il s’agit d’« amazoniser l’Eglise ». Nul doute que ce modèle sud-américain ne favorise l’instauration dans l’Eglise universelle de la « pyramide inversée », dont parlait François à l’occasion du 50e anniversaire de la création du synode des évêques, le 17 octobre 2015 : Jésus a constitué l’Eglise « en plaçant à son sommet le Collège apostolique, dont l’apôtre Pierre est le rocher », mais – selon lui – dans cette Eglise, « comme dans une pyramide inversée, le sommet est sous la base ». – Sans commentaire.