
« La sentence de la Cour de cassation italienne – rendue après le pourvoi d’un professeur athée de Terni – a établi qu’exhiber le crucifix n’est pas discriminatoire et a dit oui aux symboles des autres religions », a annoncé le Corriere della Sera le 10 septembre 2021.
Ainsi, le crucifix à l’école n’est pas un acte de discrimination s’il est fixé sur le mur de la classe pendant les cours d’un enseignant qui n’en veut pas.
Franco Coppoli, professeur de lettres et d’histoire à Terni, en Ombrie, décrochait systématiquement le crucifix de la salle de classe pour le replacer à la fin du cours, au nom de « la liberté de ne pas faire cours sous un symbole religieux ».
Sanctionné en 2015 pour non-respect du règlement et de la volonté de la majorité des élèves – trente jours de mise à pied et de suspension de salaire – le professeur membre actif de l’Union des athées et des agnostiques rationalistes (Uaar), a porté l’affaire devant la justice. Après avoir perdu en première instance et en appel, il s’est pourvu en cassation.
Selon l’arrêt rendu le 9 septembre dernier, il est constitutionnel pour un directeur d’école d’ordonner la fixation d’un crucifix au mur des salles de classe, sur la base d’une décision majoritaire indépendante de la communauté scolaire. Cela s’applique également aux symboles d’autres religions si celles-ci sont représentées dans la classe.
Même si la Cour suprême a décidé d’annuler la sanction disciplinaire infligée à l’enseignant, les juges ont conclu que « le fait de poser un crucifix, qui dans un pays comme l’Italie est lié au sens de la communauté et aux traditions culturelles qui y sont vécues, ne constitue pas une discrimination à l’encontre de l’enseignant ».
La demande de dommages et intérêts « formulée par l’enseignant » n’a donc pas été acceptée.
Deux lectures du jugement rendu…
Les évêques italiens ont salué cette décision. « Les juges de la Cour suprême ont confirmé que le crucifix dans les salles de classe ne provoque ni division ni opposition », a commenté Mgr Stefano Russo, secrétaire général de la Conférence épiscopale.
La Cour a ainsi reconnu l’importance de la liberté religieuse, la valeur de l’appartenance et l’importance du respect mutuel, a-t-il poursuivi. Et les juges ont, par la même occasion, rejeté une « vision laïciste de la société qui veut débarrasser l’espace public de toute référence religieuse ».
Le quotidien italien Corriere della Sera signale que l’interprétation inverse est donnée par l’Union des athées et des agnostiques rationalistes qui a soutenu l’enseignant dans son combat. Adele Orioli, en charge des initiatives juridiques de l’Uaar, déclare que : « l’incompatibilité du crucifix avec l’Etat laïc a finalement été sanctionnée noir sur blanc ».
Et elle n’hésite pas à avancer : « L’affichage autoritaire du crucifix dans les salles de classe n’est pas compatible avec le principe de l’Etat laïc. L’obligation d’afficher le crucifix est l’expression d’un choix confessionnel, et la religion catholique était un facteur d’unité de la nation pour le fascisme, mais dans la démocratie constitutionnelle l’identification de l’Etat à une religion n’est plus autorisée. »
En fait, le jugement rendu tente de concilier les deux points de vue. Une section de la Cour suprême était déjà intervenue sur cette question l’année dernière avec une ordonnance interlocutoire qui a renvoyé la décision aux sections paritaires.
Le point soumis était : à qui donner raison ? Au professeur qui s’est senti discriminé et n’a pas voulu se rallier à la décision (i.e. à la majorité) de l’assemblée des élèves de la classe de mettre le crucifix ? Ou au proviseur qui avait imposé le crucifix avec sa circulaire, que le professeur avait à plusieurs reprises retiré du mur, le sanctionnant d’une suspension de trente jours ?
La Cour suprême a fait appel aux principes de la Constitution et a répondu comme suit : « l’enseignant dissident n’a pas le droit de veto, d’interdiction absolue en ce qui concerne l’affichage du crucifix », et cependant « la circulaire du chef enseignant, consistant dans l’ordre pur et simple d’affichage du signe religieux, n’est pas conforme au modèle et à la méthode d’une communauté scolaire dialoguante (sic) ».
Finalement, la Cour suprême a décidé d’annuler la sanction disciplinaire infligée à l’enseignant, et donné la solution suivante : « La salle de classe peut accueillir la présence du crucifix lorsque la communauté scolaire concernée l’évalue et décide de manière autonome de l’exposer, en l’accompagnant éventuellement de symboles d’autres confessions présentes dans la classe, et en tout cas en recherchant un aménagement raisonnable entre des positions différentes. »
Un précédent
Une affaire similaire avait été portée devant la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’Homme, en 2011. Une mère de famille italienne athée avait demandé le retrait de Jésus sur la croix dans l’école publique de ses enfants.
Si « le crucifix est avant tout un symbole religieux », avait déclaré la Cour de Strasbourg, « le crucifix apposé sur un mur est un symbole essentiellement passif ».
Elle avait conclu qu’il n’est pas possible de « lui attribuer une influence sur les élèves comparable à celle que peut avoir un discours didactique ou la participation à des activités religieuses ».
Puisque qu’il « n’est pas associé à un enseignement obligatoire du christianisme », et que d’autre part « l’Italie ouvre parallèlement l’espace scolaire à d’autres religions », le crucifix pouvait donc être maintenu dans les salles de classe.