
En République d’Irlande, la Cour suprême vient de rendre un arrêt précisant dans quel cadre une équipe médicale peut aller contre la volonté des parents, quant au traitement médical de leur enfant. Une décision lourde de conséquences au moment où la campagne dans le pays fait rage, afin de légaliser l’euthanasie.
« Le fait de refuser le traitement d’un enfant n’exige pas nécessairement le consentement parental pour être légal, si ce refus est fondé sur une décision prise en vue de l’intérêt médical supérieur de l’enfant, et s’il apparaît contraire à l’éthique médicale de fournir ledit traitement », écrit la plus haute juridiction de l’Eire, dans son arrêt rendu le 22 janvier 2021.
Pour saisir le problème posé par une décision dont les termes demeurent assez vagues – on peut se demander dans quel sens une société de plus en plus sécularisée comprend l’expression « éthique médicale » – il convient de la remettre dans son contexte.
La Cour suprême est intervenue pour trancher un contentieux entre le corps médical et les parents du jeune John J. Ce dernier est victime d’un accident en juin 2020, qui lui laisse d’importantes lésions cérébrales, notamment un trouble dystonique, qui provoque des contractions musculaires parfois graves.
Les médecins entendent prescrire au patient un traitement à base d’analgésiques : traitement qui, s’il soulage la douleur, a pour effet de réduire la capacité respiratoire, ce qui peut causer un risque vital pour le patient.
Les parents de John refusent au nom de la protection de la vie de leur enfant, et souhaitent la mise en place d’un autre protocole.
En novembre dernier, bien que la dystonie du patient ait évolué positivement, John est placé en soins palliatifs, contre l’avis de ses parents.
L’affaire est portée devant la Haute cour qui donne raison au corps médical : les parents de John interjettent alors appel devant la Cour suprême, qui rend sa décision le 22 janvier suivant.
Le point de droit porte ici sur le fait de savoir si le refus des parents de John de consentir au traitement conseillé – un placement en soins palliatifs, disproportionné selon eux – a constitué un manquement à leurs obligations parentales, en sorte que l’Etat soit tenu de passer outre leur consentement, comme le prévoit l’article 42A de la Constitution irlandaise.
« Nonobstant le soin exemplaire et l’amour dont ont fait preuve des parents confrontés à une terrible souffrance, leur attitude dans cette affaire, peut être décrite à juste titre comme constituant un manquement à leur devoir », déclare la Cour suprême.
Plus loin, les magistrats précisent le critère appliqué : « le tribunal, dans sa décision, s’appuie sur ce qu’on est en droit d’attendre de parents éclairés, prévenants et attentionnés, dans le soin porté à leur enfant ». D’aucuns ne manqueront pas de souligner, à travers cette décision, le risque de voir de plus en plus de parents dépossédés de leurs droits, sur décision du corps médical.
Alors que le débat sur l’euthanasie fait rage en Irlande – le Dáil Éireann ou Chambre basse du Parlement a voté la légalisation du suicide assisté le 8 octobre 2020 – on reste perplexe devant l’arrêt du 22 janvier dernier, qui pourrait ouvrir la voie à l’euthanasie pure et simple d’enfants ou de patients adultes lourdement handicapés, contre le consentement de leurs parents.
Revenir aux principes
La question relève de la distinction importante soulignée par le pape Pie XII lorsqu’il s’agit de soins. Les patients, et donc les parents d’un enfant malade, sont tenus au soins ordinaires, mais ne sont pas tenus d’user des soins extraordinaires, même s’ils le peuvent. L’aspect « extraordinaire » peut aussi bien découler d’un élément objectif – pénibilité, coût, longueur du traitement, bénéfice attendu – que d’un élément subjectif : ce que peut supporter l’individu ou la famille dans tel cas donné.
C’est précisément cet aspect subjectif qui est négligé par le tribunal lorsqu’il emploie le critère sus-mentionné : « le tribunal, dans sa décision, s’appuie sur ce qu’on est en droit d’attendre de parents éclairés, prévenants et attentionnés, dans le soin porté à leur enfant ». Car aucun cas n’est similaire, et l’on ne peut se mettre à la place des autres.
Il se peut que le tribunal ait tranché droitement en l’occurrence, mais le principe sur lequel il s’appuie est dangereux, car il néglige un aspect moral important qu’avait parfaitement souligné le pape Pie XII. Ainsi, si un adulte peut refuser un traitement que le corps médical jugerait nécessaire - la morale restant sauve - il semble difficile de dénier cette capacité à des parents qui montrent une grande sollicitude pour leur enfant. Il faudrait, pour passer outre à leur volonté, montrer qu’ils agissent de manière franchement déraisonnable, ou qu'il s’agit d'un traitement ordinaire auquel tous sont tenus par la loi naturelle.
Et si l’euthanasie était votée en Irlande, les parents pourraient-ils, selon ce jugement, s’opposer à ce qu’elle soit appliquée à leur enfant, si le corps médical unanime le juge nécessaire ?