La Croisade des Albigeois (2)

30 Juillet, 2021
Provenance: FSSPX Spirituality
Saint Dominique par Fra Angelico

Ce texte est un extrait de l’œuvre apologétique de Jean Guiraud, Histoire partiale, histoire vraie (éditions Beauchesne, 1912). Jean Guiraud y démonte pièce par pièce les faux arguments de l’anticléricalisme. Un chapitre est consacré à la Croisade contre les Albigeois. La première partie a résumé les arguments des anticléricaux et montré leurs contradictions. La deuxième examine la doctrine des Albigeois.

L’Albigéisme était une religion hostile au christianisme et non une simple hérésie

De leurs doctrines métaphysiques et théologiques, les Albigeois tiraient une morale en opposition formelle avec la morale chrétienne, et MM. Aulard et Debidour se trompent grossièrement quand ils nous les présentent comme voulant tout simplement « ramener la morale chrétienne à une parfaite pureté » ; en réalité, leur idéal moral était le contraire de l’idéal chrétien et entre l’un et l’autre aucune conciliation n’était possible.

Quelles que soient les manières différentes dont les chrétiens ont essayé de mettre en pratique leurs principes, on peut cependant résumer en quelques propositions sûres la théorie que l’Eglise nous présente de la vie, de sa valeur et du but auquel elle doit tendre.

Pour elle, la vie de ce monde n’est qu’une épreuve. Incliné vers le mal par les mauvais instincts de sa nature viciée, les séductions et les infirmités de la chair, les tentations du démon, l’homme est appelé au bien par la loi divine, les bonne tendances que la chute originelle n’a pas pu faire entièrement disparaître en lui, et surtout par ce secours divin qu’il suffit de demander pour l’avoir, qui décuple les forces de la volonté humaine, sans détruire sa liberté et sa responsabilité, et que l’on appelle la grâce.

La perfection consiste à triompher des mauvais instincts de la chair, de telle manière que le corps demeure ce qu’il doit être, le serviteur de l’âme ; à subordonner tous les mouvements de l’âme à la charité, c’est-à-dire à l’amour de Dieu, de telle manière que Dieu soit à la fois le principe et la fin de l’homme, de toutes ses énergies, de toutes ses actions.

Pour cela, il faut accepter avec résignation les épreuves de la vie, les traverser avec courage et faire de toutes les circonstances au milieu desquelles on se trouve des occasions de sanctification et de salut. Qui ne voit dès lors que pour le chrétien, la vie a un prix infini, puisqu’elle lui fournit le moyen d’acquérir la sainteté et la béatitude éternelle qui en est la conséquence ? Qui ne voit que, pour lui, les actions les plus vulgaires prennent une noblesse surnaturelle lorsque, faites pour Dieu, elles apparaissent avec un reflet de l’éternité, « sub specie æternitatis ? »

Ses doctrines théologiques et métaphysiques

Tout autre était l’idée de la vie que l’Albigeois tirait de sa conception de Dieu et de l’univers. Procédant à la foi du bien et du mal par une double création, l’homme était une contradiction vivante : l’âme et le corps qui le composaient ne pouvaient jamais se concilier.

Prétendre vouloir les mettre en harmonie était aussi absurde que de vouloir unir les contraires, la nuit et le jour, le bien et le mal, Dieu et Satan. Dans le corps, l’âme n’était qu’une captive et son supplice était aussi grand que celui de ces malheureux qu’on attachait jadis à des cadavres. Elle ne pouvait retrouver la paix qu’en reprenant possession de sa vie spirituelle et elle ne devait le faire que par sa séparation d’avec le corps.

Le divorce de ces deux éléments inconciliables, c’est-à-dire la mort – la mort non seulement comme subie mais embrassée comme une délivrance, – était le premier pas vers le bonheur. Tout ce qui la précédait et la retardait n’était que misère et tyrannie. Ce monde n’était qu’une prison, et les actions humaines étaient méprisables parce que s’exerçant par un corps corrompu, elles portaient en elles le stigmate de sa corruption.

Sa morale

Dès lors, le suicide s’imposait : il était la conséquence directe de pareils principes, l’unique devoir de la vie étant de la détruire.

Chez les Cathares, dit Mgr Douais 1, le suicide était pour ainsi dire à l’ordre du jour. On en vit qui se faisaient ouvrir les veines et mouraient dans un bain ; d’autres prenaient des potions empoisonnées, ceux-ci se frappaient eux-mêmes.

L’Endura semble avoir été le mode de suicide le plus répandu chez les Albigeois. Il consistait à se laisser mourir de faim. Doellinger en a relevé plusieurs cas dans des dépositions faites devant l’Inquisition, en 1308 2, et contenues dans le manuscrit latin 4 269 de la Bibliothèque Nationale.

Sans faire de cette pratique un devoir absolu, les chefs de la secte l’encourageaient et la présentaient comme une grande marque de sainteté. En mettant les « consolés » en endura aussitôt après leur initiation, ils les garantissaient par une mort prompte contre toute tentative d’apostasie et de péché, « ne perderent bonum quod receperant », « afin qu’ils ne perdent pas le bien qu’ils avaient reçu ».

Si tous les Albigeois ne se tuaient pas, ils n’en croyaient pas moins de leur devoir de tarir le plus possible en eux les sources et les manifestations de la vie. Ils regardaient comme leurs modèles et leurs saints ceux d’entre eux qui avaient atteint les profondeurs de l’anéantissement, le nirvana. On en trouvait en Languedoc.

Barbeguera, femme de Lobent, seigneur de Puylaurens, alla voir par curiosité un de ces Parfaits. « Il lui apparut, racontait-elle, comme la merveille la plus étrange. Depuis fort longtemps, il était assis sur sa chaise, immobile comme un tronc d’arbre, insensible à ce qui l’entourait. 3 »

Négation du mariage

La théorie que se faisaient les Albigeois du mariage était la conséquence logique de l’idée profondément pessimiste qu’ils se faisaient de la vie. Si elle était, comme ils l’enseignaient, le plus grand des maux, il ne fallait pas se contenter de la détruire en soi-même par le suicide ou le nirvana ; il fallait aussi se garder de la communiquer à de nouveaux êtres que l’on faisait participer au malheur commun de l’humanité, en les appelant à l’existence.

Aussi, lorsque les Cathares conféraient l’initiation du Consolamentum, ils faisaient souscrire à l’initié un engagement de chasteté perpétuelle. 4 Les ministres albigeois ne cessaient de répéter que l’on péchait avec sa femme comme avec toute autre, le contrat et le sacrement de mariage n’étant pour eux que la légalisation et la régularisation de la débauche.

Dans l’intransigeance farouche de leur chasteté, les Purs du XIIIe siècle trouvèrent la formule qu’ont reprise de nos jours les tenants de l’union libre et du droit au plaisir sexuel : « Matrimonium est meretricium5 le mariage est un concubinage légal ».

  • 1. Douais. Les Albigeois, p. 253.
  • 2. Doellinger, Dokumente.
  • 3. Douais. Op. cit., p. 18.
  • 4. « Quod non aliquam libidinem exercerent toto tempore vitæ suæ », « qu’ils n’exercent pas l’acte de chair pendant tout le temps de leur vie ».
  • 5. Ces notes reviennent à chaque instant dans les dépositions faites par les hérétiques devant l’Inquisition. Cf. le ms. 609 de la Bibliothèque de Toulouse fos 41 et 64.