Le pape François et Judas

16 Avril, 2021
Provenance: fsspx.news
Le baiser de Judas, par Giotto

Un article paru dans l’Osservatore Romano du Jeudi saint sous la plume d’Andrea Monda, directeur du journal, révèle que le pape François possède un tableau particulier représentant Judas et le Christ ressuscité, accroché dans son bureau personnel.

Le fait est assez simple : un tableau accroché dans le bureau du pape. Mais ce tableau a une histoire, des implications et des échos dans le passé, qui nous livrent la pensée du pape et sa conception de la miséricorde. C’est à cette analyse que voudrait procéder cet article. Pour le lecteur qui veut considérer cette toile, elle se trouve en tête de l’article de Monda, ici.

Une genèse en partie connue

Le journaliste romain explique la genèse du tableau dont il est question dans l’article cité. Le pape François a plusieurs fois fait allusion à un chapiteau de la basilique Sainte-Marie-Madeleine de Vézelay – dont il possède également une reproduction dans son bureau. Ce chapiteau représenterait la pendaison de Judas, puis dans un second moment, le Christ portant le traître mort sur ses épaules, comme le bon pasteur le fait de ses brebis.

Cette affection pour ce chapiteau et pour l’explication donnée a été exposée au moins deux fois par François : le 16 juin 2016, dans son discours d’ouverture du Congrès ecclésial du diocèse de Rome et le 27 juillet de la même année, dans un échange avec les évêques polonais à Cracovie. Il y fait aussi allusion dans son homélie du 8 avril 2020.

Le journaliste de l’Osservatore Romano explique qu’un fidèle français, impressionné par cette explication a essayé de la traduire en tableau qu’il a ensuite offert au Souverain pontife.

L’interprétation papale contestée

Quoiqu’il en soit de la valeur artistique ou esthétique de cette toile, une première question se pose : la description de ce chapiteau de Vézelay est-elle valable ? L’artiste médiéval a-t-il voulu réellement représenter le Christ en bon pasteur portant Judas sur ses épaules ?

L’enquête a déjà été menée à ce sujet. En 2016, sur le site benoitetmoi, une spécialiste d’iconographie médiévale a fait des recherches poussées à ce sujet. Sa réponse est sans équivoque.

Tout d’abord, il ne peut s’agir du Christ pour diverses raisons : son habit, l’absence de barbe, et surtout l’expression de son visage qui est ambivalente – une moitié qui sourit et l’autre qui est neutre.

Il pourrait s’agir du démon qui emporte sa proie. Plusieurs détails le suggèrent.

Mais il semble bien que ce chapiteau raconte une histoire connue tirée du Livre des miracles de saint Jacques, « le pendu dépendu ». C’est la conclusion à laquelle est parvenue l’enquête de notre spécialiste. (Voir l’article de benoitetmoi.)

Le sort de Judas selon François

Mais la deuxième question plus importante, est celle du sort de Judas. Si l’on considère l’enseignement du pape François à ce sujet, il faut remarquer qu’il stigmatise son attitude et sa traîtrise, qu’il prend comme exemple du mal contemporain.

Mais par ailleurs il affirme une fois ou l’autre qu’il ne connaît pas le sort de Judas. Il s’interroge ainsi : « Cela signifie-t-il que Judas est en enfer ? Je ne sais pas. » (8 avril 2020) Il ajoute aussitôt : « Je regarde le chapiteau [de Vézelay]. Et j’entends la parole de Jésus : “Ami”. »

Dans une homélie du 6 décembre 2016, il dit encore : « Il y a une parole dans la Bible qui dit que Judas s’est pendu et repenti. Je crois que le Seigneur prendra cette parole et la portera avec lui, je ne sais pas, mais cette parole nous fait douter. »

Il faut d’ailleurs remarquer que le pape Benoît XVI avait dit quelque chose de semblable lors de l’audience générale du 18 octobre 2006. Parlant de Judas : « Bien qu’il se soit ensuite éloigné pour aller se pendre (cf. Mt 27, 5), ce n’est pas à nous qu’il revient de juger son geste, en nous substituant à Dieu infiniment miséricordieux et juste. »

La doctrine traditionnelle sur le sort de Judas

La tradition et la théologie sont loin d’être aussi incertains et dans le doute au sujet du sort de Judas. Ainsi les Pères de l’Eglise sont quasi unanimes pour affirmer la perdition éternelle du traître. Il est difficile de trouver une voix dissonante. Même unanimité chez les théologiens.

Le catéchisme du Concile de Trente affirme que la damnation de Judas est « certaine » dans son traité sur la pénitence, ainsi que dans le traité sur le sacrement de l’ordre.

L’argument principal de la doctrine traditionnelle est la parole du Christ rapportée par les évangélistes saint Matthieu (26, 24) et saint Marc (14, 21) : « Malheur à celui par qui le Fils de l’homme est livré. Mieux vaudrait pour lui que cet homme-là ne fût pas né. » Ce terrible malheur ne peut être interprété que comme la perdition éternelle.

Saint Jean rapporte également une parole du Christ à ce sujet (17, 12) : « J’ai gardé ceux que vous m’avez donnés, et pas un d’eux ne s’est perdu, hormis le fils de perdition, afin que l’Ecriture fût accomplie. » L’expression « fils de perdition » signifie : « digne de mort éternelle ».

La terrible fin du traître par le suicide, que rapporte saint Pierre dans les Actes des Apôtres (1, 18), ne vient que corroborer la sentence du Fils de Dieu.

De ces textes, les théologiens concluent que la damnation de Judas appartient à la révélation. Mais de quelle manière ? S’agit-il d’un dogme ? Non, certes, car un dogme doit être déclaré par l’Eglise, et ce n’est pas le cas – et cela ne le sera jamais, car l’Eglise ne tranche pas solennellement sur une damnation.

Mais le théologien affirmera que cette damnation est « certaine », car elle peut être déduite de la parole du Christ. Cette vérité s’impose à notre adhésion sous peine du péché de « témérité » ou même d’« erreur dans la foi » 1. Celui donc qui s’oppose à cette vérité, met la foi en danger et méprise la tradition qui la soutient.

Il resterait à chercher comment une fausse miséricorde peut amener à se montrer ainsi « téméraire » avec une affirmation tirée de la Sainte Ecriture, et prononcée par le Christ lui-même.

  • 1. Cf. L'Ami du clergé, 1931, p. 393.
Le chapiteau de Vézelay relatant le pendu-dépendu