Le voyage du pape en Irak : le rêve du dialogue et la réalité de la persécution

27 Mars, 2021
Provenance: fsspx.news
L’intérieur de la cathédrale de Bagdad

Le pape François a sillonné l’Irak durant trois jours, du 5 au 8 mars 2021, à l’occasion de son 33e voyage apostolique, de Bagdad aux plaines d’Ur, puis à Mossoul, Erbil et Qaraqosh dans le nord martyrisé par les djihadistes. 

Le 5 mars à Bagdad

A son arrivée à l’aéroport international de Bagdad, vendredi 5 mars, le souverain pontife a été accueilli par le cardinal Louis Raphaël Sako, patriarche de Babylone des Chaldéens, ainsi que le Premier ministre irakien, Moustafa al-Kazimi.

Il a ensuite rejoint le palais présidentiel pour une cérémonie officielle de bienvenue et un entretien de courtoisie avec le président de la République irakienne, Barham Salih.

Au palais présidentiel, le pape s’est adressé aux autorités, aux membres de la société civile et du corps diplomatique, dans une terre qui est le « berceau de la civilisation, étroitement liée, à travers le patriarche Abraham et de nombreux prophètes, à l’histoire du salut et aux grandes traditions religieuses du judaïsme, du christianisme et de l’islam » :

« Je viens comme un pénitent qui demande pardon au Ciel et aux frères pour de nombreuses destructions et cruautés. Je viens comme pèlerin de paix, au nom du Christ, Prince de la paix. »

Enfin, le pape a rencontré les évêques, prêtres, religieux et séminaristes du pays, à la cathédrale syro-catholique Notre-Dame-de-l’Intercession de Bagdad où, le 31 octobre 2010, veille de la Toussaint, un groupe terroriste islamiste avait fait irruption en pleine messe.

Deux prêtres et 46 fidèles avaient été tués, 56 autres personnes blessées. Des familles entières prises en otage puis assassinées, un troisième prêtre mort des suites de ses blessures. L’attaque avait été revendiquée par un groupe de la mouvance d’Al-Qaïda.

Mgr Yousif Thomas Mirkis, archevêque chaldéen de Kirkouk, au nord du pays, a confié à Vatican News : « Le pape s’est penché sur une Eglise martyre, et les gens ont été très touchés de voir que le pape a eu des paroles de proximité. Lui qui vient de si loin, il a été si proche, il est vraiment un vrai père pour un peuple qui n’a pas pu sortir depuis 11 ans du marasme de ce fanatisme qui s’est développé.

« Il y a 11 ans, il y a eu 48 morts dans cette église dont deux prêtres, et beaucoup de blessés. Et quatre ans après, il y a 120 000 personnes qui ont quitté la Plaine de Ninive et les 13 villes et villages chrétiens pour se réfugier ailleurs. Donc il y a une histoire très blessée, très difficile à assumer. »

Le 6 mars à Nadjaf et à Ur : le rêve de François

Le samedi 6 mars a été marqué par deux événements : la rencontre avec le grand ayatollah Ali al-Sistani du matin, et la réunion interreligieuse de l’après-midi.

La fraternité humaine, d’Abou Dabi à Bagdad

Selon Sandro Magister sur Settimo Cielo du 8 février, le principal objectif de ce voyage était cette rencontre avec al-Sistani, car le pape voulait que le grand ayatollah chiite appose sa signature sur le document cosigné à Abou Dabi, en 2019, par lui et le grand imam sunnite d’Al-Azhar, afin de « montrer au monde combien la “fraternité humaine” prêchée par le chef de l’Eglise catholique pouvait rassembler même les deux courants de l’islam historiquement ennemis ».

Sur ce point cette visite aura été un échec, le grand ayatollah n’a pas signé. Seule consolation pour François, l’Irak organisera désormais une « Journée nationale de la tolérance et de la coexistence » chaque 6 mars, comme l’a annoncé le Premier ministre Moustafa al-Kazimi. Cette journée nationale fera écho à celle que l’ONU a lancée, le 21 décembre 2020, la « Journée internationale de la fraternité humaine », célébrée tous les 4 février « en faveur de la paix, de la tolérance, de l’inclusion, de la compréhension et de la solidarité », à la suite de la Déclaration d’Abou Dabi « pour la paix mondiale et la coexistence commune ».

Au cours de la conférence de presse qu’il a donnée dans l’avion du retour, le 8 mars, François a déclaré que même si la Déclaration d’Abou Dabi n’a pas été signée avec les chiites, cela devrait se faire un jour, selon lui.

Et il en a profité pour renouveler sans sourciller son attachement à ce document qui est « comme il est », mais c’est un « premier pas », sur le « chemin de la fraternité. […] Combien de siècles pour y arriver ! »

Et d’insister, en assumant tous les « risques » du dialogue interreligieux promu par Vatican II : « C’est important la fraternité humaine, comme humains nous sommes tous frères. On doit avancer avec les autres religions. Le concile Vatican II a permis un grand pas, l’institution a suivi après. […] Il faut souvent prendre des risques pour faire ce pas.

« Il y a quelques critiques, à savoir que le pape n’est pas courageux, qu’il est inconscient, qu’il fait des pas hors de la doctrine catholique, qu’il est à un pas de l’hérésie ! Ce sont des risques. Ces décisions se prennent toujours par la prière, dans le dialogue, en demandant conseil. C’est une réflexion, pas un caprice. C’est aussi la ligne du concile Vatican II. »

A l’occasion de la publication de la Déclaration d’Abou Dabi, l’abbé Davide Pagliarani, Supérieur général de la Fraternité Saint-Pie X avait rappelé dans un communiqué du 24 février 2019 : « Depuis plus de cinquante ans, l’œcuménisme moderne et le dialogue interreligieux n’en finissent pas de présenter au monde un Christ diminué, méconnaissable et défiguré. […]

« C’est une vérité de foi que le Christ est Roi de tous les hommes, et qu’il veut les réunir dans son Eglise, son unique Epouse, son seul Corps mystique. Le royaume qu’il instaure est un règne de vérité et de grâce, de sainteté, de justice et de charité, et en conséquence pacifique.

« Il ne peut y avoir de vraie paix hors de Notre Seigneur. Il est donc impossible de trouver la paix en dehors du règne du Christ et de la religion qu’il a fondée. Oublier cette vérité, c’est bâtir sur du sable, et le Christ lui-même nous avertit qu’une telle entreprise est destinée à périr (cf. Mt 7, 26-27). »

Ce rêve d’une fraternité humaine, en dehors de Jésus-Christ, est encouragé par le dialogue interreligieux promu par Vatican II, comme le rappelait François dans l’avion du retour. Il se nourrit d’un autre rêve, celui de voir l’islam opérer un jour la même transformation que l’Eglise lors du Concile.

C’est ce qu’affirmait Benoît XVI dans son discours à la Curie romaine du 22 décembre 2006 : « Dans un dialogue à intensifier avec l’Islam, nous devrons garder à l’esprit le fait que le monde musulman se trouve aujourd’hui avec une grande urgence face à une tâche très semblable à celle qui fut imposée aux chrétiens à partir du siècle des Lumières et à laquelle le concile Vatican II a apporté des solutions concrètes pour l’Eglise catholique au terme d’une longue et difficile recherche. […]

« Il est nécessaire d’accueillir les véritables conquêtes de la philosophie des Lumières, les droits de l’homme et en particulier la liberté de la foi et de son exercice, en y reconnaissant les éléments essentiels également pour l’authenticité de la religion.

« De même que dans la communauté chrétienne, il y a eu une longue recherche sur la juste place de la foi face à ces convictions – une recherche qui ne sera certainement jamais conclue de façon définitive – ainsi, le monde musulman également, avec sa tradition propre, se trouve face au grand devoir de trouver les solutions adaptées à cet égard. Le contenu du dialogue entre chrétiens et musulmans consistera en ce moment en particulier à se rencontrer dans cet engagement en vue de trouver les solutions appropriées. »

En clair, les musulmans sont invités à rédiger leur propre Dignitatis humanæ sur la liberté religieuse, à partir des conquêtes de la philosophie occidentale des Lumières.

On appréciera le réalisme de tels songes qui oublient les trois piliers de l’interprétation du Coran, fixés au tournant du XIe siècle pour effacer ses incohérences, et toujours en vigueur aujourd’hui.

Le troisième consiste précisément dans la « fermeture des portes de l’ijtihad », autrement dit l’arrêt de l’effort de réflexion sur la religion et du travail d’interprétation. Elle interdit tout examen critique du Coran et de la religion. (Cf. Connaissance de l’Islam, FSSPX.Actualités, mars 2019)

La prière des enfants d’Abraham

L’après-midi du 6 mars, à Ur, la ville d’origine d’Abraham, François a présidé une rencontre interreligieuse. Comme le souligne Jeanne Smits sur son blogue : dans le discours du pape « Dieu a été invoqué comme le “Très-Haut”, mais pas la très Sainte Trinité, et Notre Seigneur Jésus-Christ était absent des textes. Il ne pouvait en être autrement, car il s’agissait de souligner la fraternité des religions dites “monothéistes” dont Abraham était présenté comme le fondateur. »

Même syncrétisme pour la prière commune des « enfants d’Abraham » adressée à « Dieu Tout-Puissant et Créateur, afin que tous puissent dire la même prière sans paraître se soumettre aux autres religions ». Il n’y a été fait aucune distinction entre les divers croyants de la foi « abrahamique », ni avec « d’autres croyants et toutes les personnes de bonne volonté »

Pour cette prière interreligieuse, se tenaient autour du pape des représentants des communautés chrétiennes et musulmanes, mais aussi des croyants des religions yézidie, sabéenne et zoroastrienne qui ont tous prié ensemble. Il est à noter que cette réunion qui devait rassembler tous les « enfants d’Abraham », s’est faite sans les juifs dont la présence en Irak est plus que risquée.

A ceux qui seraient tentés de penser que ces déclarations et prières interreligieuses ne sont que des mots sans conséquences concrètes, on rappellera que la construction d’une « Maison de la famille abrahamique », à Abou Dabi, devrait s’achever en 2022, réunissant sur le même site une église, une mosquée et une synagogue. (Voir DICI n°391, décembre 2019)

De retour en fin de journée à Bagdad, le pape François a célébré une messe en rite chaldéen dans la cathédrale Saint-Joseph, en présence d’une assistance restreinte dont le président Barham Salih et plusieurs dignitaires musulmans.

Le 7 mars à Mossoul

Dimanche 7 mars, après avoir atterri à Erbil, capitale du Kurdistan irakien, François s’est rendu dans la ville de Mossoul, capitale de la province de Ninive et chef-lieu de la Haute-Mésopotamie.

Le Saint-Père a présidé une prière pour les victimes de la guerre qui a dévasté le pays et cette ville martyre en particulier. La tribune installée pour l’accueillir était sur une place encadrée des ruines de quatre églises, parmi lesquelles l’église catholique de l’Immaculée Conception, témoins de la destruction d’une ville occupée par l’Etat islamique de 2014 à 2017 et théâtre de l’exil de nombreux chrétiens.

Le pape a été accueilli par Mgr Michael Najeeb, archevêque chaldéen de Mossoul, un prêtre catholique et un musulman qui ont livré un témoignage sur la paix et la coexistence entre les religions. Le père dominicain Michael Najeeb avait entrepris une politique de numérisation des manuscrits dont certains remontent au XIe siècle. En 2014, à l’arrivée de Daesh à Mossoul, il réussit à organiser le sauvetage de centaines de manuscrits afin qu’ils ne soient détruits par les islamistes.

Prenant la parole, le pape a prié de façon syncrétiste : « Seigneur notre Dieu, dans cette ville, deux symboles témoignent du perpétuel désir de l’humanité de se rapprocher de toi : la mosquée al-Nouri avec son minaret al-Hadba, et l’église Notre-Dame de l’horloge. C’est une horloge qui depuis plus de cent ans rappelle aux passants que la vie est brève et que le temps est précieux. »

François a visité ensuite Qaraqosh, grande ville chrétienne de la plaine de Ninive, où résidaient avant 2014 près de 50 000 chrétiens, et qui a beaucoup souffert ces dernières années en raison de la guerre et des exactions du groupe Etat Islamique. Son patrimoine religieux et intellectuel chrétien a été en grande partie détruit par les terroristes.

Dans la cathédrale, vandalisée par Daesh, il a été reçu par le patriarche d’Antioche des Syriens catholiques, Mgr Ignace Youssef Younan : « La foule qui vous a accueilli, en tant que père et pasteur, fait partie de ces chrétiens qui ont été déracinés en 2014 de leurs maisons à Qaraqosh, Bartella, Baashika, Karamless, et d’autres villages de la plaine de Ninive. Parmi eux se trouvent également certains de nos voisins : les musulmans arabes, les Kurdes, les Shahbaks, les Turcomans, les Yézidis et les Kakaïs. »

Mgr Younan, qui réside au Liban où se trouve son patriarcat, appartient à l’Eglise syriaque catholique issue de la communauté syriaque d’Antioche. Cette dernière avait rompu avec Rome et Constantinople au concile de Chalcédoine en 451. Elle a renoué avec Rome à partir du 17e siècle. Ses fidèles se trouvent majoritairement au Liban, en Syrie et en Irak.

François est revenu sur le patrimoine spirituel irremplaçable de cette communauté chrétienne qui a tenu dans la foi malgré les épreuves : « Vous avez devant vous l’exemple de vos pères et de vos mères dans la foi qui ont adoré et loué Dieu en ce lieu. Ils ont persévéré dans une ferme espérance sur leur chemin terrestre, faisant confiance à Dieu qui ne déçoit jamais et qui nous soutient toujours de sa grâce ».

« Vous n’êtes pas seuls ! L’Eglise tout entière vous est proche, par la prière et la charité concrète. Et dans cette région, beaucoup vous ont ouvert les portes quand il y en avait besoin », a lancé le pape en signe de réconfort. « Le pardon est nécessaire pour demeurer dans l’amour, pour demeurer chrétien », a exhorté le souverain pontife. 

Pour la dernière étape de son voyage apostolique en Irak, le pape François a célébré le dimanche 7 mars après-midi une messe au stade Franso Hariri d’Erbil, capitale du Kurdistan irakien. Environ 10 000 personnes étaient rassemblées, les principales autorités provinciales étaient présentes, et la messe a été représentative de la diversité ethnique qui coexiste dans cette province, avec des lectures et chants en arabe, en chaldéen, en kurde, en anglais et en italien.

Une statue de la Vierge Marie avait été installée près de l’autel, apportée depuis la ville de Karamless : décapitée et les mains brisées il y a quelques années par les djihadistes de Daesh lors de leur offensive sur la Plaine de Ninive, cette statue est en cours de restauration.

S’appuyant sur la lecture de saint Paul, François a expliqué que la puissance et la sagesse de Dieu s’expriment surtout « par la miséricorde et le pardon : Il n’a pas voulu le faire par des démonstrations de force ou en imposant d’en haut sa voix, ni par de longs discours ou des étalages de science inégalable. Il l’a fait en donnant sa vie sur la croix.

Il a révélé sa sagesse et sa puissance divines en nous montrant, jusqu’à la fin, la fidélité de l’amour du Père, la fidélité du Dieu de l’Alliance qui a fait sortir son peuple de l’esclavage et l’a guidé sur le chemin de la liberté. […] Dieu ne nous laisse pas mourir dans notre péché. Même quand nous lui tournons le dos, il ne nous abandonne jamais à nous-mêmes. Il nous cherche, il nous suit pour nous appeler au repentir et pour nous purifier. […] Il nous fortifie afin que nous sachions résister à la tentation de chercher à se venger, qui fait s’enfoncer dans une spirale de représailles sans fin. »

Le pape a conclu son homélie en confiant les fidèles présents « à la protection maternelle de la Vierge Marie qui a été associée à la passion et à la mort de son Fils, et qui a participé à la joie de sa résurrection. Qu’elle intercède pour nous et nous conduise à lui, puissance et sagesse de Dieu. »

Il est ensuite reparti pour Bagdad, pour une troisième et dernière nuit à la nonciature apostolique, avant de prendre l’avion lundi matin, 8 mars, pour regagner Rome.