
L’Ordre souverain de Malte est toujours soumis à des dissensions internes. L’été 2020 a été marqué par une opposition entre les chevaliers sud-américains et allemands contre les nord-américains. La question en débat : la réforme et par conséquent le contrôle d’une institution dont le poids humain et financier demeure considérable.
Origine et activité de l’Ordre de Malte
L’Ordre de Malte remonte au XIe siècle. Ses origines sont liées à la défense et à l’assistance des pèlerins de Terre Sainte. Son statut actuel est double : religieux, pour les membres ayant fait des vœux, ce qui n’est pas la majorité ; et juridique : il est sujet souverain de droit international. Toutefois, cette souveraineté est fonctionnelle, c’est-à-dire qu’elle dépend de la reconnaissance individuelle de chaque état avec lequel l’Ordre entretient une relation diplomatique.
L’Ordre revendique 13.500 membres, tous laïcs, voués à l’exercice de la charité chrétienne. Il faut ajouter 80.000 bénévoles permanents qui aident les membres dans leurs actions charitables.
Aujourd'hui, l'Ordre de Malte opère dans l'assistance médicale et sociale et dans le domaine des interventions humanitaires. Il bénéficie de l’appui de 42.000 professionnels, surtout dans le domaine médical et paramédical. Il gère de nombreuses installations : hôpitaux, cliniques, centres médicaux, établissements pour personnes âgées et handicapées, maisons pour les malades en phase terminale.
L’Ordre est présent dans plus de cent vingt pays. Il a établi des relations diplomatiques avec cent dix États, ce qui facilite son activité humanitaire dans le monde entier. Il peut ainsi engager son agence de secours – le Malteser International – lors des catastrophes naturelles. Il est enfin présent dans l’assistance aux malades atteints de la lèpre.
Le financement des activités se fait principalement à travers la générosité des membres et les dons privés. Pour les activités dans les pays les plus pauvres, l'Ordre bénéficie du soutien financier de la Commission européenne et d’autres organisations internationales.
L’Ordre est gouverné par un Grand Maître, élu à vie par le Conseil Complet d’Etat, assisté du Souverain Conseil, dont les membres sont élus par le Chapitre général – l’assemblée des représentants des membres de l’Ordre qui se réunit tous les cinq ans.
L’origine factuelle de la crise actuelle
La crise se dessine en novembre 2016, quand le Grand Maître destitue le Grand Chancelier (ministre des Affaires étrangères et chef de l’exécutif). Il lui reproche d’avoir laissé distribuer des préservatifs et de contraceptifs, y compris abortifs, en Afrique et en Asie pour lutter contre le trafic sexuel et le sida. L’accusé se défend et refuse de se démettre.
Le Saint-Siège, qui possède une autorité sur l’Ordre en tant que société religieuse, décide d’enquêter, ce que refuse le Grand Maître, au nom de son indépendance juridique et de la souveraineté de l’Ordre, inscrite dans sa Constitution. Mais le Saint-Siège poursuit. L’affaire tourne au conflit entre le Grand Maître et le Vatican.
Le fait que le cardinal protecteur de l’Ordre, le cardinal Raymond Burke, soutienne le Grand Maître, n’est pas pour apaiser le conflit. L’on se souvient que le cardinal Burke est signataire, avec trois autres cardinaux, des dubia adressés à François sur Amoris laetitia.
Le pape François obtiendra finalement la démission du Grand Maître. Il exige de plus une réforme de l’Ordre.
Une dissension profonde sur l’avenir de l’Ordre
Deux éléments sont source d’une grave dissension au sein de l’Ordre depuis des années. D’abord, les intérêts économiques et financiers, dont la gestion reste conflictuelle.
Mais la difficulté principale porte sur l’essence même de l’Ordre : doit-il demeurer un organisme, à forte empreinte religieuse, lié à la saine doctrine catholique, comme il l'a toujours été ? Ou doit-il évoluer vers une structure plus laïque, plus semblable à une ONG libérée de certains devoirs ?
Le 3 septembre dernier, les chevaliers ont certes célébré à Salerne le 900e anniversaire de la mort du bienheureux Gérard de Saxe, fondateur de l’Ordre de Malte. Mais l’unanimité ne semble pas de mise.
Manœuvres en coulisse
Au printemps dernier, à l’occasion du confinement, l’association nationale allemande de l’Ordre, a cherché à accélérer le train des réformes visant à élargir le recrutement des chevaliers profès, l’un des points de discorde.
Le 6 juillet dernier, le débat se déplace au Nouveau monde : les chevaliers du Canada et des Etats-Unis, dénoncent au Vatican les manœuvres allemandes, déplorant ne plus avoir voix au chapitre. Avec l’aval du pape, le cardinal Becciu intervient afin d’exiger de tous – des Allemands en particulier – le respect des Constitutions.
Le 30 juillet suivant, c’est au tour des présidents des associations nationales d’Amérique du Sud – au nombre de huit – d’écrire au délégué spécial, pour se plaindre, cette fois-ci, de l’attitude des chevaliers d’Amérique du Nord, qu’ils estiment hostiles à toute réforme de l’Ordre.
« Le ton de la lettre [des chevaliers nord-américains] nous attriste, car elle pose des obstacles indésirables et improductifs dans le long et complexe processus de réforme engagé », dénoncent les membres sud-américains de l’Ordre.
Prochaine étape : le mois de novembre 2020. Un nouveau grand maître doit être élu – ou, à défaut, un lieutenant du grand maître, si aucune figure consensuelle n’émerge. C’est lui qui aura la lourde charge de faire voter – et accepter – les nouvelles Constitutions de l’Ordre.
L’enjeu est immense : il s’agit d’une part du contrôle d’une institution présente de façon inégalée dans le monde, agissant à divers échelons de la société civile, et dont les ressources humaines et financières ont de quoi aiguiser de nombreux appétits. Mais d’autre part, il s’agit du statut d’un très ancien Ordre qui a traversé les siècles en répandant le bien, et qui risque de perdre son caractère propre.