Procès du Vatican : le cardinal Becciu se défend bec et ongles

13 Mai, 2022
Provenance: fsspx.news
Cecilia Marogna et sœur Gloria Cecilia Narvaez

Affaire Marogna, investissement douteux à Londres, pot-de-vin en Australie, largesses en Sardaigne : l’ancien substitut de la secrétairerie d’Etat a fait feu de tout bois pour se disculper des accusations portées contre lui, lors de la quatorzième audience du procès qui se tient actuellement au Vatican.

« Même en Angola, où j’ai exercé en qualité de nonce, pendant sept ans et demi, on m’a rapporté que la chaîne de télévision nationale avait consacré une semaine de reportages à mon sujet ! » Le ton est donné dès le début de la quatorzième audience du procès, dans la salle polyvalente des Musées du Vatican.

Les journalistes sont au rendez-vous, en ce 5 mai 2022, pour la deuxième partie de l’interrogatoire du cardinal Angelo Maria Becciu, principal accusé de ce que la presse qualifie de « procès du siècle ».

Le porporato déchu commence par prendre la parole : il ne la lâchera pas durant plus de deux heures, afin de faire entendre sa vérité, tout au long d’une déclaration préliminaire de cinquante pages…

Le haut prélat était particulièrement attendu sur la nature de ses relations avec Cecilia Marogna, une « consultante en sécurité » qui a reçu des sommes considérables de la Secrétairerie d’Etat, pour – selon elle – mener des activités de renseignement classifiées, jusqu’à une récente décision du pape François. Sommes dont une bonne partie aurait été détournée à des fins personnelles, selon le promoteur de justice.

Mgr Becciu est heureux de pouvoir tout dire : « je remercie le Saint-Père d’avoir levé le secret pontifical, me permettant ainsi de parler librement et de me défendre en toute transparence ».

En bon tacticien, l’accusé sait que la meilleure défense, c’est l’attaque : « il me faut ici exprimer avec force l’indignation qui est la mienne face à la façon dont cette relation a été déformée par des insinuations blessantes, de la nature la plus basse – préjudiciable aussi – à ma dignité sacerdotale », lance le cardinal.

Avant d’ajouter : « cette façon de faire trahit également le peu de considération envers les femmes en général, et cela m’amène à me demander si un tel traitement aurait été réservé à un homme ».

Le prélat sarde confirme : il a bien embauché Cecilia Marogna « impressionné par sa compréhension de la géopolitique et par l’estime que lui accordaient deux hauts responsables des services secrets italiens, les généraux Luciano Carta et Gianni Caravelli ».

Si la jeune femme a été recrutée, c’était pour faciliter la libération d’une religieuse colombienne, sœur Gloria Cecilia Narvaez, enlevée au Mali par l’organisation Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI).

« Chaque étape de sa libération a été convenue avec le Saint-Père » – dont le versement d’un million d’euros – ajoute le cardinal : le Saint-Père m’a invité à assumer directement la responsabilité de l’initiative, précisant « que l’affaire devait rester confidentielle entre lui et moi. (…) Je n’ai eu aucune difficulté à servir le Saint-Père, en accomplissant fidèlement et scrupuleusement sa volonté. »

Ce qui confirme officiellement que le Vatican est prêt à payer une rançon en échange de la libération d’un otage. Mais il est connu que des pays qui affirment ne jamais négocier, paient discrètement des rançons.

De son côté l’accusation ne paraît pas convaincue, affirmant avoir la preuve d’un transfert de 575 000 euros sur les comptes slovènes de Cecilia Marogna, et d’importantes notes de frais au nom de cette dernière, dépensées auprès de luxueuses enseignes : Prada et Vuitton, entre autres.

En ce qui concerne l’investissement londonien, l’ancien substitut tente de renvoyer la balle, mais cette fois, dans le camp de ses anciens subordonnés, expliquant avoir toujours fait « la plus totale confiance » à ses collaborateurs qu’il considérait comme étant « plus experts que lui », dans toutes ces questions financières.

Sur les sommes versées par son intermédiaire à Ozieri, son diocèse d’origine, pour enrichir des membres de sa famille, le cardinal déchu répond que « ses fonctions ne (lui) permettaient pas de faire cela » ; et de s’emporter : « pourquoi ces fausses accusations rapportées au Saint-Père ? Comment la personne du Saint-Père pourrait-elle être exploitée en créant un scandale d’une gravité sans précédent dans l’Eglise ? »

Sur le transfert de fonds du Vatican vers l’Australie – 1,4 million d’euros qui aurait été utilisé pour obtenir la condamnation du cardinal George Pell, son ennemi juré à la Curie – Mgr Becciu balaie l’accusation d’un revers de mains : « depuis plus d’un an, je suis exposé à une vindicte publique insupportable, sur l’accusation honteuse de financer même de faux témoignages contre un confrère, le cardinal Pell, avec de l’argent de la secrétairerie d’Etat, qui plus est », s’insurge-t-il.

S’il admet que la somme en question a bien été versée, ce ne serait que « pour le paiement du domaine Internet “catholic”, opération réalisée auprès de l’ambassade d’Australie près le Saint-Siège, dont la preuve se trouve dans le procès-verbal 2112/21/RS du 18 février 2021 », précise le prévenu.

L’audience devait s’achever vers 16h45, après une courte interruption due à une passe d’armes houleuse entre le cardinal sarde et Alessandro Diddi, le magistrat qui mène l’accusation. La prochaine audience a été fixée au 18 mai, et verra se poursuivre l’interrogatoire du cardinal.

Comme ses co-accusés, le cardinal Becciu contribue – tel un système de défense – à faire planer l’ombre du pape sur le procès : « je suis de la vieille école, vous savez, celle où l’on apprend In odiosis non feci nomen pontifici, c’est-à-dire qu’on essaie de préserver l’autorité morale du pape en ne l’impliquant pas trop dans les choses terrestres, cela ne veut pas dire qu’on ne le tient pas informé, mais qu’on veut le protéger ».

Tout le monde, dans la salle d’audience, aura perçu la salve tirée en direction de Sainte-Marthe : on n’est jamais sarde à moitié…