Qu’y a-t-il dans le livre du cardinal Müller ?

07 Mars, 2023
Provenance: fsspx.news

Dans un livre-entretien paru en italien aux éditions Solferino, le 27 janvier 2023, intitulé In buona fede [De bonne foi], co-écrit avec la journaliste du quotidien italien Il Messaggero Franca Giansoldati, le cardinal Gerhard Ludwig Müller, ancien préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, critique la manière dont le pape François traite certains dossiers sensibles, et s’inquiète de la « confusion doctrinale » qui règne autour du synode sur la synodalité.

L’agence romaine I.Media reprise par cath.ch du 29 janvier, cite plusieurs extraits de l’ouvrage. En premier lieu, le cardinal Müller se défend d’être un « opposant » à François : « Toute personne qui émet une critique constructive est accusée […] d’être un ennemi de François. »

Or, « s’il y a des choses à signaler pour améliorer la situation générale, le seul moyen est de parler clairement », affirme-t-il, prenant exemple sur sainte Catherine de Sienne qui a eu « des mots très durs contre les papes, mais jamais contre la papauté ».

Certes, l’ancien préfet de la Congrégation de la foi revient sur sa mise à l’écart brutale survenue le 30 juin 2017, comme un « coup de tonnerre dans un ciel serein », mais ses critiques les plus sévères visent les proches conseillers du pape. Il déplore l’existence d’un « cercle magique qui gravite autour de Sainte-Marthe, formé de personnes […] qui ne sont pas préparées d’un point de vue théologique ».

Il estime qu’au Vatican, « les informations circulent désormais en parallèle, d’une part les canaux institutionnels malheureusement de moins en moins consultés par le souverain pontife, et d’autre part ses canaux personnels utilisés même pour les nominations d’évêques ou de cardinaux ».

Le cardinal Müller signale le cas de Mgr Gustavo Zanchetta, « controversé, car il jouissait d’un statut privilégié en tant qu’ami du pape ». Ce dernier, condamné pour abus contre des séminaristes dans son pays, avait été employé pendant plusieurs années par le pape au sein de la banque du Vatican.

Plus largement, le cardinal allemand dénonce un traitement de faveur accordé aux prêtres italiens condamnés pour abus. Ceux-ci, affirme-t-il, bénéficient de l’intercession « d’amis influents » à Sainte-Marthe que n’ont pas les « clercs de nationalité polonaise, américaine ou autre », et qui sont condamnés par la justice de l’Eglise.

Autoritarisme et favoritisme

Il n’est pas certain, nous semble-t-il, que cette influence officieuse soit à l’origine de toutes les disgrâces et décisions arbitraires que le cardinal Müller dénonce.

Il dit ainsi ne pas comprendre l’intervention du pape dans le diocèse de Toulon : le pape a interdit à Mgr Dominique Rey d’ordonner quatre futurs prêtres « parce qu’ils appartenaient à la catégorie conservatrice ».

Tout en reconnaissant ne pas savoir s’il y a d’autres problèmes derrière cette affaire, il estime que le pape a empiété sur les prérogatives de l’évêque en place. Le diocèse de Toulon-Fréjus fera d’ailleurs l’objet d’une visite canonique dans les prochains mois.

Le cardinal Müller cite également le cas d’un évêque du centre de l’Italie qui aurait été « renvoyé » parce qu’il avait manifesté son désaccord sur « quelques mesures anti-covid » prises par le gouvernement. « Le pape n’aurait pas dû pouvoir le destituer », insiste-t-il, rappelant qu’il ne peut le faire que si l’évêque met en péril la foi catholique ou l’unité de l’Eglise.

Enfin, le prélat allemand déplore le remplacement, pour des raisons idéologiques, de Mgr Livio Melina à la tête de l’Institut pontifical Jean-Paul II pour les sciences du mariage et de la famille. Ce dernier a été remplacé par Mgr Vincenzo Paglia « qui n’a pas de compétence spécifique dans ce domaine », un affront – selon lui – au principe de la « liberté universitaire ».

Echec de la réforme de la Curie

Au sujet de la réforme de la Curie romaine, l’ancien préfet se montre très sévère contre la nouvelle constitution apostolique Prædicate Evangelium. Cette réforme réduirait selon lui la Curie romaine « à une corporation qui œuvre pour fournir une assistance aux “clients”, les conférences épiscopales ».

Il souligne aussi le paradoxe de la « décentralisation » annoncée, considérant qu’au contraire « les mailles de la centralisation ont été renforcées ». Il attribue le « défaut de fabrication » de cette réforme au « sentiment anti-romain » du conclave qui a élu le pape François en 2013. La réforme, affirme-t-il, aurait été demandée par les « cardinaux latino-américains » qui projettent « de construire une Eglise à leur image ».

Dans le même temps, il note que l’Annuaire pontifical mentionne désormais « Vicaire du Christ et Successeur de Pierre » comme « des titres historiques » (et donc plus véritablement effectifs) du pape, un signe pour lui d’« une forme latente de déni du fondement pétrinien de la papauté ».

Par ailleurs, il déplore une Curie où « les contrôles extérieurs, les audits » prennent le dessus sur l’aspect spirituel. Au sujet de l’évangélisation, il s’alarme de l’absence de réaction à la déchristianisation en Europe, considérant que le « nihilisme rampant » qui frappe le Vieux Continent met aujourd’hui en danger sa survie.

Parce qu’il est loin d’être traditionaliste, le cardinal ne s’oppose cependant pas à toute réforme. Il envisage même la nomination de laïcs et de femmes à des postes importants de la Curie. Il cite notamment ceux de secrétaire d’Etat, de substitut, de président du Gouvernorat de la Cité du Vatican ou encore de nonces.

Proche de la théologie de la libération

Le magistère du pape François est critiqué de façon plus nuancée : le Document sur la fraternité humaine [co-signée avec le grand imam d’Al-Azhar, 4 février 2019] manifeste à ses yeux une « bonne intention », mais lui semble trop « élitiste », ce qui lui fait douter qu’il puisse « pénétrer la masse des fidèles musulmans ». Il souligne également la pertinence de Laudato si’ [24 mai 2015], mais invite à défendre la vie humaine de son commencement à sa fin autant que la nature.

Sur le plan économique et social, le cardinal allemand, qui rappelle sa proximité avec la théologie de la libération de son « cher ami » Gustavo Gutiérrez, déplore les conséquences d’un « super-capitalisme » et défend une taxation supplémentaire des plus riches.

Il dénonce la tentation anti-démocratique qui anime les plus fortunés, les accusant d’encourager un Big Reset – grande réinitialisation – pour contrôler encore plus les masses, en particulier depuis la crise pandémique. Contrairement à François, il se dit opposé à l’idée d’un salaire universel, mais justifie la position du pape par les situations d’extrême pauvreté qui existent en Amérique latine.

Craintes sur la synodalité

A propos de la synodalité, le théologien allemand considère que le terme synode promu par le pontife est devenu « un terme passe-partout ». Il voit dans son emploi le signe qu’une « démocratisation, une protestantisation de facto » serait « en cours » dans l’Eglise catholique. Il critique en particulier les propositions « intenables théologiquement » du Chemin synodal allemand ouvert en 2019, face auquel, selon lui, le Saint-Siège s’est montré complaisant.

En Allemagne, estime-t-il, l’Eglise est face à une situation « bien pire qu’un schisme » parce que l’Eglise locale se sépare volontairement de Rome, en abandonnant les fondements du christianisme. « Il s’agit donc d’apostasie », assure-t-il, s’en prenant en particulier à la promotion de l’intercommunion qui « change le sens de l’eucharistie ». Il affirme que « le risque est la fin du christianisme en Allemagne ».

En outre, le cardinal Müller regrette l’ambiguïté du pape François sur la question de l’homosexualité ou encore son « silence substantiel » sur celle de l’indissolubilité du mariage. Il regrette aussi des contradictions sur l’avortement, notamment quand le pape a reconnu au président des Etats-Unis, Joe Biden, le droit de communier.

La question liturgique

Le cardinal allemand dénonce les « effets négatifs » de Traditionis custodes, contre la libéralisation de la messe tridentine voulue par Benoît XVI. Pour lui, derrière cette décision se cachent des membres de l’Université pontificale bénédictine Saint-Anselme à Rome, « plus idéologues que théologiens », qui ont « manipulé » le pape.

Considérant cette décision non seulement « injuste » mais « source de tensions inutiles », il affirme que le problème principal reste la défense du sacrement de l’eucharistie, qu’il dit de moins en moins vécu ou compris par les chrétiens.

Sur la question de l’ordination sacerdotale des femmes, le cardinal Müller se dit opposé, affirmant qu’il n’y a pas lieu d’en parler. En revanche, il signale avoir écrit plusieurs livres sur la possibilité d’un diaconat féminin, et se dit ouvert à la discussion sur ce point.

Critique de la diplomatie vaticane avec la Chine

Le cardinal allemand se dit particulièrement inquiet du danger que fait peser la Chine dans la société actuelle, comparant Xi Jinping à Benito Mussolini, Adolf Hitler et Staline. « Avec le diable, on ne peut pas faire de pacte », estime-t-il à propos de l’accord secret signé en 2018 par le Saint-Siège et Pékin sur la nomination des évêques.

Le Vatican a facilité selon lui le travail de la Chine, qui veut que les prêtres chinois deviennent des agents de sa propagande. Il affirme qu’il a consulté « une lettre envoyée par le cardinal secrétaire d’Etat, Pietro Parolin, autorisant les prêtres chinois à signer une charte imposant [des] cours d’endoctrinement ».

« L’Eglise catholique chinoise ne doit pas devenir une sorte d’enfant de chœur de l’Etat », affirme le haut prélat, en référence à la critique similaire émise par François à l’égard du patriarche Cyrille à qui il reprochait de bénir la guerre de Vladimir Poutine contre l’Ukraine.

Le cardinal déplore le traitement réservé par le Saint-Siège et le pape au cardinal Joseph Zen, grand opposant à Pékin. Il regrette en particulier que le Vatican n’ait pas pris de position claire pour le défendre lors de son arrestation en mai dernier, et critique durement le silence du Saint-Siège concernant Taïwan et Hong Kong. « Avec les régimes illibéraux [comme celui de Pékin], l’Eglise ne doit pas faire de compromis », insiste-t-il.

Dénonciation du rapport de la CIASE

Interrogé sur la crise des abus dans le clergé, le cardinal dénonce les « grossières erreurs » commises par la CIASE en France, mettant en cause la méthode employée qui a abouti à un « nombre de victimes anormal, exagéré, manifestement gonflé ».

Il se dit aussi défavorable aux commissions d’enquête mises en place par les gouvernements, qui lui semblent avoir pour « seul but de paralyser l’Eglise et non celui d’analyser un phénomène aberrant à écraser ».

Le cardinal Müller affirme que le rapport de l’archidiocèse de Munich sur les abus de janvier 2022 a été « un instrument de propagande pour affaiblir la figure du pape émérite  en Allemagne » où il représentait un frein au Chemin synodal allemand. Le prélat allemand désapprouve toutefois le choix du pape défunt de renoncer à sa charge en 2013. Pour lui, l’existence d’un pape émérite a créé de la confusion et divisé l’Eglise catholique en deux camps.

La mission du prochain pape

Opposé à une démission de François, le cardinal Müller considère que certains encouragent le pape actuel à démissionner « pour mieux piloter le prochain conclave et identifier, qui sait, un jeune candidat proche des réformes qui ont été engagées entre-temps ».

Il fustige les « tentatives de nombreux groupes de pressions » qui visent à influencer les votes, citant la Communauté de Sant’Egidio, les jésuites, les salésiens ou encore les cardinaux africains. Agir ainsi, déclare-t-il, est « ontologiquement interdit ».

« Le prochain conclave devra nécessairement ramener l’Eglise à son essence », assure-t-il. Le successeur de François devra notamment s’occuper du fait qu’il y a « de plus en plus d’évêques dans le monde qui agissent comme s’ils avaient oublié d’être des pasteurs intéressés par la vie éternelle et la défense des principes moraux ».

Selon le haut prélat, le futur pontife devra aussi défendre les « valeurs non-négociables » de l’Eglise sur la sexualité ainsi qu’affronter les risques que comporte l’apparition d’une idéologie « post-humaine ». A ce titre, il se dit particulièrement préoccupé « par le courant transhumaniste ».

En définitive, l’ouvrage fait figure de réquisitoire tous azimuts, mais le cardinal Müller demeure toujours attaché au Concile et aux réformes postconciliaires. Il en déplore énergiquement les excès – par trop visibles sous le gouvernement de François –, sans toutefois remonter aux causes profondes.

Il s’attaque avec vigueur aux symptômes, sans toucher au foyer du mal. Il ne veut pas d’une Eglise servilement alignée sur l’esprit du monde moderne, sans remettre en cause le Concile qui a promu cette ouverture.