
Alors que le pape François prend son temps pour réfléchir à la réforme de la constitution de l’Ordre souverain de Malte, un retour sur les éléments qui ont abouti à la situation actuelle et qui expliquent la réticence de certains membres sera fort utile. Un article très documenté du site InfoCatolica retrace cette genèse.
Le début des difficultés peut être situé en décembre 2016. S’en sont suivi des interventions du Saint-Siège, des révocations, des décès et l’ouverture d’un processus de réforme de la constitution de l’Ordre. Récemment, le pape a affirmé qu’il n’y avait pas d’urgence à prendre une décision finale.
La commission d’enquête de 2016
En décembre 2016, la Secrétairerie d’Etat a nommé une commission d’enquête sur le remplacement du grand chancelier Albrecht von Boeselager, en raison de la distribution de préservatifs dans les campagnes humanitaires de l’Ordre. L’Ordre a quelque peu protesté par un communiqué.
« Le Grand Maître de l’Ordre Souverain de Malte a pris connaissance de la décision du Saint-Siège d’enquêter sur le remplacement de l’ancien Chancelier. Ce remplacement est un acte interne de gouvernance de l’administration de l’Ordre et relève donc exclusivement de sa compétence. Cette mesure est le résultat d’une mauvaise interprétation de la part du Secrétariat d’Etat. »
En janvier 2017, le Grand Maître Fra’ Matthew Festing, a rappelé que le remplacement de l’ancien Grand Chancelier était un acte interne du gouvernement de l’Ordre. Il a cité la Charte constitutionnelle de l’Ordre, qui stipule que « le caractère religieux de l’Ordre ne porte pas atteinte à l’exercice des prérogatives souveraines relatives à l’Ordre dans la mesure où celui-ci est reconnu par les Etats comme un sujet de droit international ».
Il a aussi rappelé que la confirmation de ce statut en droit international s’étalait dans l’Annuaire pontifical du Saint-Siège, où l’Ordre n’est mentionné qu’une seule fois, non pas parmi les ordres religieux, mais parmi les Etats ayant une ambassade accréditée auprès du Saint-Siège.
Le Saint-Siège a répondu en ratifiant son soutien à la commission d’enquête ordonnée. Et une semaine plus tard, à la demande du pape, Festing donnait sa démission. Deux jours après, François a déclaré nulles et non avenues les dernières décisions du Grand Maître destitué. Albrecht von Boeselager est alors redevenu Grand Chancelier. La souveraineté de l’Ordre avait vécu.
La mission du cardinal Burke
Le cardinal Patron de l’Ordre, S.E.R. Raymond Burke, avait rencontré le pape quelques mois auparavant pour faire le point sur la situation interne de l’organisation et avait reçu un soutien pour prendre les mesures nécessaires.
François lui écrivit une lettre précisant que « l’introduction dans l’Ordre de manifestations d’un esprit mondain doit être évitée, ainsi que l’adhésion à des associations, mouvements et organisations contraires à la foi catholique ou de nature relativiste ». Il s’agissait de l’infiltration présumée de la franc-maçonnerie parmi les Chevaliers de Malte.
Le souverain pontife évoquait aussi le problème de la diffusion des contraceptifs dans les pays pauvres : « On veillera également à ce que les initiatives et les œuvres d’assistance de l’Ordre ne soient pas utilisées pour diffuser des méthodes et des moyens contraires à la loi morale. Si un problème s’est posé par le passé dans ce domaine, j’espère qu’il pourra être entièrement résolu. »
L’objectif du pape était clair. « Je ne doute pas, cependant, écrit François, que, suivant le principe paulinien de “la vérité agissant par la charité” (Ep 4, 15), vous saurez entrer en dialogue avec eux et faire les ajustements nécessaires. » Mais lorsque le cardinal voulut procéder à ces ajustements, il constata que le souverain pontife soutenait ouvertement celui qu’il avait désigné comme responsable de la distribution des contraceptifs.
Burke accusé
Rétabli dans ses fonctions, Boeselager accusa l’ancien Grand Maître de l’Ordre, Frei Matthew Festing, et le cardinal Raymond Burke comme étant les instigateurs de la crise. Le chef intérimaire de l’Ordre, nommé par le pape, s’est exprimé dans le même sens. Le cardinal américain s’est défendu :
« Le récit de Fra’ Ludwig Hoffmann von Rumerstein est inexact. Je n’avais aucune autorité pour demander au Grand Chancelier de démissionner. J’ai déclaré que la personne qui avait sciemment autorisé la distribution de contraceptifs devait en assumer la responsabilité. Le Grand Maître a alors demandé une nouvelle fois au Grand Chancelier de démissionner, ce qu’il a refusé de faire.
« Le Grand Maître a ensuite procédé à sa révocation sans que je sois impliqué le moins du monde. Pour être franc, je suis choqué par ce que Hoffmann von Rumerstein affirme dans l’article. Je considère que c’est de la diffamation. »
Festing censuré
Devant la possibilité que Fra’ Mattthew Festing puisse influencer l’élection du nouveau Grand Maître, ou même être réélu, la Secrétairerie d’Etat, par l’intermédiaire de Mgr Becciu, lui interdit de se trouver à Rome pendant le processus d’élection. Becciu était déjà le délégué pontifical de l’ordre.
A cette époque, un rapport rendu public confirmait que l’Ordre souverain de Malte avait distribué des contraceptifs potentiellement abortifs.
Election et mort de Dalla Torre
Le Saint-Siège ayant pris le contrôle de l’Ordre, Fra’ Giacomo Dalla Torre del Tempio di Sanguinetto a été élu Grand Maître ad intérim pour un an, puis confirmé comme Grand Maître à vie.
Le lendemain de son élection, François a confirmé Mgr Angelo Becciu comme délégué auprès de l’Ordre. Son rôle était de surveiller l’institution « jusqu’à la conclusion du processus de réforme et, en tout cas, jusqu’au moment où vous le jugerez utile pour l’Ordre. Jusque-là, vous aurez tous les pouvoirs et serez mon unique porte-parole pour les relations entre le Siège Apostolique et l’Ordre ».
Fra’ Dalla Torre est décédé à la fin du mois d’avril 2020.
Remplacement du cardinal Becciu par le cardinal Tomasi
En novembre de la même année, le scandale financier entourant le cardinal Becciu a amené la cessation de toutes ses responsabilités. Il a été remplacé par le cardinal Silvano Tomasi comme nouveau délégué pontifical auprès de l’Ordre souverain de Malte. Peu après, Marco Luggazo est élu lieutenant du Grand Maître, poste devenu vacant, pour une période d’au moins un an.
En octobre 2021, François a confirmé le cardinal Tomasi, lui conférant les pouvoirs suivants :
« Convoquer le Chapitre général extraordinaire pour la date que vous déterminez et le coprésider ; définir un règlement ad hoc pour la composition et la tenue du Chapitre général extraordinaire ; approuver la Charte constitutionnelle et le Code de l’Ordre ; procéder au renouvellement du Souverain Conseil conformément aux nouveaux textes réglementaires ; convoquer le Conseil d’Etat pour l’élection d’un nouveau Grand Maître. »
Le cardinal a formé un groupe de travail pour la réforme de l’Ordre, dont le Grand Chancelier était significativement absent. Il se plaignit de ne plus avoir de contact avec le Saint-Siège. Le cardinal Tomasi répliqua, dans un entretien au National Catholic Register, arguant que tous les échanges devaient passer par l’ambassadeur de l’Ordre auprès du Saint-Siège. Le Grand Chancelier ne faisait pas exception.
Dans cet entretien, le délégué du pape a nié une quelconque atteinte à la souveraineté de l’Ordre dans le projet de réforme : « La réforme maintient l’Ordre comme ordre religieux. La dimension religieuse est souhaitée par la grande majorité des membres. (…) Le pape le veut aussi. Les réformes n’enlèvent rien à la souveraineté, à l’autonomie ou aux traditions privilégiées spéciales de l’Ordre. »
Le pape ne veut pas trancher dans l’urgence
Le dernier chapitre de ce processus a eu lieu le samedi 26 février 2022. Vatican News a rapporté que le cardinal Tomasi a présenté ses propositions de réforme de l’Ordre au pape François, lorsqu’il a été reçu en audience par le souverain pontife avec d’autres représentants de l’Ordre.
« Nous lui avons expliqué comment la réforme à venir préservera et améliorera l’Ordre en tant qu’ordre laïc », a déclaré le cardinal. L’objectif, a-t-il dit, est de poursuivre l’action caritative, diplomatique et humanitaire au profit des malades et au service de l’Eglise. Le Saint-Père s’est montré satisfait de ces propositions.
Marwan Sehnaoui, président du comité de pilotage du processus de réforme constitutionnelle de l’Ordre a déclaré que, pendant la réunion, François a ouvert et clôturé la discussion de deux heures en soulignant qu’il déciderait lui-même en dernier ressort des « questions critiques concernant la réforme constitutionnelle ».
« Le pape François a écouté attentivement les présentations et les interventions des deux parties. Après cet échange de vues, le Saint-Père a déclaré qu’il n’y avait aucune urgence à prendre une décision définitive. Sa Sainteté a également déclaré qu’elle souhaitait recueillir et examiner davantage d’informations et qu’elle convoquerait probablement une autre audience. »
Une chose semble bien se dessiner : même si le cardinal Tomasi nie une quelconque atteinte à la souveraineté de l’Ordre, dans les faits, François semble avoir déjà tranché d’une manière différente.