Actualité du livre de R. H. Benson, Le Maître de la terre

Source: FSSPX Actualités

Le pape François aime à faire savoir, au fil des nombreux entretiens qu’il accorde à la presse, quels sont ses livres de chevet. Il en a beaucoup, aussi le Corriere della Sera a-t-il lancé en mai dernier une collection – « La bibliothèque du pape François » – qui ne comprendra pas moins de 20 volumes. Le deuxième ouvrage édité dans cette collection est le chef d’œuvre de Robert Hugh Benson (sur la photo), Le Maître de la terre. Ce choix surprenant de la part d’un pontife très ouvert au monde d’aujourd’hui, a inspiré à l’auteur d’une biographie de Benson récemment parue en Italie, Luca Fumagalli, une réflexion intitulée « Mais Bergoglio a-t-il jamais lu Le Maître de la terre ? », publiée sur le site italien Les cronache di Papa Francesco. 

Quiconque a eu la chance d'apprécier le livre le plus célèbre de l'écrivain anglais, ne peut que vous poser une question : mais Bergoglio a-t-il vraiment lu le roman ?

Le Maître de la terre est un récit dystopique (i.e. un roman d’anticipation débouchant sur une catastrophe, le contraire d’une utopie heureuse, ndlr) qui parle d'un futur où le catholicisme est mis au pilori et l'Eglise au bord de l'extinction. La nouvelle idéologie humanitaire, qui prétend substituer l'homme à Dieu a ouvert les portes à l'apostasie et au péché. L'euthanasie, l'avortement et la persécution religieuse sont le résultat d'une culture de la fausse tolérance qui, par une intuition prophétique, s'avère ne pas être très différente de celle d'aujourd'hui. Lorsque la décadence atteint son apogée, voici que Felsenburgh, un politicien mystérieux qui assume bientôt les caractéristiques du personnage biblique de l'Antéchrist, parvient à prendre le pouvoir sur toute la terre dans le seul but d'éradiquer l'Eglise du Christ.

Le roman, écrit sous le pontificat de saint Pie X, peint une image du catholicisme radicalement opposée à celle promue par François. Dans le cours de l'intrigue, en effet, Benson insiste à plusieurs reprises sur une division claire entre le monde et l'Eglise. Le critère de la mondanité est considéré comme dangereux pour l'âme, fruit d'un complot contre le bien qui a pour seul but d'étouffer tout instinct spirituel. Dans Le Maître de la Terre, même les valeurs laïques telles que la solidarité et le respect, auxquelles Bergoglio fait souvent appel, sont présentées sous un mauvais jour parce qu'elles sont juste un écran qui ne peut cacher longtemps la haine du libéral envers la vérité. Il s'agit donc d'un « grand divorce » – pour reprendre le titre d'un célèbre roman de C.S. Lewis – qui se consomme pour le triomphe du Christ et qui interpelle une Eglise radicalement militante, qui n'a rien à voir avec l'idéologie post-conciliaire de la communauté en pèlerinage, marchant vers un horizon de vérité qui échappe à tous.

Bien loin de l'embrassade au monde dont Bergoglio est désormais devenu un témoin illustre, dans sa dystopie (récit d’anticipation, ndlr), Benson imagine même que les différentes églises ou sectes chrétiennes ont été réabsorbées par l'Eglise de Rome, la seule qui, devant les tentations de la modernité s'est avérée être un rempart solide et crédible.

L'attaque contre le modernisme et la franc-maçonnerie est le sceau ultime d'une œuvre radicalement anti-moderne qui n'a rien à voir avec François : du désaveu du prosélytisme à l'œcuménisme, des mea culpa aux clins d'œil à la pensée dominante (la dernière en date, avec les mères catholiques comparées à des lapins est pour le moins révoltante, note de l’auteur), le soupçon émerge presque que Bergoglio et Benson appartiennent à deux religions différentes.

Il y a quelques années, Mgr Luigi Negri, archevêque de Ferrare-Comacchio, avait donné une préface à la réédition italienne du Maître de la terre, où l’on pouvait lire :

Ecrit en 1907 par un grand chrétien, ce livre est une prophétie terrible par (la peinture de) la réalité et la spécificité du monde où nous vivons, et du parcours qui a conduit à ce monde-là. D'un côté, cet énorme système qui uniformise les personnes, groupes sociaux, les nations, les peuples, sur la base d'un humanisme essentiellement athée, avec des références à des valeurs communes qui sont des valeurs chrétiennes profondément laïcisées et sécularisées.

 Une société dans laquelle il n'y a donc plus de différences, aucun genre de différences : qu'elles soient religieuses, sociales, culturelles, elles sont ressenties comme négatives et la tentative est de réaliser une unification, une uniformisation pourrait-on dire, de la planète entière.

Il y a aussi les différences qui surgissent menaçantes comme tout l'Est, tout l'Orient, mais au delà de la spécificité des situations, l'intuition de Benson est qu'on irait vers une négation de Dieu à travers la construction d'une société objectivement sans Dieu. 
Or, afin que cette société se construise – et cela est également une intuition formidable – il faut diviniser la tentative qu'on est en train de réaliser, comme aux temps de la construction de la tour de Babel ; il faut absolutiser le projet et on doit diviniser ceux qui réalisent ce projet, et comme la logique de l'unité est une logique strictement humaine, il faut absolutiser celui qui est effectivement en train de guider cette opération.Voici l'image de Julian Felsenburgh qui est en substance l'Antéchrist, l'Antéchrist soft, mais l'Antéchrist d'une société qui veut se passer de Dieu et donc du Christ. (...)

Humanisme athée et violence envers le christianisme, l'Eglise résiste toutefois, elle se réduit progressivement, et garde un fort sentiment de l'unité autour de Pierre et de son successeur. Et pourtant, même en étant très gravement conditionnée, elle ne meurt pas et même si c'est en des proportions numériquement réduites, elle reste une réalité vivante, coagulée autour de cette grande idée d'un ordre religieux du Christ Crucifié, qui a été la grande intuition du protagoniste du roman, lui qui finira par être le pape ultime. »