Adresse de Mgr Ricard au pape Jean-Paul II

Source: FSSPX Actualités

 

Les deux documents que nous reproduisons ici, doivent être lus ensemble. Ils s’éclairent l’un l’autre. Le premier est tiré du discours adressé au pape par Mgr Ricard, archevêque de Bordeaux et président de la Conférence des évêques de France, le 13 février, lors de sa visite ad limina. Le second est extrait de l’entretien que le théologien autrichien Paul Zulehner a accordé à l’agence Apic, le 9 février.

Tous les deux constatent la crise de l’Eglise, au moins sur le plan numérique : chute des vocations, baisse importante de la pratique des fidèles ; mais leurs réactions sont différentes. L’évêque énumère les préoccupations pastorales de ses confrères dans l’épiscopat – sans oser dire qu’ils sont contraints, en fait, de gérer la pénurie ; le théologien invite à aller de l’avant, à assumer sereinement ce déclin quantitatif, assuré qu’il est d’un "nouvel élan qualitatif" - dont on peut se demander s’il n’équivaut pas à un saut dans le vide.

Ni l’évêque, ni le théologien ne cherche une cause à cette crise, dans l’histoire récente de l’Eglise ; aucun des deux n’envisage l’ouverture au monde voulue et promue depuis Vatican II. Tous les deux considèrent que le monde change et que l’Eglise doit s’adapter à ces changements, vite baptisés "signes des temps".

Cette incapacité à remettre en cause l’orientation conciliaire, hâtivement identifiée au "souffle de l’Esprit", est caractéristique. Mgr Ricard dénonce "ceux qui ont la nostalgie du passé et la peur de l’avenir". Paul Zulehner veut en finir avec les "lamentations" sur l’Eglise qui n’est plus ce qu’elle était. Il propose de "se mettre en marche ou disparaître", sans songer une seconde que marcher en direction du vide, c’est se condamner à disparaître bientôt.

Adresse de Mgr Ricard au pape Jean-Paul II

"(…) Sur le plan religieux, nos diocèses, mis à part quelques pays de vieille imprégnation chrétienne, n’ont jamais été marqués par une pratique religieuse unanimiste. Les guerres de religion du 16e siècle et les luttes anticléricales du 19e et du début du 20e ont laissé des traces dans le paysage religieux et dans les comportements des populations. Aujourd’hui, le mouvement de sécularisation qui touche les sociétés occidentales se fait sentir fortement dans nos diocèses comme dans les autres diocèses de France. Il se traduit par des baisses numériques (baisse du nombre de prêtres, de séminaristes, de pratiquants, de catéchisés, de laïcs militants), mais aussi par la transformation des mentalités: éloignement par rapport à une appartenance ecclésiale, privatisation de la foi, relativisme religieux. Ce phénomène n’est pas nouveau. En 1879, Newman, dénonçant la progression du libéralisme en religion, écrivait : "Le libéralisme en religion est la doctrine qu’il n’y a pas de vérité positive en religion, mais qu’un credo en vaut un autre, et tel est l’enseignement qui gagne chaque jour substance et force. Il est incompatible avec une quelconque reconnaissance de n’importe quelle religion comme vraie. Il enseigne qu’il faut les tolérer toutes, mais que toutes sont affaire d’opinion. La religion révélée n’est pas une vérité mais un sentiment et un goût ; elle n’est un fait ni objectif, ni miraculeux : et c’est le droit de chaque personne de lui faire dire seulement ce qui frappe son imagination". Ces lignes n’ont pas pris une ride. Tout au plus peut-on dire que cette mentalité a quitté ce qui était vécu dans certains cercles pour devenir une opinion commune largement répandue.

"Devant cette évolution, certains sont habités par la nostalgie du passé et ont peur de l’avenir. Comme évêques, nous avons à les aider à approfondir leur foi et à fonder à nouveau leur espérance dans le Christ. Lors d’une tempête sur la mer de Galilée, Jésus ne disait-il à ses disciples qui lui criaient : "Seigneur, sauve-nous ! Nous sommes perdus" : "Pourquoi avoir peur, hommes de peu de foi ?" (Mt 8, 25-26) ? Pour entrer dans cette assurance que donne la foi, nous invitons les communautés chrétiennes à faire un discernement plus précis de la situation qui est la nôtre. À côté des ombres incontestables, il y a aussi des signes de lumière et d’espérance qui sont prometteurs pour l’avenir  : des conversions et des baptêmes d’adultes en plus grand nombre, une soif spirituelle et une demande d’accompagnement spirituel, un désir de se nourrir de la Parole de Dieu, des jeunes disponibles et en attente, une parole publique de l’Église plus attendue qu’on ne croit, un engagement de beaucoup de laïcs à témoigner de leur foi dans le monde et à prendre en charge la vie ecclésiale, une plus grande fraternité entre prêtres, un investissement de beaucoup de chrétiens dans des actions de charité et de solidarité. L’Esprit-Saint est à l’œuvre et nous rendons grâce au Seigneur de savoir contempler son action chaque jour parmi nous.

"En relation avec l’appel à ce discernement dans la foi, nous avons voulu promouvoir une action pastorale qui permette à nos Églises diocésaines de mieux répondre à leur vocation et à leur mission. C’est ce que nous faisons à travers les synodes, démarches de type synodal, projets diocésains, qui ont marqué et qui marquent à nouveau aujourd’hui la vie de chacune de nos Églises. Je voudrais souligner quatre grandes préoccupations qui me paraissent actuellement orienter la politique pastorale que nous mettons en place dans les diocèses (…)"

Puis, Mgr Ricard détaille ces quatre préoccupations pastorales principales : la nécessité pour la communauté chrétienne de "s’enraciner plus profondément dans le don de Dieu", de "relever le défi de l’évangélisation" (la pastorale des jeunes ; l’accueil des demandes pastorales ; la pastorale familiale, la pastorale de la culture et une présence des chrétiens dans tous ces lieux où, au cœur de notre société, les hommes vivent la précarité, l’exclusion, la maladie, le handicap, le grand âge ou la solitude), de "permettre un dynamisme apostolique renouvelé à nos communautés paroissiales", et "soutenir les prêtres et appeler avec conviction au ministère presbytéral".