Allemagne : Les évêques appelés par des politiciens à s’engager en faveur de l’ordination d’hommes mariés

Annette Schavan, ministre de l´Education et Norbert Lammert, président du Bundestag (parlement allemand).
Dans une déclaration publiée le 21 janvier, à Berlin, des hommes politiques démocrates-chrétiens (CDU) s’appuient sur la détresse de nombreuses communautés sans prêtres, privées de messe du dimanche, pour interpeller les évêques allemands. Ils leur demandent de s´engager « avec insistance et avant tout à Rome » en faveur de l´ordination d’hommes mariés dans l´Eglise universelle ou, le cas échéant, pour une réglementation exceptionnelle valable en Allemagne seulement.
Parmi les signataires, on compte Norbert Lammert, président du Bundestag (parlement allemand), Annette Schavan, ministre de l´Education, et les anciens ministres présidents Bernhard Vogel, Erwin Teufel et Dieter Althaus. Leur texte s’intitule : « Comment remédier au manque croissant de prêtres ». Selon eux, des laïcs, qui ont fait leurs preuves dans le service de la communauté, devraient pouvoir accéder à l´ordination sacerdotale, en tant que « viri probati », et ils font référence à des déclarations de Mgr Walter Kasper, aujourd´hui cardinal, ainsi qu’à des propos en ce sens sur les « nouvelles formes de ministère », tenus dans les années 70 par le théologien Joseph Ratzinger.
Mgr Robert Zollitsch, archevêque de Fribourg-en-Brisgau et président de la Conférence épiscopale allemande, s´était exprimé en 2008 sur le célibat sacerdotal dans le magazine allemand Der Spiegel. Se disant opposé à « des interdictions de réfléchir », le prélat avait déclaré que le lien entre la prêtrise et le célibat n´était pas « nécessaire du point de vue théologique ». Le célibat, qui est un « grand cadeau », est exigé dans la tradition latine mais d´autres traditions – comme les Eglises catholiques de rite oriental – pratiquent l´ordination d´hommes mariés. Cependant, « ce serait une révolution, qui ne serait pas suivie par une partie de l´Eglise », avait-il alors estimé, en précisant que cette question relèverait d´un nouveau concile et concernerait l´ensemble de l´Eglise catholique et non pas un pays en particulier.
Le 26 janvier, le président du Bundestag, Norbert Lammert, a renouvelé dans le quotidien hambourgeois Die Zeit, ses critiques : « Celui qui tient à tout prix au célibat obligatoire des prêtres entraîne les paroisses dans la détresse pastorale ». Il visait la pénurie de prêtres en Allemagne : « En 1960, près de 15.500 prêtres étaient engagés dans la pastorale ; aujourd´hui, ils ne sont plus que 8.500. Et en 2010, seuls 150 hommes ont désiré devenir prêtres dans l´Eglise catholique. »
A l´opposé, le cardinal allemand Walter Brandmüller, ancien président du Comité pontifical des sciences historiques, a affirmé que, dans cette question, la politique n´avait rien à dire. Pour le prélat, l´initiative des politiciens de la CDU ne concerne pas que le célibat, « mais constitue un premier pas vers une autre Eglise ». Proposer une voie particulière pour l´Allemagne conduit « à une situation proche du schisme », à la création d´une Eglise nationale ». « Le recours à la pénurie de prêtres comme argument contre le célibat apparaît, en regard de la baisse de fréquentation des églises et du nombre de croyants, comme « une vision étroite ». L’historien allemand a défendu le célibat qui fait partie intégrante de la tradition de l´Eglise catholique. « Il est clair, d´après les recherches historiques, que dans les premiers temps des hommes mariés ont été consacrés prêtres et évêques, et que, dès leur ordination, ils ont poursuivi leur vie de famille mais ont abandonné la vie conjugale ». Le prêtre qui vit en célibataire prend pour modèle de vie celle du Maître. L´Eglise universelle et même un concile œcuménique ne doivent pas et ne peuvent pas ignorer cette tradition apostolique, a-t-il déclaré.
Le Forum des catholiques allemands a, lui aussi, condamné l´initiative des politiciens de la CDU. « Ne vous occupez pas des questions d´ordre interne à l´Eglise », a averti leur porte-parole, Hubert Gindert. Les hommes politiques feraient bien mieux de « s´occuper de leurs tâches premières et les plus essentielles, à savoir la protection globale de l´être humain, de sa conception à sa mort, et donc du bien commun ». Il a rappelé qu´il appartient à la foi des catholiques de « sentire cum Ecclesia ». Cette disposition vise à accepter, avec le cœur et la raison, l´héritage de Jésus à son Eglise, de le préserver fidèlement et de le mettre en pratique dans la vie quotidienne. C´est au nom du Forum mais aussi d´autres groupes de laïcs catholiques, comme "Jeunesse 2000", l’association de femmes catholiques « Ligue mariale » ("Marianische Liga") et "Génération Benoît XVI", qu’Hubert Gindert s’exprimait.
Dans un texte publié le 1er février par le journal du diocèse de Mayence Glaube und Leben, le cardinal Karl Lehmann, ancien président de la Conférence des évêques d’Allemagne, a critiqué la position de certains commentateurs qui reprochent au personnel ecclésiastique son incapacité à se renouveler. Mais il a aussi regretté le ton affiché par le cardinal Walter Brandmüller, condamnant la prise de position des politiciens de la CDU.
S´exprimant également le 1er février, l´abbé Franz Schmidberger a déclaré à Stuttgart : « En tant que supérieur du district d´Allemagne de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X, je constate avec étonnement que cette prise de position constitue une entorse claire aux décisions de Vatican II ». Et de sommer les politiciens de la CDU de retirer leur déclaration. Rappelant que pour la Fraternité Saint-Pie X les textes conciliaires qui sont en conflit avec la tradition nécessitent des corrections, le prêtre allemand a reproché une « mentalité de libre-service » aux signataires du texte demandant que l´accès au sacerdoce soit autorisé aux hommes mariés. « On a l´impression que le Concile est transformé en un buffet de décrets où l’on prend ce qui plaît. Le reste, on le renvoie à la cuisine romaine. Celui qui promeut la reconnaissance du Concile dans son intégralité doit également s´y tenir », a-t-il affirmé. (Sources : Apic/kna/FSSPX-Allemagne – DICI n°230 du 19/02/11)
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