Analyse : Les propos du pape sur le préservatif, l’intention et le contexte
Dans la note de la Maison généralice de la Fraternité Saint-Pie X « sur les propos de Benoît XVI au sujet de l’utilisation du préservatif » (voir DICI n°226, du 12/04/10), il est rappelé que l’usage du préservatif est « une action intrinsèquement immorale et matière à péché mortel », en ce qu’il détourne l’acte sexuel de sa fin naturelle, la procréation ; ce qui est contre-nature.
Mais, comme nous l’ont fait remarquer quelques lecteurs, le cas particulier envisagé par le pape est celui d’un homme prostitué qui commet déjà un acte contre-nature : l’utilisation du préservatif ne peut donc pas détourner cet acte-là d’une fin naturelle qu’il n’a pas. L’objection prend au pied de la lettre le cas cité, sans considérer l’intention complète (et complexe) de l’auteur, ni le contexte dans lequel ces propos sont tenus. En isolant ainsi ce cas, on risque fort de ne pas rendre compréhensible le trouble que cette déclaration a inévitablement suscité dans l’esprit des fidèles attachés à la morale catholique.
L’intention des propos du pape
Les propos du pape sur l’usage du préservatif manifestent une intention double, non seulement morale mais aussi prophylactique. A ses yeux, la préoccupation prophylactique peut receler le commencement d’une démarche morale. Au plan moral, Benoît XVI dit que l’Eglise ne considère naturellement pas l’utilisation de préservatifs « comme une solution véritable et morale », mais « dans l’un ou l’autre cas, cependant, dans l’intention de réduire le risque de contamination, l’utilisation peut constituer un premier pas sur le chemin d’une sexualité vécue autrement, une sexualité plus humaine » (édition française, Bayard p.160). L’exception introduite par le pape (« dans l’un ou l’autre cas, cependant) » se fait au nom d’une préoccupation prophylactique (« dans l’intention de réduire le risque de contamination ») dans laquelle il voit « un premier pas » sur le chemin d’une sexualité plus humaine, une ébauche de « moralisation ».
Dans sa précédente réponse à Peter Seewald, il a évoqué le cas particulier d’un homme prostitué utilisant le préservatif et faisant ainsi, selon lui, « un premier pas vers une moralisation », comme « un premier élément de responsabilité permettant de développer à nouveau une conscience du fait que tout n’est pas permis et que l’on ne peut pas faire tout ce que l’on veut » (Bayard, p.159). Interrogé par son porte-parole, le P. Federico Lombardi, sur la question de savoir s’il s’agissait du cas d’une prostituée (édition italienne de Lumière du monde) ou d’un prostitué (éditions allemande, anglaise et française), le pape a répondu que la distinction entre un homme et une femme n’était pas sérieuse (dépêche Reuters du 23/11/10, reprise par lexpress.fr).
Et le P. Lombardi de préciser cette préoccupation prophylactique d’inspiration morale : « La question est que (l'usage d'un préservatif) devrait être un premier pas vers la responsabilité en prenant conscience du risque auquel est exposée la vie de la personne avec laquelle on a des relations. Qu'il s'agisse d'un homme, d'une femme ou d'un transsexuel, nous en sommes toujours au même point, à savoir le premier pas en vue d'éviter de façon responsable de transmettre un risque grave à l'autre. » – Ici il convient de se reporter à la Note de la Maison généralice rappelant l’enseignement de saint Paul qui interdit de « faire le mal pour qu’il en advienne un bien » (Rm 3,8). Fondamentalement le désordre moral intrinsèque de telles relations n’est en rien supprimé, ni atténué par l’intention de ne pas contaminer le partenaire. Et l’on ne peut pas parler objectivement de « moralisation ».
Le contexte réel de la société d’aujourd’hui
Cette intention morale subjective, inchoative et hypothétique, prêtée à un séropositif (homme, femme ou transsexuel) utilisant un préservatif à des fins prophylactiques correspond-elle au contexte concret dans lequel les propos de Benoît XVI sont tenus ? Si le secret de la conscience individuelle échappe à l’investigation, il est très possible en revanche de connaître les intentions déclarées des mouvements qui militent en faveur de l’usage des préservatifs. Peut-on, dans un ouvrage destiné au grand public, faire état des dispositions intérieures supposées de certains « cas particuliers » en voie de « moralisation » subjective, sans inévitablement ouvrir une brèche en direction de tous ceux qui réclament que l’Eglise change sa morale, parce qu’ils n’entendent pas changer leur conduite ?
De fait, les associations qui promeuvent l’usage du préservatif ne s’intéressent guère à ce souci prophylactique dans lequel le pape envisage comme le début possible d’une démarche morale. Elles ne voient dans ces propos subtils qu’une autorisation à utiliser les préservatifs. Est-ce une simplification abusive ? Elle correspond à une subtilité excessive dans un livre édité en quatre langues à des centaines de milliers d’exemplaires. Dès le lendemain de sa sortie (23 novembre), les responsables de ces associations ont fait savoir leur satisfaction : « La reconnaissance par le Vatican que Benoît XVI accepte que l'utilisation du préservatif pour prévenir la propagation de maladies sexuellement transmissibles puisse s'appliquer à chacun illustre l'importance des propos du pape », a déclaré Jon O'Brien, président du groupe américain Catholics for Choice (mouvement qui milite pour la contraception et l’avortement en milieu catholique - NDLR).
Pour le docteur Paul Zeitz, directeur de l'organisation Global AIDS Alliance (GAA) dont le siège est à Washington, « les propos du pape (...) marquent une évolution étonnante et bienvenue de la part du Vatican, qui peut permettre de sauver des dizaines de milliers de vies » (Reuters, 23/11/10). Le lien avec un début de « moralisation » est tellement personnel et hypothétique que ces militants ne retiennent que le souci prophylactique qui, pour eux, doit être universel et contraignant.
En ouvrant cette brèche, le pape prend-il vraiment en compte les préoccupations réelles des utilisateurs du préservatif ? Hormis le cas plutôt spéculatif de ce séropositif en voie de « moralisation » personnelle, les partisans du préservatif dans la société déchristianisée qui est celle d’aujourd’hui, veulent concrètement pouvoir « jouir sans risque », que ce soit le « risque » de donner la vie à un enfant, ou celui de contracter une maladie vénérienne. Dans cette population concrète, l’utilisation du préservatif n’exprime pas une « moralisation », mais son exact contraire, en entretenant l’illusion d’une immunité totale dans l’inconduite. Seul le rappel clair de la loi naturelle, inscrite par Dieu dans la nature humaine, peut permettre à la société d’aujourd’hui de retrouver le point d’ancrage dans le réel qu’elle a perdu à la manière d’un bateau ivre. (DICI n° 227 du 18/12/10)