Asie : "Après le raz-de-marée", une lettre de M. l’abbé Couture
Chers amis et bienfaiteurs de la Fraternité en Asie,
Voici le second mois après le tsunami, il est certainement temps de vous tenir au courant de la situation et des récents efforts que nous avons faits pour venir en aide aux sinistrés.
Au Sri Lanka
Nous avons malheureusement pu expérimenter les difficultés que l’on rencontre lorsqu’on cherche à secourir ces braves gens. Nous avons fait un transfert de banque à banque pour aider le Père Rozairo à verser les arrhes du terrain d’un hectare qu’il a l’intention d’acheter. Trois semaines après le transfert, l’argent n’était pas encore arrivé ! Nous allons maintenant suivre la trace de ce transfert par l’entremise de notre banquier aux Etats-Unis.
Le terrain aurait dû être mesuré cette semaine par un expert géomètre et le propriétaire, qui vit en Inde, devrait venir avant la fin du mois pour signer l’acte. Avec l’afflux continu de dons, nous devrions être maintenant en mesure de couvrir plus de la moitié de l’achat de la propriété pour 129 familles. Le Père Rozairo a réussi à faire baisser le prix jusqu’à 180.000 US$ au lieu des 300.000 US$ réclamés à l’origine ! De son côté, le gouvernement a augmenté les rations alimentaires pour les 129 familles du camp.
Une autre expérience désagréable : un très généreux bienfaiteur nous a envoyé quatre containers de produits pharmaceutiques des Etats-Unis. Ils sont bien arrivés à Colombo, mais on nous a demandé de verser pas moins de 56.000 US$ pour les dédouaner ! Je comprends que les autres organismes qui ont rencontré une situation semblable, soient tout simplement partis et se soient rendus en Indonésie ! Mais nous ne pouvons pas faire cela. Aussi, nous nous employons à résoudre ce problème grâce aux bons offices de l’archevêque de Colombo qui est au courant de notre aide au camp de réfugiés de Negombo.
Une équipe de médecins coréens, dont un de nos fidèles de Séoul, est venue passer une semaine entière au Sri Lanka, avec un jour entier au camp de Negombo. Il faut espérer qu’il y aura un suivi médical après leur visite.
Le Père Rozairo a visité ses fidèles de la côte est il y a quelques semaines. 33 familles étaient encore sans abri ni aide d’aucune sorte, plus d’un mois après la tragédie. Nous nous sommes renseignés sur les possibilités de les aider, et en quelques jours nous leur avons acheté 28 filets de pêche avec lesquels ils auront chacun le droit de recevoir un bateau de pêche.
En Inde
Première partie – Rapport sur le tsunami dans une lettre de l’abbé Blute, le 31 janvier 2005
Monsieur l’abbé,
Les "douze apôtres" (12 fidèles) vont rendre visite quotidiennement aux villages sur la partie touchée de la côte. Le premier jour, ils ont découvert qu’apporter des secours est plus compliqué qu’il n’y paraît. Dans un village de 600 personnes les gens ne voulaient pas accepter de l’aide pour seulement quelques-uns d’entre eux… Des persécutions incroyables et des jalousies se seraient élevées si quelques personnes seulement avaient reçu de l’aide. Maintenant les gens veulent paraître aussi pauvres que possible, parce que le gouvernement va distribuer de l’aide en proportion de leurs besoins, ainsi s’ils ont déjà un filet et un bateau, ils recevront moins d’argent… Et si nous rebâtissons leurs maisons, ils ne recevront pas d’argent du gouvernement pour cette reconstruction. Il y a même eu un homme dont la maison n’avait été que légèrement endommagée, et qui l’a démolie pour recevoir plus d’argent à l’arrivée des inspecteurs.
Dans un premier temps, nos fidèles ont été surpris de constater que les villageois dont les noms n’étaient pas retenus (parce qu’ils n’avaient subi aucune perte), se mettaient en colère et devenaient insultants et agressifs. Pour les satisfaire, les inspecteurs ont inscrit tous les noms, et ils se sont sauvés.
Maintenant nos douze apôtres suivent exactement le conseil que je leur avais donné au départ : ils s’habillent pauvrement et ils se mêlent aux gens discrètement, pour découvrir qui est réellement dans le besoin. Ils s’adressent aux gens un à un : "Sur ce que je vais vous dire, vous devez garder le secret. Si vous le dites aux autres, toute aide sera interrompue". Après qu’ils ont promis le secret, nous ouvrons les coffres. Cela semble marcher. Tous les gens ne nous mettent pas des bâtons dans les roues, ni ne cherchent à tricher… Il y en a beaucoup de travailleurs qui coopèrent avec leurs voisins, reçoivent l’aide avec gratitude et refusent même de prendre plus de secours qu’ils n’en ont strictement besoin, nous disant : "C’est assez, c’est assez".
Les gens ont tous du riz, des casseroles et les autres objets de première nécessité. Nous leur demandons alors ce dont ils ont encore vraiment besoin, et, si c’est raisonnable, nous leur donnons tout ce que nous pouvons dans la limite générale de 10.000 roupies (US$ 240) par personne, à moins qu’ils ne soient vraiment absolument démunis, ou qu’ils n’aient un droit particulier à notre charité, comme nos paroissiens, des veuves ou des familles nombreuses.
Pendant la première semaine de distribution, les douze apôtres ont acheté 3 bateaux et des filets de pêche pour plusieurs douzaines de pêcheurs. Nous avons fourni une machine à coudre avec du tissu et du fil à une femme pour l’aider à gagner sa vie. Comme la plupart des apôtres sont eux-mêmes des pêcheurs, ils savent exactement ce dont les hommes ont besoin : ils ont acheté de la toile à voile, des hameçons, des filets, des ancres, des pièces de rechange, des bûches (les bateaux du pays sont simplement composés de quatre grandes bûches de balsa attachées ensemble, calfatées et taillées en forme de bateau), etc… Nous avons donné des paniers aux femmes de pêcheurs pour porter le poisson au marché, 30 en tout. Nous avons payé les frais d’hospitalisation de plusieurs blessés, acheté des vêtements pour une famille de huit enfants qui avait tout perdu…
Nous avons aussi commencé à acheter des terrains près de la mer pour reloger les personnes qui avaient été chassées par les vagues. Le gouvernement ne permet plus aux gens d’habiter dans les 500 premiers mètres près de la mer, et il ne donnera pas d’argent pour rebâtir des maisons sans titre de propriété. Les autorités finiront bien un jour par distribuer des lots de terrain, mais la plupart des gens s’attendent à ce que cela prenne des années, et ils ont besoin d’une maison maintenant.
Cette semaine, nous avons commandé 10 bateaux et des filets. Comme les apôtres se familiarisent avec la région, ils peuvent plus rapidement découvrir les gens réellement dans le besoin et leur apporter un secours matériel.
Nous distribuons aussi des images de Notre-Dame Secours des chrétiens, et nous encourageons les gens à prier. Les douze apôtres, choisis parmi nos traditionalistes, ont été sélectionnés à cause de leur profonde piété et de leur zèle pour la foi. Ils se conduisent d’une manière vraiment surnaturelle : prière du matin, repas en commun, rosaire récité quand ils vont d’un endroit à un autre, et bien sûr, ils confient tout leur apostolat à Notre-Dame Secours des chrétiens.
Deuxième partie – Une autre lettre de l’abbé Blute, 15 février 2005
Dans mon dernier e-mail j’avais suggéré qu’avec votre permission nous pourrions monter une usine pour fabriquer des bateaux en fibre de verre, et donner ces bateaux aux victimes du tsunami afin qu’elles puissent poser leurs filets et faire vivre leurs familles. Après un peu d’étude, je suis fermement convaincu que c’est non seulement une bonne idée, mais que ce sera beaucoup plus simple que je n’avais pu l’imaginer. Une de nos fidèles de Trichy travaille pour une société qui fabrique des boîtes et des objets en fibre de verre. Elle m’a mis en rapport avec une société à Coimbatore, qui produit et vend la matière première. Cette société est en train de réaliser 100 bateaux en fibre de verre pour une organisation humanitaire. Elle a également fait ce genre de travail après le terrible cyclone de 1996, en Andra Pradesh. Ses responsables m’envoient un dossier complet sur la façon de procéder. En outre, ils sont prêts à accepter 4 à 6 hommes de notre groupe (des apôtres au chômage) dans leur usine de Coimbatore pour leur permettre d’acquérir l’expérience nécessaire, en un stage de 4 semaines au cours duquel ils recevront le vivre et le couvert ainsi qu’un salaire. Leur représentant dispose d’un fabricant de moules expérimenté qui est libre, il l’enverra à Palayamkottai, et, si nous nous chargeons de son salaire, cet artisan supervisera l’installation de l’atelier et formera une autre équipe de quatre hommes pour la fabrication des moules. Il est disponible immédiatement, aussi il n’y a pas de temps à perdre. On trouve un bâtiment industriel ici en un clin d’œil, nous pouvons donc commencer à rassembler les hommes dès lundi.
Derrière tout cela, il y a l’idée suivante : Pourquoi payer d’autres personnes pour faire ce que nous pouvons faire nous-mêmes ? Nous pouvons réaliser des produits finis pour un prix bien moindre, et calculer au mieux une aide optimale, en clair combien de bateaux gratuits passeront de nos mains à la mer. Je place cette entreprise sous le patronage de St Joseph. Quiconque veut venir travailler ici doit être un catholique traditionaliste pratiquant, prêt à se joindre aux prières du matin, de midi et du soir, et à se consacrer avec sa famille à St Joseph, de telle sorte qu’il accepte l’esprit de pauvreté comme un bienfait et aussi qu’il renonce explicitement à la pratique de la limitation des naissances. Quand nous réaliserons des bénéfices, nous réfléchirons ensemble à de nouveaux projets, de nouvelles sources de travail, et nous investirons le profit pour étendre le rayonnement du Conseil industriel de St Joseph afin de donner des emplois qui permettent aux chefs de familles catholiques de vivre. Nous voulons procurer un milieu de travail sanctifiant où les jours fériés sont respectés fidèlement et où les ouvriers sont unis spirituellement par la charité et l’entraide généreuse. Aussi, si vous avez de l’argent à donner, je suggère que vous en réserviez pour nous, parce que si nous pouvons donner 100 bateaux gratuits au lieu de 25, alors l’investissement par bateau ne sera qu’une petite partie de l’aide financière totale. Vous saisissez ma pensée ?
Bien à vous dans le Christ Roi,
Abbé Blute