Autour d'un problème de bioéthique. Irlande : un NON répété

Source: FSSPX Actualités

Irlande pro life

Irlande. Un NON répété.

Le 6 mars, l’Irlande allait aux urnes pour un referendum concernant un amendement de la Constitution. Cet amendement était le pas obligé en vue d’introduire une loi permettant l’avortement pour raisons thérapeutiques.

50,42% ont dit "non" contre 49,58 "oui", tel est le résultat. Une maigre différence de 10.500 votes sur 3 millions d’Irlandais ayant droit de vote. Le premier Ministre Bertie Ahern, cheville ouvrière du projet de loi, est déçu. Il s’agit là du deuxième referendum perdu par le gouvernement en moins d’un an. En juin dernier, les Irlandais avaient déjà refusé le Traité de Nice. Aujourd’hui, ils refusent le premier pas dans la marche presque inexorable de « la culture de mort », alors que partout ailleurs, ce processus est un train qui court vers l’abîme.

Pour comprendre l’enjeu de ce référendum, il faut revenir quelque peu en arrière. Jusqu’à ce jour, en effet, l’Irlande était le seul pays européen à ne pas permettre l’avortement, la loi protégeant efficacement la vie à naître. C’est au printemps 2001 que certains membres du gouvernement rencontrèrent des représentants d’associations Pro-Life en vue de discuter de modalités d’ «assouplissement » de la loi. Suite à cela naquit le document appelé « le 25ème amendement de la Constitution ». Le projet de loi présuppose, en effet, un amendement de la Constitution, lequel amendement ne peut se faire sans consultation populaire.

L’argumentation de la proposition de loi s’appuie sur une décision prise par la Cour Constitutionnelle en 1992, par laquelle celle-ci interprète de façon quelque peu arbitraire la loi en vigueur. Le « cas X » – c’est ainsi qu’en parlent les juristes – est une jeune fille ayant conçu après viol. Ses parents décidèrent de se rendre en Angleterre pour procéder à l’avortement. Le voyage en Angleterre fut jugé illégal, interdit par le Procureur général qui s’appuya sur l’article 40.3.3 de la Constitution (datant de 1983 et garantissant la vie de l’enfant à naître. L’article défend ce droit, le plaçant à l’égal du droit de la vie de la mère).

Suit un véritable roman-feuilleton qui fut conclut par un referendum sur l’avortement (novembre 1992), dans lequel le peuple se prononça contre l’avortement. Cet acte restait interdit en Irlande, mais il ne serait plus illégal d’aller à l’étranger pour le réaliser.

Le projet de loi proposé il y a quelques mois par le gouvernement consistait à interdire l’avortement à partir du moment de l’implantation du fœtus dans l’utérus. Par contre, il faisait l’impasse – et provoquait ainsi un vide juridique – en ce qui concerne la période pré-implantatoire, ce qui, évidemment, laissait la porte ouverte aux moyens anti-conceptionnels (stérilets, pilule du lendemain) lesquels sont encore interdits de droit, même si, de facto, ils sont tolérés.

Un article de ce projet de loi stipulait : « Ne sera pas considéré comme avortement une intervention réalisée par un médecin agréé et dans un centre également agréé par l’Etat, au cours ou à la fin de laquelle il serait porté atteinte à la vie du fœtus, si cette intervention est nécessaire – selon l’avis raisonnable d’un médecin – et dans la mesure où elle pourrait prévenir un risque vrai et substantiel d’atteinte à la vie de la mère. » Cet article ne fait aucune distinction entre une intervention directe ou indirecte sur le fœtus, en d’autres termes entre un avortement direct (chose immorale) et un avortement indirect (qui résulte d’une intervention n’agissant pas directement sur la vie de l’enfant, ni de fait, ni en intention, mais sur la mère en dehors de toute autre possibilité thérapeutique. Ce serait l’exemple d’une chimiothérapie pour cancer donnée à une femme enceinte. A noter que la chose est devenu extrêmement rare de nos jours du fait des avancées thérapeutiques.) Le projet de loi donne, dans la suite, la possibilité au médecin de pratiquer l’objection de conscience, ce qui confirme indirectement – par le législateur lui-même – le fait qu’il veut ouvrir la porte aux avortements dit « thérapeutiques ».

Ce projet de loi fut sévèrement critiqué par des juristes de haut niveau, comme par exemple Roderick J. O’Hanlon, ancien juge à la High Court, qui n’hésite pas à dire, dans une lettre au Cardinal Re, Préfet de la Congrégation des Evêques, que « la loi proposée est intrinsèquement mauvaise, et, si elle est mise en vigueur, elle empirera de beaucoup la situation actuelle.»

Dans une déclaration officielle de la Conférence épiscopale irlandaise du 12 décembre 2001, après avoir fait un rappel de la doctrine de l’Eglise au sujet de l’avortement, les évêques affirment que la loi n’est pas parfaite du point de vue de la morale catholique, mais ils expriment tout de même leur satisfaction en affirmant qu’elle améliorerait la situation en empêchant l’avortement pour menace de suicide. Ils qualifient ce projet de loi d’« occasion à ne pas manquer », n’hésitant pas à faire l’impasse sur la possibilité d’avortement dit « thérapeutique ».

Ils invitèrent vivement les catholiques à voter en faveur de la modification de la Constitution, se targuant du soutien du Saint-Siège. Cet avis ne fut cependant pas du tout partagé par les catholiques conservateurs et certains mouvements pro-vie.

Après la présentation de la loi par le premier ministre Bertie Ahern, la gauche exprima son intérêt pour le projet. Mais voyant que les mouvements pro-vie, proches de l’Eglise, s’y déclarèrent favorables, elle tourna sa veste et décida de voter contre l’amendement constitutionnel, espérant des jours meilleurs qui amèneraient une loi plus large que celle proposée.

Le rejet de l’amendement constitutionnel, ce 6 mars 2002, est une courte victoire, mais victoire quand même qui endigue le flot. Pour combien de temps ?

(Source : correspondant DICI)

 

Le non-être : un nouveau statut pour le fœtus

L’affaire Grosmangin a été complètement éclipsée par l’affaire Perruche qui a fait l’objet de violentes controverses dans l’opinion publique. Mais elle paraît tout aussi grave, ou même plus, de par ses implications. Pour autant que l’on puisse parler de nuances dans la gravité à propos de la disposition qui est faite ainsi de la vie humaine.

Les faits sont simples. Madame Grosmangin est la victime d’un accident de la voie publique. Sa voiture est emboutie par celle conduite par M. Rubio Clavente qui conduisait en état d’ivresse. Le choc va entraîner la mort de l’enfant qu’elle porte en son sein.

En première instance, M. Clavente est condamné à plusieurs peines dont un an de prison ferme. C’est, disons, le "tarif" pour quelqu’un qui, en état d’ivresse, tue involontairement une autre personne. Après diverses péripéties judiciaires, l’affaire arrive en Cassation. Or il est intéressant de voir que nous avons affaire aux mêmes protagonistes que ceux de l’affaire Perruche (sauf, bien sûr, les plaignants et leurs avocats). Le rapporteur de l’assemblée plénière est le juge Sargos qui, avec un cynisme incroyable, avait défendu publiquement l’arrêt Perruche.

M. Clavente n’est pas poursuivi pour homicide involontaire pour la raison suivante: « L’enfant mort-né n’est pas protégé pénalement au titre des infractions concernant les personnes. Pour qu’il y ait "personne", il faut qu’il y ait un être vivant, c’est-à-dire venu au monde non encore décédé ; il ne peut y avoir homicide qu’à l’égard d’un enfant dont le cœur battait à la naissance et qui a respiré… »

Le lecteur aura bien lu. Cet enfant tué dans l’accident n’est pas une personne parce qu’il est arrivé au monde sans respirer. Mais s’il n’est pas une personne, qui est-il au juste ? La Cour se garde bien de le dire. Il est en quelque sorte un non-être. Il n’est même pas un matériau. On atteint l’absurde.

Madame Grosmangin va donc être dédommagée pour ses frais médicaux, pour les frais de réparation de sa voiture, pour les dépenses visant à soigner son chien ou un éventuel passager. Mais elle ne peut prétendre à réparation pour son enfant qui a été tué par le chauffard.

Mais ce n’est pas tout. La jurisprudence a toujours considéré qu’être responsable de la mort d’un enfant « in utero » était assimilable à un homicide. Ceci concerne les cas d’accidents, mais aussi ceux de médecins qui n’ont pas réussi à mettre vivant au monde l’enfant d’une de leurs patientes (césariennes survenues trop tard ; défaut de surveillance pendant la grossesse ou l’accouchement). Des dizaines de médecins et sages-femmes ont déjà été condamnés pour ce motif.

Nous assistons là à un renversement complet de la jurisprudence. Assurément, l’intérêt d’un médecin qui ne veut pas être poursuivi en justice est que l’enfant arrivant au monde, soit en bonne santé. Mais en cas de difficultés de grossesse ou d’accouchement, il a tout bonnement intérêt à ce que cet enfant meure « in utero ». Il ne sera alors jamais considéré comme le responsable d’un homicide involontaire.

Dans l’arrêt Perruche on pouvait et on devait tuer l’enfant, parce qu’il était handicapé. Dans l’arrêt Grosmangin, on peut le tuer sans vergogne – même en état d’ébriété – dans le sein de sa mère, parce qu’il n’est plus rien. Pas même un morceau de tôle froissé.

Cette disposition va bouleverser toute la pratique de l’accouchement ; mais surtout, elle va modifier la notion d’homicide, donnant une sorte d’impunité à celui qui tue par erreur un enfant dans le sein de sa mère. Il s’agit bien sûr d’une conséquence directe de la loi Veil qui cultive la haine de l’enfant non né et qui vise à lui supprimer toute personnalité juridique; on pourra disposer de sa vie et de son corps à la guise et à la fantaisie de notre société de mort.

Apparemment, en dehors d’Yves Amiot dans les Cahiers Saint Raphaël n° 65 (3, rue Coypel – 78 000 Versailles), personne n’a dénoncé ce nouvel arrêt de la Cour de Cassation. Celui-ci sort en droite ligne du nouveau texte d’orientation de la bioéthique (avec entre autres la révision du statut de l’embryon). Ce texte de six pages à propos de l’embryon comporte seulement deux mots en lettres italiques : matériau humain. Tout un programme d’inspiration marxiste : l’homme n’a pas d’âme et n’est que matière en évolution dont on peut disposer.

Dr J. P. Dickès

Président de l’Association Catholique des infirmières, médecins et professionnels de santé.