Autour de l’instruction "Redemptionis Sacramentum"

Source: FSSPX Actualités

 

Dès le mois d’octobre 2003, Christian Terras, directeur de l’ultra-progressiste revue Golias, donnait l’alerte dans un livre intitulé Jean-Paul II, la fin d’un règne. Il y publiait "le nouvel index de Jean-Paul II", c’est-à-dire le projet de l’instruction Redemptionis Sacramentum, car la liturgie était en danger, la réforme conciliaire était menacée par ce "clin d’œil aux intégristes" (sic) : "Il est important de faire connaître ce document pour mettre au courant de l’ambiance qui règne dans les salles du Vatican par rapport à l’actualisation du concile Vatican II, notamment par rapport à la réforme liturgique", - il importait surtout de divulguer ce texte en projet pour faire pression sur ses auteurs et les empêcher de rédiger un document "tridentin" ou "pré-tridentin" (re-sic).

Terras a bien sûr bénéficié de fuites dont on peut facilement identifier l’origine romaine. Des cardinaux se réunirent, en effet, fin juin et début juillet 2003 pour discuter du projet d’instruction, et ce fut, écrit-il, "un affrontement qui a accouché d’un net NON au document en raison de divergences irréconciliables". Et de poursuivre : "Se sont opposés à ce texte avec une particulière détermination le cardinal Walter Kasper, président du Conseil pontifical pour l’unité des chrétiens et le cardinal Achille Silvestrini".

Dans le quotidien La Croix, on préparait les esprits dès le 10 avril : "Voici le centre romain tiraillé entre des options ecclésiales comme la sensibilité traditionaliste – extrêmement active ces dernières années à Rome - ; des cultures régionales (latino-américaine, africaine, asiatique…) qui voudraient adapter la liturgie au style local – plutôt battues en brèche actuellement - ; l’universalisme catholique enfin, et la nécessité pour le Vatican de veiller à l’unité de l’ensemble. Chemin cahoteux, qui explique la réputation d’extrême prudence, voire d’immobilisme, de ce dicastère romain qui reste l’un des plus soumis aux feux de la critique".

Enfin l’instruction vint ! Et immédiatement le clergé français considéra qu’il n’était pas visé par ce texte disciplinaire. Ainsi, Mgr Robert Le Gall, président de la Commission épiscopale de la liturgie, qui déclarait, dès le 26 avril, à La Croix : "Il ne s’agit ni d’un ’coup de balai’ disciplinaire, ni d’un retour en arrière, mais de revenir aux sources même du concile Vatican II pour qu’on célèbre mieux. Et pour qu’éventuellement, on supprime les abus qui peuvent exister et qui sont dus, principalement à l’ignorance ou à la méconnaissance de certains textes, comme la Présentation générale du Missel romain (…)". Mais comme le journaliste insiste : "Le texte fait la liste d’un certain nombre d’abus en matière liturgique. Quels sont ceux qui, à vos yeux, concernent le plus la France ?", Mgr Le Gall répond : "Je ne pense pas que la France soit particulièrement visée par ce texte. Il y a certes eu des abus et il y en aura malheureusement encore. Mais les récentes visites ad limina des évêques français à Rome ont montré combien nous étions attachés à ce sujet et comment nous sommes déjà revenus d’un certain nombre d’expériences, contrairement, par exemple, à ce qui peut se passer en d’autres pays. Nous ne sommes pas les premiers visés et il faut reconnaître qu’il y a la place à certains moments pour une sobre liberté d’expression".

C’est bien la question des abus et de leur possible dénonciation aux autorités diocésaines et même romaines qui inquiète les partisans de la liturgie réformée. Tel Yves Pitette, l’envoyé spécial permanent de La Croix à Rome : "Le point le plus sensible concerne les plaintes adressées par des fidèles contre des pratiques liturgiques constatées. L’instruction affirme à plusieurs reprises les ’droits’ des fidèles, notamment celui de bénéficier ’d’une liturgie conforme à ce que l’Eglise a voulu et établi’, et donc celui de se plaindre s’il y a des manquements. Elle fait de l’évêque le recours normal, si le problème n’a pu être réglé dans la paroisse et dissuade autant que possible les fidèles de s’adresser à Rome."

De fait, ces abus sont là, graves et nombreux. Les fidèles useront-ils de ce droit que l’instruction leur reconnaît ? Les autorités diocésaines et romaines prendront-elles en compte les plaintes qui leur seront adressées ? – Ainsi, nous avons reçu sur le site Internet de DICI les photographies d’une messe pour les 75 ans de la société de gymnastique de Menzingen, en Suisse, au cours de laquelle deux jeunes femmes en maillot se sont livrées à des exercices aux barres parallèles asymétriques, juste devant l’autel !

On peut légitimement craindre que l’instruction n’instruise pas grand monde quand on lit le commentaire qu’en fait Michel Kubler, toujours dans La Croix du 26 avril : Une question reste ouverte, "celle du caractère vivant de la liturgie du peuple de Dieu : vivant donc en perpétuel mouvement, dans l’espace et le temps. D’où la tension inhérente à toute Eucharistie : célébrer le Sacrifice du Christ se donnant en partage pour la vie du monde, et le manifester avec des mots et des gestes qui puissent être perçus par chacun. Il y a le mystère intangible ’de toujours’ et sa célébration – Parole et Pain – ’de ce jour’. Le rappel des normes existantes ne dispense d’un travail permanent – comme le Concile l’a fait – pour inscrire ce mystère éternel dans la diversité et l’évolution des expressions culturelles". Paul VI en promulguant, le 4 décembre 1963, la constitution conciliaire sur la liturgie, Sacrosanctum Concilium, affirmait : "Elle n’a pas fixé un équilibre, elle a créé un mouvement".