Belgique : Déclaration du cardinal Lustiger devant le Congrès juif mondial
Le 9 janvier, le cardinal Jean-Marie Lustiger a salué devant les participants à l’assemblée annuelle du Congrès juif mondial (CJM) à Bruxelles, le développement positif des relations entre l’Eglise catholique et le peuple juif depuis le Concile Vatican II. Intervenant devant 450 représentants juifs venus du monde entier (Ukraine, Russie, Argentine, Chili, Etats-Unis, France, etc.), l’archevêque de Paris a souligné l’importance de la Déclaration Nostra aetate et le rôle qu’a joué le cardinal Wojtyla, l’actuel pape Jean-Paul II, dans sa rédaction.
S’exprimant sur "L’Europe et les juifs", le cardinal Lustiger a rappelé la présence juive plus que bimillénaire sur le continent européen. Cette présence "a participé de la longue et extraordinaire histoire de l’Europe, toujours en marge, mais jamais loin du centre, le plus souvent persécutée et menacée de destruction, mais jamais vraiment disparue".
Parmi les représentants juifs français à cette réunion du Congrès juif mondial, on notait la présence de Serge et Beate Klarsfeld, de Roger Cukierman, président du CRIF, ou encore du rabbin Michel Serfaty. Seul orateur a avoir pris la parole pendant le dîner de clôture du congrès du CJM - c’est la première fois qu’un cardinal participe à un tel événement -, Mgr Lustiger a évoqué l’apport des communautés juives à la civilisation européenne.
En dépit des polémiques, les rabbins ont eu une relation plutôt positive avec les penseurs chrétiens pendant la période de l’Antiquité tardive jusqu’à la fin du premier millénaire, a-t-il estimé en citant l’exemple de Rachi de Troyes. Puis, à partir du XIIème siècle, survinrent les croisades et les expulsions, et la fuite vers l’Est et l’Orient des communautés occidentales. Plus tard encore, les élites juives participèrent au mouvement des idées, au cours de la période moderne et tout particulièrement depuis les émancipations civiles à la fin du XVIIIème siècle.
"On peut dire sans exagération que la conscience européenne, au cours des deux derniers siècles, a été profondément et intimement marquée par la présence des juifs", a-t-il souligné en évoquant notamment les figures de Karl Marx et de Sigmund Freud. "Participant à l’édification de la culture occidentale, certains d’entre eux revendiquaient, d’autres contestaient leur identité et, parfois, les sources juives de leur pensée."
A cette période, l’antisémitisme s’est inscrit dans les soubresauts de la conscience européenne marquée par le triomphe du scientisme et des nationalismes. Et de rappeler que "le nazisme, puis d’une manière différente le stalinisme, utilisèrent et mirent impitoyablement en œuvre un antisémitisme devenu pour eux programme d’action."
Le cardinal Lustiger, face au déroulement de l’histoire européenne, considère que la fuite et l’extermination des juifs ont été une perte irréparable pour les cultures nationales d’Europe : "Que l’on pense précisément à la Pologne, la Roumanie, la Lituanie, l’Allemagne, l’Autriche et tant d’autres nations. Perte irréparable aussi pour l’identité européenne que nous tentons de ’rattraper’ depuis un demi-siècle ! C’est aux Etats-Unis d’Amérique ou en Israël que les rescapés de ce naufrage européen ont été recueillis, apportant leur potentiel culturel et religieux à la civilisation de ces nouveaux mondes."
"Comment l’Europe pourrait-elle aujourd’hui penser son avenir si elle méconnaissait la part de sa culture dont elle est redevable à la présence des juifs en son sein ?", a encore lancé le cardinal-archevêque de Paris, soulignant que l’idée de "repentance", voire de "réparation" continue de faire son chemin "accueillie et promue dans sa dimension historique et spirituelle par les autorités religieuses du christianisme, unies à des leaders du judaïsme."
Le prélat salue alors la manière tenace et vigoureuse dont le pape Jean-Paul II a voulu proposer la "purification de la mémoire" de tous les peuples, engagés naguère dans des conflits inexpiables. Et pourtant, regrette-t-il, alors que l’Europe poursuit ce travail intérieur qui la fait revenir sur son passé, voici que resurgissent dans les différentes nations des formes variées d’antisémitisme.
"Certes, ajoute-t-il, elles sont liées à des circonstances politiques précises où, dans certains pays, intervient comme élément provocateur l’immigration d’origine musulmane et les conflits avec les pays arabes". Mais à ses yeux, les manifestations actuelles de l’antisémitisme, par exemple en France, n’ont ni les mêmes causes, ni les mêmes résonances, ni les mêmes effets que les manifestations antisémites en Pologne, en Allemagne, en Russie ou dans l’un ou l’autre des pays d’Europe centrale. Et d’inviter juifs et chrétiens d’Europe à se centrer ensemble sur les enjeux majeurs de la civilisation européenne, "montrant par les faits le caractère factice et destructeur de l’antisémitisme, lui enlevant ainsi toute légitimité sociale."
"Ma conviction la plus profonde et l’évolution de ces dernières années n’a fait que la confirmer est qu’aujourd’hui un travail positif, poursuivi en commun par des croyants, chrétiens et juifs, est possible, remarque-t-il. Ce travail peut et doit se fonder sur les exigences de la Révélation que nous recevons de la Parole divine, de la Bible". Il estime nécessaire d’entreprendre, entre juifs et chrétiens convaincus de ces prémisses, un travail positif sur les enjeux moraux de notre civilisation, pays par pays, culture par culture, tenant compte des histoires particulières.
"L’Eglise catholique, je l’atteste, y est prête, a-t-il conclu. La confiance et le respect mutuellement accordés nous donnent la chance unique de poursuivre ensemble un travail de réflexion, de partage et d’action pour une vision commune de l’homme, qui rende à l’Europe conscience des sources morales et spirituelles de sa civilisation (…). Je considère qu’il s’agit là d’un travail en profondeur, à l’abri des remous et des péripéties médiatiques que provoquent les manifestations antisémites dont le bruit vise à augmenter le crédit."