Cameroun : ce sphinx qui embarrasse l’Eglise

Paul Biya surnommé le sphinx
Plusieurs évêques camerounais ont pris parti contre l’éventualité d’une nouvelle candidature de Paul Biya à l’élection présidentielle qui doit se tenir en octobre 2025. Après 42 ans d’un règne sans partage, une partie de l’Eglise du Cameroun souhaite qu’une page se tourne dans un pays qui apparaît fragmenté.
A 91 ans, ans, le « sphinx » est le plus vieux dirigeant élu en exercice et le deuxième chef d’Etat au monde encore vivant en termes de longévité au pouvoir – monarchies exceptées – la palme en la matière revenant à son voisin Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, qui préside aux destinées de la Guinée équatoriale depuis plus de 43 ans.
De quoi mettre de l’eau au moulin des Africains qui ironisent sur leur « continent jeune dirigé par des vieux ». Pour couronner le tout, ajoutez à cela la gestion autocratique de Paul Biya qui s’est durcie après sa dernière élection très contestée, en 2018, réprimant toute opinion politique dissonante dans le pays.
L’état de santé préoccupant de l’actuel chef de l’Etat pouvait laisser penser que ce dernier allait enfin passer la main. Las ! Lors de ses vœux pour le Nouvel an 2025, Paul Biya a entretenu le flou sur son avenir politique : « J’ai entendu vos appels et vos encouragements, et je reste dévoué à servir notre nation bien-aimée », a-t-il déclaré en réponse aux messages savamment orchestrés de ses fervents supporters qui lui demandent de se représenter une dernière fois en 2025.
Un nouveau mandat « irréaliste » et qui constituerait une « erreur » selon les termes employés par l’archevêque de Douala au micro de RFI. « Les gens sont inquiets, il nous faut une transition paisible », a ajouté Mgr Samuel Kleda. Des propos peu appréciés par le pouvoir.
Tandis que l’un des représentants de l’opposition – Jean-Michel Nintcheu, président du Front for Change – louait l’archevêque et appelait Paul Biya à prendre « une retraite bien méritée », le ministre du Travail et des Affaires sociales accuse le prélat d’avoir « outrepassé ses responsabilités cléricales ».
« Il se sent parfois obligé de prendre des positions politiques, sans analyser toutes les conséquences. Il a donc pris sa position de citoyen, et ceux parmi son troupeau qui veulent le suivre le suivront », a déploré Grégoire Owona.
Mais les propos épiscopaux de Mgr Kleda sont loin d’être isolés au sein de l’Eglise catholique camerounaise : le 1er janvier dernier, Mgr Barthélemy Yaouda Hourgo, évêque de Yagoua (Nord du pays) dénonce, mitre en tête, la possible candidature de Paul Biya : « On ne va pas en supporter encore davantage, on a assez souffert comme ça », explose le prélat dans un message vite devenu viral sur les réseaux sociaux.
« La plus grande des souffrances est qu’on interdit aux Camerounais d’exprimer leurs souffrances en promettant que l’Etat est un rouleau compresseur, un Moulinex qui réduit en pâte tout Camerounais qui osera exprimer sa souffrance. Qui va-t-on gouverner quand on aura broyé tous les Camerounais ? On demande aux Camerounais d’éviter les discours de haine, mais du haut nous arrivent des paroles de violence », s’alarme l’évêque de Yagoua.
Avec davantage de retenue, Mgr Jean Mbarga, archevêque de Yaoundé, la capitale du pays, a appelé l’Etat « à tout faire pour que la voix des Camerounais soit entendue », faisant discrètement allusion à la transition politique qu’une large part des citoyens appellent de leurs vœux.
Selon Thomas Atenga, professeur de communication à l’Université de Douala interrogé par la BBC, la position de certains membres du clergé catholique camerounais serait révélatrice de la fragmentation entre « le pays réel et ses souffrances quotidiennes dont les évêques revendiquent la proximité, et la classe politique qui semble déconnectée de la réalité vécue par les Camerounais ».
Même si la hiérarchie catholique n’est pas unanime dans son rejet du “sphinx”, selon l’enseignant, l’Eglise – une institution qui compte dans ce pays d’Afrique – « n’a pas d’autre choix que de porter une aspiration à davantage de liberté. Parce qu’au bout de 42 ans de pouvoir, il est quand même temps que les Camerounais connaissent d’autres formes d’espoir, de gouvernement, qui leur permettent de penser que le monde est autrement que celui qu’ils connaissent depuis ces années. »
(Sources : Radio France International/BBC – FSSPX.Actualités)
Illustration : Flickr / United Nations Photos