Ce que révèle le combat pour la célébration publique de la messe en France (2)

Source: FSSPX Actualités

Mgr Michel Aupetit

La bataille judiciaire menée par des clercs et des laïcs contre l’interdiction de célébrer publiquement la messe, pour des raisons sanitaires, a révélé de profondes divergences doctrinales au sein de l’Eglise. En voici un panorama à travers une revue de presse. (suite)

Le « petit télégraphiste » de M. Darmanin ?

Le 30 novembre, sur le site de Renaissance Catholique, Jean-Pierre Maugendre apportait son soutien à l’article du Figaro, dans une lettre ouverte à Mgr Aupetit. Cette lettre était la troisième.

Dans la première J.-P. Maugendre avait rappelé à l’archevêque de Paris : « Il est beaucoup question de ne pas désunir la communauté chrétienne. Louable intention ! Cependant cette recherche de l’unité ne peut se réaliser dans la soumission inconditionnelle aux autorités politiques. Elle doit se faire dans la charité qui est l’amour de Dieu. »

Et un peu plus haut : « Bien franchement vous donnez à de nombreux fidèles la pénible impression de n’être que, pardonnez-moi l’expression, “le petit télégraphiste”1  de M. Darmanin [ministre de l’Intérieur et des Cultes. NDLR], dans une obéissance servile aux autorités politiques qui n’est, malheureusement, pas nouvelle.

« La tradition est ancienne. Ainsi, au moment des lois de séparation de l’Eglise et de l’Etat, Mgr Turinaz, évêque de Nancy, fustigeait “les catholiques qui sont dominés et aveuglés par une double passion, la passion de la servitude envers l’Etat et la passion des concessions perpétuelles et universelles”. »

Dans la deuxième lettre ouverte à Mgr Aupetit, on pouvait lire sous la plume de J.-P. Maugendre : « Vos propos semblent attribuer aux autorités politiques actuelles un satisfecit au service du bien commun qui ne peut que surprendre.

« La promotion continue de l’avortement, la légalisation des unions contre nature, les atteintes régulières aux droits des parents à élever leurs enfants selon leur foi et leurs convictions, la remise en cause de la liberté de se déplacer et de travailler, etc. Toutes ces mesures ne plaident pas en faveur de l’acceptation, sans examen, des décisions d’une autorité qui serait habituellement dévouée au bien commun.

« Que le culte soit sans importance pour des gouvernants qui mériteraient, sans doute, le reproche de saint Paul : “leur Dieu c’est leur ventre” (Ph 3, 19) est concevable, mais que ce sujet apparaisse comme mineur à des catholiques passe l’entendement.

Vous aviez promis, lors du premier confinement “d’aboyer très fort” en cas d’atteinte à la liberté de culte. N’est-ce pas le moment de se conformer aux paroles du psalmiste : “Je parlerai de tes prescriptions devant les rois et n’en aurai point honte” (Ps 118, 46) ? »

Sur ce matérialisme gouvernemental, peu ou pas dénoncé par la hiérarchie ecclésiastique en place, Mgr Schneider disait également dans l’entretien du 24 novembre déjà cité : « C’est l’expression d’un matérialisme fortement développé. Dans cette vision des choses, seuls les besoins du corps et d’autres valeurs temporelles sont considérés comme d’une importance vitale. Cependant, l’âme est plus importante que le corps, la vie éternelle est plus importante que la vie temporelle.

« On oublie cet important enseignement divin de Notre Seigneur qui disait : “L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu” (Mt 4, 4) et “Quel profit en effet aura l’homme, s’il gagne le monde entier, mais perd son âme ?” (Mt 16, 26).

« C’est avec regret et étonnement que nous constatons que l’hérésie du matérialisme et du naturalisme a déjà pénétré si profondément dans les pensées et les actions de nombreux catholiques et même de nombreux prêtres et évêques. L’Eglise doit restaurer la primauté de l’âme et de la vie éternelle. »

Un alignement suicidaire

Le constat d’un alignement ecclésiastique sur le dogme laïque était fait, sur le site de L’Incorrect du 12 novembre, par le philosophe Thibaud Collin : « Cette suppression sanitaire des cultes publics est aussi l’occasion pour nombre de fidèles de réaliser à quel point le catholicisme contemporain a fini par intérioriser le laïcisme républicain pour lequel les cultes sont réductibles à des convictions individuelles et, à ce titre, ne peuvent rivaliser avec la loi politique les transcendant. »

Pourtant de simples raisons démographiques devraient inciter les évêques de France « à sortir d’une posture quasi-concordataire avec l’Etat », selon le sociologue Yann Raison du Cleuziou dans Marianne du 17 novembre : « Le nombre de pratiquants ne cesse de chuter ! Seulement 1,8% de la population française [de 18 ans et plus. N.D.L.R.] pratique hebdomadairement la religion catholique.

Le profil des pratiquants se recompose sur ceux qui restent, et tendanciellement les plus conservateurs sont ceux qui transmettent le mieux la foi dans leur famille. Les évêques ne peuvent plus ignorer la jeunesse qui en est issue et qui est assez remuante et décomplexée.

Cette aile conservatrice a un recours ordinaire à la rue, et on l’observe effectivement depuis une dizaine d’années entre les manifestations contre la christianophobie de 2012, la “Manif pour tous” en 2013 ou encore les récentes manifestations sur la loi de bioéthique. »

Dans La Croix du 25 novembre, Y. Raison du Cleuziou se montrait plus explicite encore : « Dans une institution comme l’Eglise, le mépris affiché pour les ultimes pratiquants est suicidaire. »

  • 1Cette expression est tirée d’une pièce de Feydeau datant de 1890. Elle a été appliquée à Valéry Giscard d’Estaing par François Mitterrand en 1980, et reprise plusieurs fois depuis.