Chine : quelle fin pour l’Eglise catholique en Chine ?
Eglise catholique de Dali, dans le Yunnan
L’agence de presse AsiaNews des Missions étrangères italiennes (PIME) a publié un article du P. Gianni Criveller, président de la fondation PIME. Directeur d’AsiaNews depuis septembre 2023, sinologue, historien et théologien, il a vécu et enseigné dans le monde chinois (Hong-Kong, Taïwan, Macao et Chine continentale) durant 27 ans.
Nous reprenons ici des extraits de son analyse sur la situation de l’Eglise catholique en Chine, parue le 12 février 2024, tandis que le procès de l’homme d’affaires catholique Jimmy Lai se poursuit actuellement à Hong Kong.
L’analyse du P. Criveller
« D’après ce que l’on sait, 2024 devrait être une année décisive pour le dialogue entre la Chine et le Saint-Siège : l’accord de 2018, renouvelé deux fois, devra être soit ratifié définitivement, soit abandonné. (…)
« S’il est vrai que le pape nomme les évêques, ceux-ci ne sont pas choisis par lui mais par un processus autonome dirigé par les autorités chinoises, et dont les détails ne sont pas connus, étant donné que le texte de l’accord demeure secret. (…) Le double registre – d’une part des nominations qui semblent renforcer l’accord ; d’autre part le silence sur le rôle de Rome – saute encore plus aux yeux en lisant le Plan quinquennal pour la sinisation du catholicisme en Chine (2023-2027).
« Ce Plan, très détaillé et articulé en quatre parties et 33 paragraphes, a été approuvé le 14 décembre 2023 par l’organisme officiel qui unit la Conférence des évêques catholiques (non reconnue par le Saint-Siège) et l’Association patriotique des catholiques chinois, toutes deux placées sous la supervision du Front uni, le service du Parti communiste qui régit la vie religieuse du pays. Ce document a été publié le jour de Noël sur le site de l’Eglise catholique chinoise. Un document similaire avait été publié le 19 décembre pour les Eglises protestantes.
« Composé de 5000 caractères (soit environ 3000 mots en français), le Plan quinquennal “catholique” ne mentionne jamais le pape ni le Saint-Siège ; ni l’accord conclu entre le Vatican et la Chine. Le président Xi Jinping est quant à lui cité à quatre reprises. Par cinq fois, on répète que le catholicisme doit adopter des “caractéristiques chinoises”. Le mot “sinisation” occupe le devant de la scène : il apparaît pas moins de 53 fois.
« Le Plan est la feuille de route pour rendre le processus de sinisation plus profond, plus idéologique et plus efficace : “Il est nécessaire d’intensifier la recherche pour doter la sinisation du catholicisme d’un fondement théologique, pour améliorer continuellement le système de la pensée théologique sinisée, pour construire une base théorique solide à la sinisation du catholicisme, afin qu’il se manifeste constamment sous des caractéristiques chinoises.”
« Ces dispositions n’ont rien de surprenant pour qui s’intéresse à la politique religieuse du gouvernement chinois ces dernières années : ce qui impressionne, en revanche, c’est la fermeté et le style péremptoire du langage. Comme s’il n’y avait eu aucun dialogue et aucun rapprochement avec le Saint-Siège ; comme si la reconnaissance donnée par le pape à tous les évêques chinois comptait pour rien, comme s’il n’y avait pas d’accord entre le Saint-Siège et la Chine donnant au monde entier l’impression que le catholicisme romain ait trouvé hospitalité et citoyenneté en Chine. »
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Le courage exemplaire de Jimmy Lai
« Je suis profondément déçu par la position diplomatique du Vatican. Je l’interprète seulement comme un retour vers le passé des relations avec les régimes communistes, à l’époque de l’Union soviétique et de ses différentes entités. Nous avons vu… comment cela s’est passé pendant plus de 50 ans », a déclaré le père Robert Sirico, co-fondateur de l’Acton Institute.
Producteur exécutif du film The Hong Konger, il tenait ces propos en octobre 2023, à Rome, lors de la présentation du documentaire sur le valeureux combat mené par l’entrepreneur catholique Jimmy Lai face au gouvernement de Pékin. Le film a été visionné plus d’un million de fois sur YouTube et plus de 4 millions sur TikTok en seulement deux semaines, indique le journaliste américain Daniel Payne, le 18 décembre 2023.
Agé de 76 ans, fondateur du journal Apple Daily, Jimmy Lai est en prison à Hong-Kong depuis plus de trois ans pour avoir soutenu les mouvements prodémocratie et critiqué le gouvernement communiste. Après l’annexion précipitée de Hong Kong, le gouvernement communiste chinois a pu réprimer les manifestations d’opposition sur l’île, ayant imposé la loi sur la sécurité nationale entrée en vigueur le 1er juillet 2020.
Lors d’un entretien accordé le 5 octobre 2020, rapporte l’agence américaine Catholic News Agency, Jimmy Lai a confié qu’il soutenait le mouvement pro-démocratique de Hong Kong depuis 30 ans, en raison de « l’enseignement du Seigneur selon lequel votre vie n’est pas centrée sur vous-même ».
Arrivé de Chine clandestinement à 12 ans, converti au catholicisme en 1997, et baptisé par le cardinal Joseph Zen Ze-kiun, alors évêque de Hong Kong, l’homme d’affaires avait également précisé dans cet entretien qu’il n’avait pas l’intention de s’exiler avec sa famille, bien que citoyen britannique, motivé par sa foi en Dieu. « Si je pars, je ne renonce pas seulement à mon destin, mais aussi à Dieu, à ma religion, à ce en quoi je crois. »
Arrêté le 10 août 2020, puis incarcéré depuis décembre 2020 dans la prison de Stanley à Hong Kong, son procès s’est ouvert le 18 décembre 2023. Il a plaidé non-coupable aux chefs d’accusation retenus contre lui : conspiration en vue de produire des documents séditieux, conspiration en vue de collusion avec des puissances étrangères.
Jimmy Lai risque une peine de prison à vie dans ce procès « qui se déroule d’une façon de plus en plus grotesque », soulignent les Missions étrangères de Paris. En prison, il peint et réalise souvent des œuvres sur des thèmes religieux, mais peu appréciées des autorités qui ont essayé de l’en empêcher.
Depuis la fin février, une de ses œuvres peintes est exposée dans la chapelle de l’Université catholique de Washington. Il s’agit d’un Christ en croix, où figure sa signature au bas, ainsi que le lieu et la date de la réalisation : Prison de Stanley à Hong-Kong, 13 août 2022. Le Christ est représenté sur une grande croix de bois verte, entouré de huit grandes fleurs au cœur orange. Jimmy Lai considère son emprisonnement comme un moyen de s’unir à la Passion du Christ sur la croix, a-t-il confié au P. Sirico, ajoutant « que le sang des martyrs est la semence de l’Eglise ».
Au cours de l’entretien le 5 octobre 2020, Jimmy Lai avait insisté sur le besoin de la Chine de trouver un guide moral de la part du Vatican, mais il a exprimé sa déception quant aux négociations du Vatican avec le Parti communiste chinois (PCC), en particulier l’accord de septembre 2018 sur la nomination des évêques. « Le vide moral en Chine, avait-il souligné, est une opportunité pour le catholicisme de le combler et d’enseigner aux gens que “la vie, c’est plus que du pain ”. »
Les Chinois, a-t-il dit, « veulent de la religion, mais ils veulent surtout de la vertu et de la morale, pour vivre une vie qui a du sens, ce que le Vatican ne leur donne pas. Ce que le Vatican leur retire lorsqu’il s’aligne sur le PCC, qui les a réprimés dans leur quête spirituelle. C’est vraiment ridicule. C’est quelque chose de très décevant. »
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(Sources : AsiaNews/zenit/CNA/MEP/EWTN/DICI n°442 – FSSPX.Actualités)
Illustration : Flickr / Rod Waddington (CC BY-SA 2.0 Deed)