Chine : réponse du cardinal Re aux Dubia du cardinal Zen

Source: FSSPX Actualités

Il y a peu, le cardinal Joseph Zen Ze-kiun, évêque émérite de Hong Kong, avait adressé aux 223 cardinaux formant le Sacré Collège une lettre afin de les alerter sur le « meurtre » en cours dans l’Eglise en Chine, perpétré « par ceux-là mêmes qui devraient la protéger ». La lettre, datée du 27 septembre 2019, avait été rendue publique le 8 janvier 2020. Le cardinal Zen attirait l’attention des porporati sur un document émanant du Vatican et publié en juin 2019, intitulé « Lignes directrices pastorales du Saint-Siège concernant l’enregistrement civil du clergé en Chine ». (Cf. DICI n°392, janvier 2020) 

Le cardinal Giovanni Battista Re, doyen du Sacré Collège, a pris soin d’adresser une réponse aux Dubia du cardinal Zen dans une lettre du 26 février 2020 également destinée à tous les cardinaux – excepté l’évêque émérite de Hong Kong ! Le 29 février, Riccardo Cascioli en révélait la teneur sur le site italien de La Nuova Bussola Quotidiana : « une lettre explosive (…), et que La Nuova Bussola Quotidiana a pu consulter en exclusivité. Il s’agit d’une dure attaque frontale et sans précédent, contre l’archevêque émérite de Hong Kong, âgé de 88 ans, adversaire intrépide de l’accord [toujours tenu] secret entre la Chine et le Saint-Siège signé à Pékin le 22 septembre 2018 ». La lettre du cardinal Re est publiée à la suite de l’article. 

Riccardo Cascioli précise que le doyen du Sacré Collège s’attache à montrer une parfaite « continuité » entre le pape François et ses prédécesseurs sur un accord avec la Chine, affirmant : « une profonde harmonie de pensée et d’action des trois derniers pontifes ». Le cardinal Re attribue à Jean-Paul II « l’idée de parvenir à un accord formel avec les autorités gouvernementales sur la nomination des évêques », rappelant qu’il « a favorisé le retour à la pleine communion des évêques consacrés illégalement à partir de 1958 ». Le cardinal Zen est ensuite déclaré coupable d’avoir affirmé à plusieurs reprises qu’« aucun accord vaudrait mieux qu’un mauvais accord ». Envers et contre toute réalité, le doyen du Sacré Collège déclare que « les trois derniers pontifes ne partageaient pas cette position et ont soutenu et accompagné la rédaction de l’Accord qui, à l’heure actuelle, semblait le seul possible ». Il va jusqu’à démentir que l’accord signé en septembre 2018 pourrait être « le même que celui que le pape Benoît XVI avait, en son temps, refusé de signer » – comme l’avait dit le cardinal Zen –, en affirmant avoir consulté les archives de la Secrétairerie d’Etat, et que « Benoît XVI avait approuvé le projet d’accord sur la nomination des évêques en Chine, qui n’a pu être signé qu’en 2018 ». 

Le directeur de La Nuova Bussola Quotidiana demande alors pourquoi les documents de la Secrétairerie d’Etat cités et l’Accord secret de 2018 ne sont pas rendus publics ; ils attesteraient efficacement ces déclarations du cardinal Re. D’autant que la Lettre aux catholiques chinois de Benoît XVI, en mai 2007, va à l’encontre de telles déclarations. Enfin, « pourquoi, si Benoît XVI avait déjà donné son placet à l’Accord, celui-ci n’a-t-il pas été signé il y a dix ans » ? 

De plus, « l’Accord prévoit l’intervention de l’autorité du pape dans le processus de nomination des évêques en Chine. De ce fait, l’expression “Eglise indépendante” ne peut plus être interprétée de manière absolue comme une “séparation” d’avec le pape, comme c’était le cas dans le passé », écrit le cardinal Re. Il n’hésite pas à souligner « les conséquences qui résultent de ce changement d’époque à la fois doctrinal et pratique ». A propos de quoi Riccardo Cascioli s’alarme : « c’est donc parler explicitement de changements doctrinaux afin de parvenir à l’accord avec le gouvernement chinois, une affirmation gravissime. » Relevant ainsi qu’il s’agit là d’une « nouvelle ecclésiologie » que Benoît XVI, dans sa lettre aux catholiques chinois, déclarait « inconciliable avec la doctrine catholique ». 

Le même jour, 29 février, l’ancien nonce apostolique aux Etats-Unis, Mgr Carlo Maria Viganò écrit une lettre de soutien au cardinal Zen, publiée en italien par le site Corrispondenza Romana, traduite en français par Jeanne Smits sur son blogue.  

« Vous êtes un courageux confesseur de la foi, qui avez toute ma vénération et mon admiration ! Hélas, le mensonge est érigé en système au Vatican, la vérité est totalement renversée, la tromperie la plus perverse est pratiquée sans vergogne même par ceux qui paraissent au-dessus de tout soupçon, et qui se prêtent désormais à la complicité avec l’adversaire. On en est même venu à dire que “le pape Benoît XVI avait approuvé le projet d’accord” signé en 2018, alors que nous connaissons tous sa résistance acharnée et sa désapprobation répétée des conditions imposées par un régime persécuteur et sanguinaire. 

« Le Vatican a tout fait et davantage pour livrer l’Eglise martyre chinoise aux mains de l’ennemi : il l’a fait en signant le Pacte secret ; il l’a fait en légitimant des “évêques” excommuniés, agents du régime ; il l’a fait en déposant des évêques légitimes ; il l’a fait en imposant aux prêtres fidèles de s’inscrire dans l’Eglise qui est soumise à la dictature communiste ; il l’a fait quotidiennement en gardant le silence sur la fureur persécutrice qui, précisément depuis cet accord inopportun, a connu une augmentation inouïe. Il le fait maintenant à travers cette lettre ignoble à tous les cardinaux, cherchant à vous accuser, à vous dénigrer et à vous isoler. » 

 

Lettre ouverte du cardinal Zen au cardinal Re 

Après avoir pris connaissance de la lettre du doyen du Sacré Collège par les médias, le cardinal Zen publie une lettre ouverte en italien au cardinal Re sur son blogue, le 1er mars, puis en chinois et en anglais le 2 mars. Dans cette lettre ouverte, « permettant une communication plus rapide », l’évêque émérite de Hong Kong apporte en premier point une clarification de la position de Jean-Paul II et de Benoît XVI en citant une réponse de Benoît XVI au journaliste Peter Seewald dans Dernières Conversations (Fayard, 2016) : « – Avez-vous partagé et soutenu activement l’Ostpolitik de Jean-Paul II ? – Nous en parlions. Il était clair pour nous que cette stratégie poursuivie par Casaroli avec de très bonnes intentions était un échec. La nouvelle ligne poursuivie par Jean-Paul II était le fruit de sa propre expérience personnelle, vivant sous ce régime. Evidemment, personne ne pouvait s’attendre à ce que le communisme (en Europe) s’effondre si tôt. Mais de toute façon, au lieu d’être conciliant et d’accepter des compromis, il fallait y résister avec force. C’était la vision fondamentale de Jean-Paul II que je partageais. » – Le cardinal Zen précise que Benoît XVI lui avait envoyé un exemplaire du livre avec la dédicace « en communion de prière et de pensée ».  

Il demande ensuite au cardinal Re pour « prouver que l’accord récemment signé a déjà été approuvé par Benoît XVI », de lui « montrer le texte de l’accord, invisible jusqu’à présent, et les preuves d’archives » invoquées. Reste à expliquer pourquoi il n’a pas été signé à ce moment-là, conclut le cardinal Zen. 

Puis il reprend « le soi-disant changement du sens du mot “indépendance” », qui à son avis « ne pourrait exister que dans l’esprit du secrétaire d’Etat, et peut-être causé par une traduction erronée du chinois par le jeune minutante de la Congrégation pour l’évangélisation des peuples, désormais probablement le seul Chinois dans le bureau ». Erreur à laquelle s’ajoutent dix autres, précise-t-il, dans la traduction de la lettre du pape Benoît XVI de 2007. 

Enfin, le cardinal Zen demande ingénument s’il a tort de conseiller ses frères en leur disant : « ne critiquez pas ceux qui suivent les lignes directrices de Rome. Mais puisque ces directives laissent place à l’objection de conscience, vous pouvez tranquillement vous retirer dans les catacombes et ne pas résister par la force à toute injustice, de peur de subir de plus grandes pertes ». 

Le 3 mars, le P. Bernardo Cervellera, directeur de l’agence italienne AsiaNews, relève également les questions que pose cet Accord provisoire du 22 septembre 2018. Le doute n’en demeure pas moins, écrit-il, que « le dernier mot » du pape sur les nominations des évêques ne soit qu’une « bénédiction » extérieure, parce qu’il n’est pas certain que le pape ait le droit de veto ni que ce droit soit permanent, mais seulement temporaire. Il conviendrait également, poursuit-il, d’expliquer pourquoi il n’y a plus eu aucune ordination épiscopale en Chine depuis la signature de l’Accord. Et de rappeler que les deux ordinations épiscopales en 2019 avaient été décidées avant l’Accord : ce serait mentir, précise-t-il, que d’affirmer qu’elles sont le fruit de l’Accord. 

Le directeur de l’agence italienne des Missions étrangères demande une vraie mise au point de l’appartenance à une “Eglise indépendante”. Car, explique-t-il, le Parti communiste chinois exige des évêques et des prêtres qu’ils ne puissent pas « contacter de puissances étrangères, accueillir d’étrangers, accepter aucun délégué de communautés ou d’institutions religieuses étrangères ». S’y ajoute l’interdiction de « la formation religieuse des mineurs », de toute action religieuse en-dehors des lieux enregistrés (pas d’extrême-onction dans les hôpitaux ni de prières ou de bénédictions à la maison…). Il est inquiétant, conclut-il, que des évêques et des prêtres puissent accepter cela sans mot dire.  

Enfin le P. Cervellera souligne que la situation de l’Eglise de Chine a empiré depuis la signature de l’Accord. « Est-il possible que l’Eglise catholique et le Vatican se taisent pendant que tant de frères et de sœurs subissent de pareilles violences ? », s’inquiète-t-il. Et de citer un témoignage personnel : « J’ai demandé à un membre du Parti communiste chinois pourquoi ils déployaient autant de moyens pour contrôler un groupe si réduit de catholiques en Chine (moins de 1% de la population). Il m’a répondu : Nous avons peur de votre unité. »  

Le 5 mars Vatican News a mis en ligne le message-vidéo du pape pour le mois de mars, François y invite les fidèles à prier pour les catholiques de Chine afin qu’ils « persévèrent dans la fidélité à l’Evangile et grandissent dans l’unité ». Vatican News précise que le Saint-Père encourage les chrétiens chinois à être des « chrétiens engagés », de « bons citoyens » et à « promouvoir l’Evangile sans faire de prosélytisme », puisque l’Evangile se manifeste par un témoignage de vie. – Message surréaliste, commente Marco Tosatti sur son blogue, après avoir vu la vidéo. « En particulier quand il est dit que les catholiques “doivent promouvoir l’Evangile, mais sans prosélytisme, et réaliser l’unité”. Faire du prosélytisme sous l’une des dictatures les plus cruelles qui existent !? Mais avez-vous déjà entendu parler des Laogai ? Des prêtres et évêques persécutés, contraints de suivre des cours de rééducation ? Celui qui a écrit ce message que le Pontife a lu, est un ami de l’Association patriotique, le bras long – et court – du Parti communiste pour le contrôle de la religion. »