Chine/Vatican : dernière phase de l’Accord provisoire ?

Source: FSSPX Actualités

Dans un article intitulé « Le pape François considère la Chine comme un grand pays, dit le cardinal », le secrétaire d’Etat du Vatican, le cardinal Pietro Parolin, a répondu aux questions du quotidien chinois Global Times, – lié au People’s Daily, organe officiel du Parti communiste chinois. 

Vatican News, le site du Vatican, a annoncé le 13 mai 2019 que « le cardinal Parolin revient sur les avancées du dialogue » en citant de brefs extraits de l’entretien paru la veille en anglais dans le Global Times. Trois jours après cette publication, il n’existe toujours pas de traduction complète en chinois du long et important entretien, soulignait l’agence catholique italienne AsiaNews, évoquant les commentaires négatifs mis en ligne par les catholiques qui ont lu le texte publié en anglais. Ces critiques soulignaient particulièrement les silences du cardinal sur la destruction des croix, les persécutions et les contraintes imposées actuellement aux prêtres clandestins par l’Association patriotique, en Chine. On pouvait ainsi lire la critique suivante : « Dans l’une des réponses, le cardinal mentionne la différence entre inculturation et sinisation, et semble indiquer la possibilité qu’elles soient “complémentaires”. Ici, les commentaires sont clairs : “La sinisation n’est qu’un début : vient ensuite l’élimination [de l’Eglise de Chine]”. » 

CE QU’A DIT LE SECRETAIRE D’ETAT DU SAINT-SIEGE

Après avoir signé, le 22 septembre 2018, l’Accord provisoire sur la nomination d’évêques en Chine [toujours tenu secret] « nous sommes convaincus qu’une nouvelle phase de coopération accrue peut maintenant être ouverte pour le bien de la communauté catholique chinoise et pour l’harmonie de la société tout entière. Les canaux de communication fonctionnent bien. Certains éléments démontrent une confiance plus grande entre les deux parties », a tenté d’expliquer le cardinal Parolin dans son entretien.

« La Chine et le Saint-Siège ne sont pas en train de discuter sur la théorie de leurs systèmes respectifs, ni ne veulent ré-ouvrir des questions qui appartiennent désormais à l’histoire. Nous sommes, au contraire, en train de chercher des solutions pratiques pour la vie de personnes concrètes, qui désirent pratiquer sereinement leur foi, et offrir une contribution positive à leur pays », précisait-il.

« Pour le pape François – qui est au courant de tout ce qui s’est passé, même ces dernières années – le dialogue en cours a pour principal intérêt le niveau pastoral : il fait un grand acte de confiance et de respect envers le peuple chinois et sa culture millénaire, avec le ferme espoir de recevoir une réponse tout aussi sincère et positive. Le point vraiment important est que le dialogue devrait permettre de construire progressivement un consensus plus large en portant des fruits abondants », a affirmé le secrétaire d’Etat.

« L’inculturation est une condition essentielle pour une proclamation solide de l’Evangile qui, pour porter ses fruits, nécessite, d’une part, de préserver sa pureté et son intégrité authentiques et, d’autre part, de le présenter selon l’expérience particulière de chaque peuple et de sa culture. (…) Ces deux termes, “inculturation” et “sinisation” se réfèrent l’un à l’autre sans confusion ni opposition : ils peuvent, à certains égards, être complémentaires et ouvrir des pistes de dialogue sur le plan religieux et culturel. Enfin, je dirais que les principaux acteurs de cet engagement sont les catholiques chinois, appelés à vivre la réconciliation pour être authentiquement chinois et pleinement catholiques », a encore déclaré le cardinal Parolin.

« Le Saint-Père demande en particulier aux catholiques [chinois] d’entreprendre avec courage le chemin de l’unité, de la réconciliation et d’une proclamation renouvelée de l’Evangile. Il considère la Chine non seulement comme un grand pays, mais aussi comme une grande culture riche en histoire et en sagesse. (…) Pour reprendre les mots du pape François, nous dirions que ce n’est qu’en étant unis que nous pourrons surmonter la mondialisation de l’indifférence, en travaillant comme artisans créateurs de la paix et promoteurs résolus de la fraternité », a-t-il conclu.

CE QUI EST REELLEMENT IMPOSE EN CHINE

Le 25 juin, le P. Bernardo Cervellera, directeur de l’agence AsiaNews, écrivait qu’il recevait « des informations sur une lente et inexorable asphyxie de l’Eglise chinoise, officielle et clandestine. Le moteur de cette asphyxie est le terme “indépendance” auquel les évêques et les prêtres officiels doivent se soumettre et auquel les clandestins doivent adhérer s’ils souhaitent exercer leur ministère ».

Le père Cervellera souligne que cela a lieu précisément pendant qu’en Italie et en Chine est publiquement manifestée l’entente entre la Chine et le Vatican. Comme en témoigne cette série de déclarations et manifestations : 

Le 14 mai 2019, le cardinal Parolin avait prononcé un discours, à l’occasion du Xe anniversaire de la fondation de l’Institut Confucius, à l’Université du Sacré-Cœur de Milan. Dans cette intervention intitulée : « L’unité de la famille humaine du pape Benoît XV au pape François », il se réjouissait de voir que « pour la première fois après tant de décennies, tous les évêques en Chine sont en communion avec le Successeur de Pierre et beaucoup de catholiques posent des gestes de réconciliation qui aident à recomposer l’unité entre les évêques, les prêtres et les fidèles ».

Le mercredi 22 mai, « le pape François exprime sa proximité avec les catholiques de Chine », titrait Vatican News. A l’audience générale, le pape a rappelé que le 24 mai était la fête de Marie auxiliatrice, vénérée en Chine sous le nom de Notre-Dame de Sheshan, et il a invité à prier « pour que les catholiques chinois puissent être des témoins de charité et de fraternité, en restant toujours unis dans la communion de l’Eglise universelle ». 

Le 29 mai le site du Vatican annonçait que « pour la première fois, 76 œuvres à la lisière de l’art populaire, de l’art bouddhique et de l’art catholique, sorties des Musées du Vatican, sont exposées à la Cité interdite de Pékin, en Chine ». Un petit événement culturel qui s’inscrit dans la normalisation à petits pas des relations diplomatiques entre les deux Etats, précisait-il.

Le Global Times du 19 juin annonce la « première » participation des musées du Vatican dans une exposition à Pékin : une « première » conférence à l’Université de Pékin a ainsi eu lieu « sur le pape François et sa vision », donnée par le père Benoit Vermander, s.j., devant 40 personnes ; et pour la « première fois » une conférence a été organisée à l’Académie des sciences sociales de Pékin sur le thème “Grandir en amitié - Une perspective des relations sino-vaticanes”, par le P. Antonio Spadaro, s.j., directeur de la revue jésuite Civiltà Cattolica.

Toutes ces déclarations lénifiantes et toutes ces manifestations culturelles ne doivent pas empêcher de poser la seule question qui importe : comment Pékin entend-elle préserver “l’indépendance” de l’Eglise de Chine ? Par le rejet de l’influence des « puissances étrangères », y compris du Saint-Siège, explique le père Cervellera. Et de citer le document adressé à AsiaNews par des correspondants de la province du Fujian (sud-est de la Chine). Intitulé « Lettre d’engagement des responsables des lieux de culte et des personnes consacrées », le texte énumère en dix points la liste des obligations auxquelles tous les prêtres et religieuses (les religieux ne sont pas autorisés en Chine) doivent se soumettre en signant cette lettre. Dans le cas contraire, le prêtre ne peut exercer son ministère. Le Règlement pour les affaires religieuses impose de s’engager à : suivre la politique du Parti, insister sur la sinisation, interdire l’entrée d’enfants mineurs à l’église, ne pas organiser de cours de formation pour mineurs, ne pas contacter les puissances étrangères, ne pas accueillir des étrangers, n’accepter aucune délégation de communautés ou d’institutions religieuses étrangères, ne pas accepter d’entretiens, de formation ou d’invitations à des conférences à l’étranger, ne pas diffuser les idéologies qui soutiennent l’extrémisme, ne pas financer des activités extrémistes, en l’absence de permis ne pas évangéliser dans les lieux publics, ne pas poser d’affiches et installer des haut-parleurs à des fins d’apostolat, etc.

Cette nouvelle règlementation est mise en place dans le Fujian, mais aussi dans les provinces du Henan, Hubei, Zhejiang, précise le père Cervellera. 

CE QU’A COURAGEUSEMENT DECLARE UN EVEQUE CHINOIS

Parmi les évêques clandestins, Mgr Vincent Guo Xijin, âgé de 56 ans et évêque de Mindong (Fujiang), avait été contraint de céder sa place après la signature de l’Accord provisoire, à l’évêque officiel Mgr Vincent Zhan Silu, « pour obéir au “sacrifice” qui lui a été demandé par le Vatican » (voir DICI N°377, octobre 2018). Devenu évêque auxiliaire de Mindong, il avait été obligé de promettre par écrit obéissance à l’évêque officiel et aux lois du gouvernement, tout en refusant de s’engager à respecter les principes de “l’indépendance” de l’Eglise imposée par l’Association patriotique (AP), qu’il considérait comme inconciliables avec la foi catholique. Rappelons que le diocèse de Mindong compte plus de 90.000 catholiques, dont 80.000 dans l’Eglise clandestine, desservie par 57 prêtres, 200 religieuses, 300 laïcs consacrés et des centaines de catéchistes laïcs. (voir DICI n°383, avril 2019)

Cependant, écrit le père Cervellera le 18 juin 2019, le Front uni exige de tous les prêtres clandestins du diocèse de Mindong d’adhérer à l’Association patriotique en prétendant que Mgr Guo a signé son adhésion. « D’où la rébellion de Mgr Guo, qui préfère ne pas être reconnu comme évêque par le gouvernement, plutôt que de voir ses prêtres forcés d’adhérer à l’Association patriotique », précise-t-il. C’est pourquoi l’évêque auxiliaire de Mindong, à dessein de préserver sa liberté et celle de ses prêtres, poursuit le directeur d’AsiaNews, a adressé une lettre au Bureau de la sécurité publique et au Bureau des affaires religieuses de la ville de Fu’an, et à Mgr Zhan Silu.

Dans cette lettre Mgr Guo a retiré sa demande de reconnaissance du gouvernement et en explique la raison : « Le gouvernement a déjà décidé de persécuter les prêtres qui refusent de signer la demande [d’adhésion à l’AP]. Si je ne suis pas en mesure de les protéger, il ne vaut pas la peine d’être reconnu comme évêque auxiliaire. Je suis prêt à faire face à la persécution avec d’autres prêtres. »

Des sources diocésaines ont précisé à AsiaNews que ces nouvelles dispositions dans la province du Fujian sont l’application d’un « projet pilote » pour la réalisation de l’Accord entre la Chine et le Vatican.