Comment imaginer l’avenir œcuménique ?
Cest la question que posait le pape Jean-Paul II dans son homélie au cours des vêpres à Saint Pierre de Rome, le 13 novembre. Cette cérémonie clôturait les trois jours de réflexion organisés à Rocca di Papa pour les quarante ans du décret conciliaire sur lcuménisme Unitatis redintegratio (voir DICI n°104).
"A notre époque, nous assistons à la croissance dun humanisme erroné, sans Dieu, et nous faisons le constat des conflits qui ensanglantent le monde, avec une profonde douleur. Dans cette situation, lEglise est dautant plus appelée à être un signe et un instrument dunité et de réconciliation avec Dieu et entre les hommes", a dit Jean-Paul II, ajoutant : "Face à un monde qui croît vers son unification, le chemin cuménique est dautant plus nécessaire aujourdhui", et soulignant que le décret sur lcuménisme était "un des moyens concrets par lesquels lEglise a répondu a cette situation". "Rechercher lunité, cest adhérer fondamentalement à la prière du Christ. Le Concile Vatican II, qui a fait sien ce désir ( ) na pas crée de nouveauté", a-t-il tenu à préciser.
Le pape sest réjoui de la façon avec laquelle "beaucoup de fidèles chrétiens du monde entier" ont été touchés ces dernières décennies, par "le désir ardent dunité". Les nombreuses rencontres cuméniques à tous les niveaux de la vie ecclésiastique, les dialogues théologiques ainsi que la redécouverte des témoins communs de la foi, ont confirmé, approfondi, et enrichi la communion avec les autres chrétiens", a-t-il justifié.
"Nous navons toutefois pas encore atteint le terme de notre chemin cuménique : la communion pleine et visible dans la même foi, dans les mêmes sacrements et dans le même ministère apostolique", a poursuivi Jean-Paul II. Car si "beaucoup de différences et dincompréhensions ont été surmontées", "beaucoup de pierres dachoppement sont encore disséminées le long du chemin". Il a alors cité en exemple les malentendus, préjugés, paresses et petitesses de cur en la matière, et "surtout les différences de foi qui se concentrent autour du thème de lEglise, de sa nature et de ses ministères". Il a aussi regretté les "nouveaux problèmes" soulevés "particulièrement dans le domaine éthique, où fleurissent de nouvelles divisions, empêchant le témoignage commun".
Si le pape a reconnu que "toutes ces raisons qui nous empêchent jusquici de participer au sacrement de lunité" - leucharistie - sont "source de beaucoup de souffrances et de déceptions", il a aussi expliqué que cela "ne devait pas mener à la résignation". Même si "le chemin à parcourir est probablement encore long et fatigant", cela doit au contraire être un "encouragement à continuer et à persévérer dans la prière et dans lengagement pour lunité". "Plutôt que de nous lamenter de ce qui nest pas encore possible, nous devons nous réjouir de ce qui existe déjà et de ce qui est possible", a-t-il déclaré, citant "le chemin pour lunité déjà parcouru" par des Eglises et communautés ecclésiastiques chrétiennes, autres que catholiques.
"Comment imaginer lavenir cuménique ?", sest ensuite interrogé Jean-Paul II. "Lunité de lunique Eglise, qui existe déjà dans lEglise catholique ( ) nous garantit quun jour aussi, lunité de tous les chrétiens deviendra réalité", a-t-il répondu. "Nous devons surtout renforcer les fondements de lactivité cuménique, cest-à-dire la foi commune dans tout ce qui est exprimé dans la profession baptismale, dans le Credo apostolique et dans le Credo de Nicée-Constantinople". Et "à partir de cette foi, nous devons développer le concept de spiritualité de communion", cest-à-dire "partager ensemble dans la profession intègre de foi, dans les sacrements, et dans le ministère ecclésiastique, le chemin vers lunité".
"Ne nous faisons pas dillusions : sans chemin spirituel, les instruments extérieurs de la communion serviraient peu", a-t-il mis en garde. Car "le vrai cuménisme nexiste pas sans conversion intérieure et sans purification de la mémoire, sans sainteté de vie en conformité avec lEvangile, et surtout sans une prière intense et assidue qui fasse écho à la prière du Christ". "A cette fin, je constate avec joie le développement dinitiatives de prière commune et aussi la naissance de groupes détude et de partage des traditions réciproques de spiritualité", a-t-il conclu, remerciant aussi tous ceux qui prient et oeuvrent pour cet itinéraire de rapprochement et de réconciliation, ainsi que les nombreux membres des différentes hiérarchies chrétiennes qui avaient pris part au colloque organisé par le cardinal Walter Kasper, président du Conseil pontifical pour la promotion de lunité des chrétiens.
Ce dernier ouvrait le 11 novembre ces journées de réflexion par la déclaration suivante : "Le Concile na pas été si naïf au point dignorer le danger que pourrait comporter lintégration du mouvement cuménique dans la dynamique eschatologique de lEglise. Cette dynamique aurait pu être interprétée de façon erronée comme un mouvement progressiste, selon lequel lhéritage des traditions antiques est perçu comme désuet et refusé au nom dune conception pour ainsi dire progressiste de la foi".
"Il existe un réel danger de relativisme et dindifférentisme conduisant à un cuménisme bon marché, qui finit par le rendre superflu", a-t-il poursuivi. "De cette façon, le mouvement cuménique a souvent été la proie des mouvements critiques à légard de lEglise et a été utilisé contre elle".
Le cardinal a alors souligné que, dans lcuménisme, il nétait pas question de "laxisme dogmatique" : "Le chemin cuménique nest pas un voyage vers linconnu. LEglise sera dans lhistoire ce quelle est, ce quelle a toujours été, et ce quelle sera toujours". Et dajouter que les principes catholiques de lcuménisme sont "clairement et inéluctablement opposés à un irénisme et à un relativisme qui tendraient à tout banaliser".
Ainsi, "lcuménisme nest pas une voie nouvelle", a ajouté le prélat allemand. "La pleine unité des disciples du Christ" reste inscrite "dans le socle de la Tradition". On ignore si le président du Conseil pontifical pour lunité des chrétiens entendait répondre par cette affirmation aux critiques formulées par la Fraternité Saint-Pie X dans le document De lcuménisme à lapostasie silencieuse, remis fin janvier à tous les cardinaux (voir DICI n°89). Les auteurs de cette étude risquent fort de considérer la réponse insuffisamment étayée.
A noter : le 27 novembre, le pape accueillera le patriarche cuménique de Constantinople, Bartholomé Ier, dans la basilique vaticane. Au cours dune célébration cuménique, Jean-Paul II lui remettra les reliques de saint Grégoire de Nazianze (330-390) et de saint Jean Chrysostome (349-407), évêques de Constantinople et pères de la liturgie byzantine. Le pape souhaite restituer aux orthodoxes dIstanbul ces reliques apportées en Italie par les croisés, après le sac de Constantinople en 1204. Dans le cadre des échanges cuméniques entre catholiques et orthodoxes, une délégation du Saint-Siège est attendue à Istanbul pour la fête de saint André, patron de lEglise orthodoxe, le 30 novembre.