Connaissance de l’islam

Source: FSSPX Actualités

Il y a 2000 ans le christianisme faisait une humble entrée dans le monde, et méritait à son fondateur et à ses apôtres une mort violente. Durant des siècles le sang chrétien allait couler pour féconder la terre : « le sang des martyrs est une semence de chrétiens » comme l’a si bien dit Tertullien (Apologétique 50, 13).

Il y a maintenant près de mille quatre cents ans, l’islam commençait à faire régner sa loi sanglante, et depuis des siècles le sang coule là où il cherche à s’étendre et dans les pays conquis. L’opposition est donc totale, dès les origines. Les lignes qui suivent s’essayent à présenter la loi musulmane.

Sources de l’histoire et de la loi musulmane

La misère de ces sources est profonde, occultée par les historiens musulmans, qui en sont souvent les victimes, et par la répétition servile des historiens de l’Occident. Ainsi, il n’y a quasiment pas de documents contemporains au commencement de l’islam. Les premiers éléments sont très postérieurs à Mahomet et issus de manipulations répétées. Quant à la vie du fondateur, elle n’a presque rien d’historique. Les recherches les plus récentes convergent toutes vers cette conclusion.

Pour connaître les débuts de l’islam et la vie de Mahomet, les musulmans utilisent d’une part le Coran, et d’autre part la tradition. Or, ces deux sources sont sujettes à caution. Du fait de leur origine tardive ; mais aussi de la grande difficulté d’interprétation qui entoure le Coran ; enfin de l’absence d’historicité d’une très grande partie de la tradition. L’historien se trouve vraiment très démuni.

Première partie : le Coran

La recherche sur les origines du Coran est déjà parvenue à des résultats notables. Parmi ces données, certaines d’entre elles peuvent n’être que des hypothèses à vérifier, mais la ligne générale de la formation du Coran est désormais bien dégagée.

Selon l’islam, le Coran est un livre révélé

Coran (Qoran) signifie « récitation » ou encore « lectionnaire ». C’est un texte destiné à être récité dans les cérémonies religieuses. L’orthodoxie musulmane le considère comme incréé : en ce sens qu’il reproduit une copie conforme au prototype de la religion divine, conservé au Ciel de toute éternité ; mais aussi que, dans sa forme actuelle, sa reproduction phonétique et graphique, dans son vêtement linguistique arabe, il est identique et coéternel à l’original céleste.

Il serait ainsi le fruit d’une révélation, d’une dictée, faite à Mahomet par l’archange Gabriel, étalée sur des dizaines d’années ; puis répétée par lui à des disciples qui mémorisaient le texte. Cependant, ce n’est que la première phase de la constitution du livre.

Une confiscation du texte

Après la mort de Mahomet, un calife (Otman, 579-656, mais il y a désaccord partiel à ce sujet) aurait ordonné la collecte des éléments du texte, écrits sur des omoplates de chameau, des pierres ou autres matériaux. Les textes déjà existants furent brûlés et leurs détenteurs mis à mort. Une nouvelle campagne de destruction des manuscrits non conformes fut menée sous le califat de Abû Bakr en 665, et de nouveau par ‘Abd al-Malik. De fait, il n’existe aujourd’hui quasiment aucun document antérieur au 9e siècle. Finalement, toujours selon les traditions musulmanes, une dernière phase de transcription du Coran fut entreprise sous le règne de ‘Abd al-Malik (685-705). Ce dernier homogénéisa l’orthographe et opéra des révisions pour empêcher des omissions et confusions, trop évidentes. Ce n’est qu’au 10e siècle que fut adopté un seul système consonantique limitant les interprétations à 7 lectures.

Le voyage nocturne

Pour avaliser la sacralisation du Coran, le texte lui-même a recours à un récit très particulier qu’il n’est pas inutile de rapporter : « le voyage nocturne ». En voici un récit abrégé. Une nuit, Mahomet quitte La Mecque, sur l’inspiration divine. Dieu lui fournit un guide, l’ange Gabriel, et une monture, la jument Buraq. Il atteint Jérusalem après un voyage aérien et se pose sur l’esplanade du temple. Il y trouve Abraham, Moïse, Jésus et d’autres prophètes qui prient avec lui et derrière lui. Deux coupes paraissent, l’une de vin, l’autre de lait : Mahomet choisit le lait, ce qu’approuve Gabriel. Puis, d’un élan vigoureux qui laisse une trace sur le Rocher, Mahomet, aidé par des anges, s’élève vers le ciel. Celui-ci s’ouvre jusqu’à sa septième partie, la plus proche de Dieu, qui lui indique les cinq prières que les Musulmans auront à réciter quotidiennement. Il y considère le Coran « céleste » placé auprès de Dieu, mais il « l’oublie » avant de repartir. Il redescend, reprend son cheval ailé et retourne à La Mecque où il annonce l’arrivée prochaine d’une caravane qu’il a survolée et dépassée. La caravane arrivant effectivement, ce récit de son ascension auprès de Dieu est validé.

L’oubli du Coran “céleste” est nécessité par deux faits énoncés dans le Coran terrestre (copie parfaite du Coran céleste…) : d’abord pour montrer que « le Livre » existe auprès de Dieu ; ensuite pour prendre en compte la dictée par Gabriel. C’est le moyen que les Califes ont trouvé pour expliquer ces deux données. Quant au lieu de l’ascension de Mahomet vers le ciel, il devait être Jérusalem, lieu sacré « incontournable ». Il était nécessaire d’y ancrer l’islam et par là même de s’en emparer. Voilà pourquoi le texte coranique devait lier Mahomet et l’esplanade du temple. C’est au point de départ de l’ascension que la mosquée el-Aqsa (« éloignée », comme dans le texte coranique) sera construite 90 ans plus tard. À ce prix, la sacralité islamique de Jérusalem est sauve : son esplanade est devenue le second lieu saint de l’Islam.

Origine réelle du Coran

Le premier le P. Théry avait proposé une hypothèse qu’il avait exposée dans les volumes parus sous le pseudonyme d’Hannah Zacharias. Après sa mort, il fut continué par son disciple, le P. Bertuel. Ils avaient discerné de nombreux éléments judaïsants dans la doctrine exposée par le Coran et orienté les regards de ce côté. Le P. Gallez a renouvelé le sujet et nous a rapproché de la solution : les éléments de base du Coran auraient été un catéchisme judéo-chrétien, d’une secte assez particulière (les judéo-nazaréens).

Il s’agit de l’une de ces nombreuses tendances, ou sectes, nées après la prédication évangélique, qui mêlaient les espérances d’Israël à la religion de Jésus-Christ. Elles ont été décrites et souvent combattues par les Pères de l’Église. Il apparaît que cette secte a persisté longtemps, et a fini par rechercher l’alliance de certains arabes vivant en Syrie pour réaliser son programme religieux et messianique. C’est l’examen interne du Coran qui a mené à cette conclusion, désormais partagée par nombre de spécialistes de l’islam.

Ainsi, le texte de base qui a servi à l’élaboration du Coran serait un catéchisme « judéo-nazaréen », conçu pour les Arabes, afin de les convertir à la secte et de les enrôler dans la mission à laquelle elle se croyait destinée : reconstruire le temple de Jérusalem et y introduire un culte “pur” afin de provoquer le retour du Messie et son règne de 1000 ans. C’est ce catéchisme que Mahomet prêchait autour de lui pour attirer ses concitoyens à cette secte à laquelle il était lié par sa première épouse.

Eléments de preuve

Les plagiats et les emprunts du Coran à des traditions juives ou judéo-chrétiennes sont légion. Nombre de lois de l’islam sont puisées à la religion juive et au Talmud. Certains passages ou versets du Coran sont tirés du Deuxième Targum d’Esther (27.17-44)1, du Testament d’Abraham (87.19), du Targum de Jonathan ben Uzziah et du Targum de Jérusalem (5. 30-31) ou encore du Midrash Rabbah (21-51-71 ; 29. 16-17 ; 37.97-98). Tous ces ouvrages font partie de la littérature rabbinique.

De plus, environ 25 % du texte coranique est un recopiage littéral de livres apocryphes tels l’Évangile du pseudo-Matthieu, l’Évangile de Jacques le Mineur, l’Évangile de Thomas, l’Histoire de la Nativité de Marie et de la petite enfance du Sauveur, le Livre des Jubilés qui contient l’histoire de Satan le lapidé (3.36) et les remontrances d’Abraham à son père (19.41). Ces emprunts pointent vers un milieu judéo-chrétien.

Passage de la tradition judéo-chrétienne à l’islam

Après la mort de Mahomet, ses successeurs ayant pris Jérusalem selon le projet de la secte purent vite constater que ces théories étaient des chimères. Ils décidèrent de reprendre les choses à leur compte, en modifiant le Coran dans le sens d’un système nouveau. Vaste entreprise, car il n’est pas facile de détourner un livre public, ou du moins suffisamment diffusé. D’autant que les diverses autorités, civiles ou religieuses, cherchant à tirer la couverture à elles, se sont efforcé d’orienter le texte dans le sens qui les favorisaient. D’où ces incessantes corrections, ces rappels de corans, ces destructions afin d’essayer de contrôler l’évolution du texte.

Mais comme cela ne peut pas toujours durer, le texte s’est retrouvé plus ou moins fixé, avec des variantes locales, ou selon les tendances (par exemple entre chiisme et sunnisme, les premiers accusant les seconds d’avoir falsifié le Coran), vers le 9e siècle, comme il a été dit.

Dernières évolutions

Toutes ces manipulations, faites à hue et à dia, avaient provoqué maintes incohérences dans le Coran, qui est de fait très obscur. Pour les supprimer, trois décisions seront prises au tournant du 11e siècle, toujours en vigueur aujourd’hui.

1) L’affirmation du dogme du Coran incréé : ce serait le Coran céleste que Mahomet aurait contemplé lors du voyage nocturne.

2) La doctrine de l’abrogeant et de l’abrogé : plus une sourate est de révélation tardive, plus sa valeur est forte, son commandement impératif. Précisément, en cas de contradiction, il faut considérer la sourate plus tardive comme supérieure. Cela entraîne un tri entre sourates « médinoises 2 », les plus violentes, et sourates « mecquoises3 », beaucoup plus pacifiques.

3) La « fermeture des portes de l’ijtihad », autrement dit l’arrêt de l’effort de réflexion sur la religion et du travail d’interprétation. Elle interdit tout examen critique du Coran et de la religion.

Sans oublier la « tradition ». Ce que l’on ne pouvait plus demander à une modification du texte a été recherché dans la production d’une explication qui prit le relais d’une évolution du Coran.

Conclusion

Au point de vue historique, l’on ne peut quasiment rien attendre du texte. Avant de pouvoir l’appréhender de façon plus nette, il faudra encore beaucoup de travail pour le clarifier, si tant est que l’on puisse y parvenir. Il est d’ailleurs intéressant de faire un parallèle avec la Bible. Celle-ci a subi, pendant 150 ans, l’assaut répété des tendances naturalistes et historicistes : les objections se sont dressées, les moqueries et les railleries se sont abattues de toute manière. Mais aujourd’hui, cette écume s’est évanouie, et le Livre sacré est resté maître du terrain : il a résisté victorieusement à toutes les critiques. Que restera-t-il du Coran lorsqu’il aura subi pareille épreuve du feu ?

Deuxième partie : la sunna et le hadith

Après le Coran, nous poursuivons avec la tradition musulmane.

La tradition ou Sunna 

La seconde source doctrinale et disciplinaire de l’islam est la Sunna du Prophète, la « coutume ou norme de conduite », d’où est dérivé le terme sunnisme, désignant la branche majoritaire de l’islam contemporain (85%), par opposition au chiisme (plus de 10%). Mahomet est qualifié de « modèle par excellence » par le Coran : il est censé avoir édicté des règles positives de vie religieuse et morale par ses exemples, ses paroles ou même ses silences. D’où trois classes de sunna : verbale, active, tacite. Pour montrer l’importance de la tradition, citons l’aphorisme : « la Sunna peut se passer du Coran, mais non le Coran de la Sunna ». Tous les musulmans admettent que la Sunna complète et explique le Coran. L’on peut citer nombre de lois absentes du Coran mais données par la Sunna, comme la lapidation de la femme adultère.

Formation de la Sunna

Après la mort de Mahomet, l’obscurité du Coran montra vite son insuffisance pour organiser la communauté musulmane (umma). L’on eut alors recours aux exemples du fondateur rapportés par des témoins supposés fiables : les Compagnons du Prophète (Sahabi). Il s’agit de tous ceux qui ont pu fréquenter le Prophète et ont rapporté cette tradition. Ceci suppose que, pleinement conscients de leur mission, ils ont passé leur temps à étudier le « beau modèle » ; puis à noter diligemment ou mémoriser attentivement les moindres détails afin de les transmettre à la postérité. On associe aux Compagnons leurs descendants et successeurs qui ont recueillis ces traditions de la bouche des premiers. Ensemble, ils forment la classe des salaf, Pères ou ancêtres, dont se réclament les salafistes.

Conservation et transmission

D’après les traditions musulmanes, de très nombreux sahabi auraient rassemblé la masse de renseignements transmis durant le premier siècle de l’Hégire.4 Une discipline spéciale, le hadith (littéralement « nouveauté »), destinée à prendre un prodigieux développement, allait naître pour organiser ce matériau. Chaque hadith se compose de deux parties : l’isnad et le matn. Ce dernier représente le fond, le texte du hadith qu’il doit reproduire scrupuleusement. L’isnad déroule la chaîne des autorités, des garants, par le canal desquels le hadith est parvenu au dernier transmetteur.

Cette discipline aurait une très grande autorité si tous les hadiths provenaient de Mahomet ou de ses Compagnons, mais c’est très loin d’être le cas. A l’époque du califat surtout, le hadith sert à créer la tradition selon des besoins divers ; on cherche à justifier une pratique de la Sunna ; ou bien à créer une sunna inexistante ; ou à déterminer un courant d’idées favorables à la naissance d’une sunna. Les partis politiques (califat) et religieux (oulémas) de l’islam primitif utilisèrent le hadith en leur faveur via une production effrénée. Ils seront imités par les sectes dissidentes. Chaque parti, secte ou école tendra à posséder les traditions les plus favorables à ses prétentions ou à ses doctrines. Le hadith servira même à couvrir des ressentiments personnels : le mécontentement populaire en fabriquera contre les policiers ou les agents du fisc ! La production devient vite exponentielle.

Evaluation chiffrée de la Sunna

Les plus anciens recueils de hadiths furent élaborés à l’époque des califes Omeyyades (660-749) ; les principaux datent du 9e siècle, où l’on commença à classer les matériaux qui devaient constituer les recueils de hadiths. L’un des plus célèbres auteurs, Boukhari (mort en 870) en recueillit 300.000… Sur le total, il en déclarait 200.000 complètement apocryphes et n’en retint que 8.000.

L’on compte aujourd’hui plus d’un million et demi de hadiths.5 Cette prolixité, précoce, est si aberrante que des savants musulmans ont cherché depuis longtemps à évaluer la valeur des hadiths ; ce fut le développement d’une immense littérature qui s’est attachée à vérifier la solidité de l’isnad. Ils aboutirent à un classement qui tient compte des personnages nommés dans la chaîne : digne de confiance, exacte, véridique, rien à objecter, douteuse ou faible. Mais le fond n’est jamais mis en doute : la valeur de la tradition, du matn, ne peut être discutée.

Jugement critique

Considérons les informations données par le hadith. Pour l’instruction du croyant, il relate comment Mahomet accomplissait ses prières, ses ablutions ; comment il mangeait, jeûnait, s’habillait, se comportait dans la vie domestique ; nous apprenons à connaître ses menus préférés, son vestiaire, ses appartements, ses armes, ses chevaux, ses chamelles avec leurs noms, leur généalogie et leurs qualités… Le Maître est censé répondre d’avance aux difficultés dogmatiques, disciplinaires et politiques du futur. Il détaille, en les désignant par leur nom, les villes et les contrées, conquêtes réservées aux armes de l’islam. Il condamne les hérétiques des temps futurs. Il détermine ainsi la Sunna et complète les prescriptions sommaires du Coran.

Malgré leurs invraisemblances, la plupart des écrivains musulmans se refusent à écarter des hadiths, fussent-ils contradictoires ou manifestement apocryphes. Ceux qui reconnaissent le caractère inventé de certains hadiths se contentent de signaler les faiblesses de son isnad et le peu de valeur des garants qui y sont nommés. Le célèbre islamologue Louis Massignon a pu écrire que si l’on éliminait tous les hadiths à isnad faible, « les croyants n’y trouveraient plus que quelques prescriptions d’hygiène et de civilité 6 ». Cette constatation ne laisse que peu d’éléments pour écrire la vie de Mahomet.

La Sîra

Vers la fin du 8e siècle, les auteurs musulmans commencèrent à composer la Sîra, ou Vie de Mahomet : il en existe de nombreuses versions. Elles dépendent toutes, en quasi-totalité, du hadith, car le Coran ne donne que très peu d’éléments de la vie du Prophète. La valeur historique de ces écrits vaut ce que vaut la source, rien moins que fiable. La plupart des détails traditionnellement donnés dans la Sîra, et complaisamment repris en Occident, sont excessivement sujets à caution.

C’est pourquoi il est impossible d’écrire une vie de Mahomet. Le P. Lammens a montré comment ces textes n’apportaient rien de nouveau au Coran lui-même 7 : aucun fait, aucun renseignement précis, mais seulement un développement prodigieux d’imagination pour colorer ce que le Livre dit de Mahomet. Par exemple en donnant des noms, des descriptions, des détails pittoresques, mais aucun détail historique. Finalement, la Sîra n’est qu’un conte des mille et une nuits…

Quelques exemples

1. La préexistence de l’âme de Mahomet est un dogme favori de la tradition, accepté par la Sîra, mais d’origine platonicienne et gnostique. Les hadiths en ont pris l’idée dans des textes mal compris, où Allah dit aux fidèles : « Nous vous avons envoyé une lumière 8 ». Ce thème a été développé et appliqué à la personne du Prophète. Ainsi, son corps émettait des ondes lumineuses, de façon à se rendre visible au milieu des plus épaisses ténèbres. Une nuit, cette lumière aurait permis à Aïcha (l’une des femmes du Prophète) de retrouver une épingle égarée. La personne de Mahomet « ne produisait pas d’ombre ; son rayonnement faisait pâlir l’éclat du soleil et des flambeaux ». Source intense de lumière, il voyait par derrière son dos ; il voyait de jour comme de nuit. Mieux encore : il possédait un œil matériel, planté au milieu du dos, ou entre les épaules, on ignore au juste, et ses habits ne parvenaient pas à en arrêter « la pénétration ». Cet exemple permet d’apprécier la fécondité, la logique et les procédés de la tradition, s’acharnant sur un vocable interprété de travers.

2. Mahomet avait reçu à sa naissance le nom de Qotam, mais le livre d’Allah lui ayant donné celui d’Ahmad, ou Mohammad, la tradition n’a pas voulu en connaître d’autre. Cependant on peut retrouver la trace du premier en cherchant bien dans les hadiths.

3. Quel était l’âge de Mahomet à sa mort ? Il l’a sans doute ignoré lui-même, comme les Bédouins de nos jours. Mais la tradition a improvisé une chronologie de la Sîra. Les chiffres adoptés oscillent entre 60 et 65 ans, tirés d’un verset du Coran mal interprété. L’explication est d’ailleurs parfois d’une fantaisie singulière. En voici une : « Chaque prophète atteint la moitié de l’âge de son prédécesseur ; or ‘Isa (nom arabe de Jésus) a vécu 125 ans… » Conclusion : Mahomet aurait atteint 62 ans et demi…

4. Les Arabes sont très fiers d’affirmer leur paternité. Mahomet portait le surnom (konia), d’Abou’l Quasim, père de Quasim, son fils. Selon la tradition, il aurait défendu à ses sectateurs d’adopter pour eux-mêmes cette konia et de l’ajouter au prénom de Mahomet. Assertion contredite par l’histoire : parmi les contemporains et dans la génération postérieure au Prophète, nous connaissons plus d’un Abou’l Quasim s’appelant Mahomet. Quel motif a pu insinuer cette prétendue défense ?

5. Le récit de la jeunesse de Mahomet a été suggérée à la Sîra par la sourate 93 (c’est Allah qui parle) : « Nous t’avons trouvé pauvre, orphelin, sans famille ». Ces mots fournirent la trame d’un véritable Evangelium infantiæ Muhameti. 9 Rien ne permet de contrôler l’exactitude du roman basé sur ces données inconsistantes, et où on le fait passer par toutes les vicissitudes des orphelins arabes. L’imagination des traditionnistes a suppléé aux informations manquantes.

6. La descendance mâle du Prophète a été un sujet particulièrement goûté de la tradition. Elle ne semble lui accorder qu’un fils. Il fallut donc assigner des frères à Quasim : on est allé jusqu’à les dédoubler ; à prendre pour des noms réels et distincts les épithètes de Tahir (pur), de Taiyb (bon), accordés aux fils de Mahomet par la piété populaire ; à lui supposer des jumeaux, et cela à plusieurs reprises. Ces artifices aboutissent au total de douze enfants et sur le nombre huit garçons. En lisant le Coran, impossible de ne pas être frappé de l’impression douloureuse causée à Mahomet par ses disgrâces paternelles, de ses protestations contre la qualification de abtar (sans postérité mâle). De là la longue série d’anecdotes, nous montrant le Prophète, jusque dans la prière, occupé à s’amuser avec ses petits-enfants.

7. « Obéissez à l’apôtre quand il appelle », dit le Coran. Ce texte a donné naissance à toute une série de hadiths. On y inculque l’obligation d’interrompre, fût-ce la prière, pour accourir au signal de Mahomet. L’obligation a été étendue encore plus loin. Une femme, convoitée par lui, ne peut refuser sa main. Est-elle mariée, son mari doit la répudier. L’Apôtre doit l’épouser de gré ou de force, contre la volonté de la femme et de sa famille. Allah n’a-t-il pas dit 10  : « Les croyants doivent préférer le Prophète à eux-mêmes » ?

L’on peut donc affirmer que la tradition musulmane n’est que très peu fiable et qu’il est impossible de reconstituer la vie de Mahomet à partir de cette seule source. L’on peut en dire autant du Coran lui-même. Il faut procéder à partir de sources extérieures pour reconstruire l’histoire de l’islam.

Conclusion

La tradition islamique (hadith) n’a rien à voir avec la Tradition catholique, donnée par Dieu, et véritable source de la Révélation. Le hadith est une source humaine, fruit de l’imagination, de la passion, de luttes pour le pouvoir, de tentatives de justification, qui aboutit à une vaste supercherie, quelle que soit l’intention de ceux qui l’ont élaborée. Nombre de musulmans plus ou moins sincères y sont fermement attachés, et sont ainsi prisonniers d’un système auto-justificatif très élaboré.

Troisième partie : la charia

Sujet brûlant et actuel dont il n’est pas facile de se faire une idée claire. Il est cependant important de comprendre le sujet avec ses diverses implications, tant au niveau politique, qu’au niveau philosophique (pour ne pas dire religieux).

Survol historique

Le concept renferme des contradictions, manifestes dans l’islam d’aujourd’hui, nées de l’histoire. Classiquement, les sources de la charia sont a) le Coran b) les hadiths (la sunna) et c) la Sirâ. Cette dernière ne se distingue pas adéquatement des deux premières dont elle est à peu près entièrement tirée. Il faut ajouter d) le consensus des savants qui joue un rôle considérable, voire prépondérant. Un peu comme le droit canon, tiré de l’Écriture, de la Tradition et du labeur des juristes catholiques.

Le Coran et la sunna parlent peu d’obligation et d’interdit : c’est la lecture qu’en font les spécialistes qui est déterminante ; ainsi les deux courants principaux de l’islam, chiisme et sunnisme, ou au sein de ce dernier les quatre grandes écoles (malikite, hanafite, chafiite et hanbalite) ne traduiront pas les sources de la même manière dans le langage théologique ou juridique. Remarquons que les savants musulmans ne parlaient pas de charia jusqu’au 19e siècle, voire au 20e siècle ; mais il y avait dès le 9e siècle un droit positif, le fiqh, dans les grandes écoles sunnite et dans le chiisme. La fatwa (consultation) connut un grand essor et fit l’objet de compilations, constituant une jurisprudence.

L’émergence de la charia moderne

Il faut noter l’influence des structures et principalement de l’empire ottoman, lorsqu’une des écoles accéda au statut de doctrine officielle de l’État. Enfin, sous l’effet de la colonisation et la pression des puissances européennes, de nombreux pays s’engagèrent dans une politique de réformes qui aboutit le plus souvent à transformer la loi islamique en droit musulman. Ainsi, l’idée de transformer les normes islamiques en droit, et particulièrement en droit codifié, est le résultat d’une invention assez récente. Elle a été faite par les gouvernants musulmans et les nouvelles élites, qui ont cherché à couler le fiqh (ce qui pouvait l’être) dans le moule du droit positif (napoléonien).

La loi islamique s’est donc trouvée en partie codifiée dans divers domaines et à des degrés divers. Les relations familiales tout spécialement, parce que c’était le lieu où le fiqh intervenait le plus. Les fondations pieuses ou waqf, (pour soutenir les musulmans dans le besoin ou la propagande musulmane). La finance. Mais l’on peut voir encore que les législateurs sont renvoyés à cette loi islamique pour qu’elle inspire leurs travaux.

L’exemple égyptien

En Egypte, l’amendement au deuxième article de la constitution de 1980, stipule que « l’islam est la religion de l’État, l’arabe sa langue officielle et les principes de la sharia islamique la source principale de la législation ». Le contenu de la charia n’est pas donné : c’est la cour constitutionnelle égyptienne, composée de juges formés au droit, et non des savants musulmans, qui est chargée de la préciser. De fait, elle a systématiquement privilégié le droit constitutionnel aux dépens de la loi islamique. Elle a distingué les principes dont l’origine et la signification sont absolus, et les règles relatives qui changent en fonction du temps, selon le principe reconnu par le fiqh, pour limiter les effets de la charia. C’est une source de tension perpétuelle entre les « laïcistes » et les salafistes.

La charia reste un concept flou

Concluons cette approche historique en affirmant que la charia que l’on agite aujourd’hui, soit pour la revendiquer, soit pour la repousser, n’est pas clairement déterminée. De plus, elle est l’objet d’une tension permanente dans les milieux musulmans entre les gouvernements l’ayant codifiée pour l’apprivoiser, et divers mouvements religieux réclamant son application intégrale. Mais elle sert également de cheval de Troie dans la tentative d’islamisation des pays occidentaux ayant accueilli de nombreux musulmans qui réclament de pouvoir vivre selon la loi islamique.

Signification générale de la charia

L’on peut affirmer que tout ce qui est musulman se réfère à la charia, et que ce qui ne relève pas de la charia n’est pas musulman. Elle est réellement une loi intégrale de la vie du musulman et en recouvre tous les aspects.

Le mot désigne la voie qui mène au point d’eau. D’où, par dérivation, il signifie aussi la volonté divine qui mène les hommes sur la voie droite. C’est un système total qui comprend : un droit spécifique (le fiqh), une éthique (la soumission), un comportement spécifique. Mais il faut surtout remarquer ses caractéristiques fondamentales :

1) elle est supérieure à toute loi ;

2) elle abroge toutes les autres lois ;

3) elle est monolithique (on ne peut pas choisir un élément et en rejeter un autre, toutefois l’on y distingue des éléments absolus, valables toujours et partout, et des éléments relatifs, qui peuvent évoluer) ;

4) elle est immuable.

Le contenu de la charia

Elle contient deux genres d’obligations : individuelles, et communautaires à réaliser collectivement.

Les obligations individuelles sont au nombre de cinq : 1. la chahada ou profession de foi qui introduit dans l’islam ; 2. les cinq temps de prière quotidienne ; 3. la zakat ou impôt ; 4. le ramadan ; 5. le pèlerinage à La Mecque (hadj).

Les obligations communautaires sont aussi au nombre de cinq (ou peuvent être ramenées à ces cinq chefs) : 1. avoir des chefs (musulmans) ; 2. avoir des juges (musulmans également) ; 3. le jihad, ou guerre sainte ; 4. le califat, qui désigne un territoire et la population qui y vit, reconnaissant le pouvoir du calife ; 5. ordonner le bien et interdire le mal (à tous les hommes). Une communauté musulmane qui ne possède pas ces éléments ou ne cherche pas à les obtenir, est fautive.

La charia comporte d’autres éléments : obligations rituelles, règles fiscales, commerciales, maritales, règles de succession et de justice, obligations diverses de comportement et de croyance pour les musulmans et les non-musulmans. L’on peut dire que tous les actes du musulman, tant publics que privés, sont soumis directement ou indirectement à la charia. Certaines de ces règles sont incompatibles avec le droit des pays occidentaux, voire illégales ou criminelles.

Quelques exemples…

Par discrimination : une fille n’a droit qu’à une demi-part d’héritage contre une part pour un garçon. Par la destruction de certaines libertés individuelles : règles sur le mariage, interdiction de la conversion. Par l’utilisation et la promotion de l’usage de la violence : la punition du voleur auquel on coupe la main, la mise à mort ce celui qui quitte l’islam, la lapidation de la femme adultère. Enfin par la reconnaissance et la pratique de l’esclavage dans certains pays islamiques.

Ces lois sont pratiquées aujourd’hui. Des pays tels que l’Arabie Saoudite, le Qatar ou encore l’Iran pour ne nommer que les principaux, appliquent rigoureusement la charia. Mais de nombreux autres l’appliquent plus ou moins complètement. Enfin, dans les pays « laïcisés », tels l’Égypte, la Jordanie, la Tunisie, l’Irak ou encore la Turquie, elle n’est appliquée que partiellement. Mais les tendances actuelles vont vers une radicalisation, même s’il faut éliminer, de ce fait, des gouvernants musulmans jugés trop mous : que l’on se souvienne de l’assassinat d’Anouar El-Sadate.

En Occident

De nombreux éléments de la charia ont déjà été introduits : les mosquées, centres de diffusion de l’islam, le voile islamique, la viande hallal qui comporte un impôt versé à des organisations de l’islam, l’Aïd El-Kabîr, la réclamation de juges spécifiques (en Angleterre et au Canada par exemple). Il est important de souligner qu’accepter l’une ou l’autre de ces prescriptions prépare l’introduction complète de la charia, car elle ne peut être divisée. Un élément accepté appelle les autres.

Analyse philosophique de la charia

Certains éléments peuvent être considérés comme positifs, mais c’est accidentel à l’islam et provient généralement de civilisations qui l’ont précédé. La loi islamique est profondément antinaturelle par essence. Il faut se souvenir que la charia est tirée d’un système « religieux » bricolé au moyen d’éléments puisés à diverses sources : paganisme, judaïsme, christianisme. Ce système reflète une certaine philosophie sur Dieu, l’homme et les actes humains, la société. La charia représente un élément important de ce système, car elle fonde tout l’agir, la morale si l’on veut, de l’islam.

Allah est considéré par l’islam comme totalement transcendant. 11 Il ne peut y avoir de comparaison entre Lui et la créature. Cela entraîne l’impossibilité de découvrir aucun attribut divin. 12 Cela entraîne aussi l’impossibilité pour la raison humaine d’expliquer le bien et le mal qui dépendent de la fin ultime, Dieu. Si l’on ne peut rien dire de Dieu, on ne peut connaître cette fin à laquelle tout l’ordre moral est suspendu. Celui-ci se trouve donc exclu du domaine de l’intelligence et de la raison pour être rattaché à celui de la volonté : l’on tombe nécessairement dans un volontarisme pur.

Dans l’islam, nul raisonnement ne peut, ni ne doit nous aider, c’est pourquoi tout doit être donné selon un plan complet. La seule marge est celle de l’application du droit musulman à un cas particulier (fatwa). C’est pourquoi il faut projeter en Dieu le tout de la loi ; mais celle-ci ne se rapporte qu’à la volonté divine, sans que l’on puisse discerner les raisons qui font que « ceci » est bien et « cela » est mal : c’est Dieu qui le veut ainsi. 13 La doctrine se trouve dans une contradiction inextricable : Dieu approuve le bien et réprouve le mal, mais il décide souverainement qui fera le bien et le mal. C’est une morale purement juridique.

Rapport avec la loi naturelle

Cela entraîne un rapport de soumission absolue, une « relation de maître à esclave », vis-à-vis de cette loi. Peut-être objectera-t-on que l’on doit, selon la morale véritable, obéir parfaitement à Dieu. Mais il y a une différence capitale : la loi naturelle nous est donnée comme à des êtres intelligents, raisonnables et libres ; il nous faut la découvrir et l’appliquer selon notre nature et découvrir progressivement la richesse et le déploiement de la loi éternelle dans la vie humaine. Dieu ne nous gouverne pas comme des animaux, mais comme des êtres qu’il associe à la connaissance de sa loi.

Finalement, la loi islamique est entièrement positive, dépendant d’une décision divine absolue, sans lien avec la nature créée, et doit s’appliquer uniformément partout et toujours. L’on pourrait formuler une telle situation sous la forme suivante : la charia ne cherche pas d’abord ce qui convient à l’homme, mais ce qui plaît à Dieu. Il n’y a plus ni bien ni mal par nature, parce que Dieu le veut ainsi. C’est bien ainsi que les musulmans envisagent les choses : il est interdit de scruter la loi islamique pour essayer d’en rendre compte rationnellement (c’est la loi de l’ijtihad). Un certain travail rationnel a été fait dans les trois premiers siècles, mais il est considéré comme totalement achevé.

Conclusion

Tout est fixé et il n’y a aucun progrès possible : le coran et la tradition (le hadith) ont réponse à tout. Il s’agit seulement de faire les applications au cas donnés. Si de nouveaux problèmes moraux surgissent, ils seront ou complètement négligés, ou brutalement refusés. Enfin n’oublions pas que les musulmans ont collectivement la charge d’imposer au monde entier l’ordonnancement de la charia. C’est pourquoi nous avons un devoir politique (en justice) de refuser tout élément de ce système qui est une porte d’entrée pour tout le reste. Et nous avons un devoir en charité de faire ce que nous pouvons pour délivrer ceux qui sont enchaînés dans les ténèbres de l’ignorance et de l’erreur, par les liens de la loi islamique.

 

  • 1Les chiffres entre parenthèses sont des références du Coran donnant la sourate suivie d’un point et les versets.
  • 2Parce qu’elles auraient été dictées à Médine.
  • 3Dictées à La Mecque.
  • 4Date supposée de l’émigration de Mahomet à Médine, fixée en 622, qui sert d’année zéro aux musulmans.
  • 5Notons que l’ayatollah Khomeiny, à son arrivée en Iran, a lui-même apporté un certain nombre de hadiths…
  • 6Louis Massignon, Essai sur les origines du lexique technique de la mystique musulmane, Ed Geuthner, Paris, 1922, p. 103.
  • 7Henri Lammens, Qui était Mahomet ?, Ed. du Trident, 2014.
  • 8Le mot lumière est ici synonyme du Coran.
  • 9Evangile de l’enfance de Mahomet (par comparaison aux évangiles apocryphes de l’enfance de Jésus-Christ).
  • 10Coran, XXXIII, 6, 36.
  • 11C’est le dogme fondamental du tawhid (unicité) : Allah est Un et Seul, Transcendant et Incommunicable.
  • 12Toutefois, par un manque de logique et de rigueur, l’islam en donne un certain nombre.
  • 13C’est d’ailleurs pourquoi Allah prédestine aussi à l’enfer.