Dieu ou l’apostasie (2002)
"Tous errants comme des brebis, chacun suivant sa propre voie." (Is 53,6; i Pe 2, 25) - "Harassés et abattus, comme des brebis qui n'ont pas de pasteur." (Mt 9, 36)
Au cours de la “célébration de la Passion” [1] présidée par le Pape Jean-Paul II à la basilique Saint-Pierre de Rome, et dont l’officiant était le cardinal Ratzinger, l’homélie [2] fut prononcée par le P. Raniero Cantalamessa, prédicateur de la Maison pontificale, connu en particulier pour deux livres majeurs sur le Mystère pascal [3]. Un seul mot peut caractériser cette prédication : apostasie.
On nous dira qu’elle ne vient ni du Pape, ni du Saint-Siège. Certes. Mais elle a été lue devant le Pape et devant celui qui veille normalement à la rectitude de la foi, au cours d’un office liturgique dont ils étaient les officiants principaux.
Dénoncer tout ce qu’il s’y trouve d’erroné serait trop long : nous nous contenterons de relever le plus énorme, si l’on peut encore donner pareil qualificatif tant il paraît lui-même dépassé.
L’interprétant de façon fausse, dans le sens d’une rédemption universelle, le P. Cantalamessa prétend que la prophétie de Notre Seigneur : « J’attirerai tout à moi » [4] ne s’est pas réalisée après 20 siècles. (sic)
Il cherche donc des solutions à ce dilemme et en présente une première : « Qui peut connaître les voies infinies que le Christ crucifié a d’attirer tous les hommes à lui ? Une voie est la souffrance humaine. (…) La douleur est aussi à sa façon un sacrement universel du salut. Mystérieusement donc, toute souffrance, et pas seulement celle des croyants, accomplit ce qui manque à la Passion du Christ. » — Il ne s’agit de rien moins que du naturalisme le plus pur. Ce n’est plus la grâce, c’est un événement naturel qui peut nous valoir le Ciel. C’est oublier la parole de Notre Seigneur : « Venez à moi vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau ». [5]
Une seconde solution s’ouvre par le statut donné aux religions non-chrétiennes, et, là, un abîme s’ouvre sous nos pieds. « La préoccupation pour le moment est de reconnaître aux autres religions une existence non seulement de fait, dans le plan divin du salut, mais aussi de droit, de façon à retenir qu’elles sont non seulement tolérées, mais aussi positivement voulues par Dieu, comme l’expression de l’inépuisable richesse de sa grâce et de sa volonté que tous les hommes soient sauvés. » [6]
Cette préoccupation exorbitante ne trouble aucunement le P. Cantalamessa. Il s’inquiète seulement de ne pas aller “trop loin” en évoquant « le point délicat [qui] est de savoir si cette reconnaissance nous oblige à détacher les autres religions du Christ incarné et de son mystère pascal. » Autrement dit, les religions seraient non seulement légitimes, mais aussi, bien que totalement séparées du Christ, du Verbe incarné, rattachées au Logos, au « Verbe éternel, [à] l’Esprit de Dieu ». Cette inquiétude se synthétise dans la question qu’il pose : « Mais nous devons nous poser une question : pour reconnaître aux autres religions une dignité propre et une existence de droit dans le plan divin de salut, est-il nécessaire de les détacher du mystère pascal du Christ ? » Et il recule, effrayé, devant une telle audace. Il insiste pour que ce rattachement soit préservé : des religions d’origine divine en dehors du catholicisme, oui, mais pas en dehors de Jésus-Christ.
Par un raccourci saisissant et révélateur, il verrait dans l’attitude contraire l’équivalent du jansénisme pour lequel « la mode était aux crucifix aux bras resserrés, quasi parallèles au corps, qui créaient un espace très limité. C’était pour affirmer que le Christ n’était pas mort pour tous, mais seulement pour le petit nombre des élus et des prédestinés. Terrible conviction, que l’Eglise a rejetée péniblement. » — C’est oublier qu’entre l’hérésie janséniste et celle de la rédemption universelle, l’Eglise a toujours enseigné que le Christ a versé son Sang pour tous, mais que tous ne sont pas sauvés, car certains ne veulent pas de la grâce du Christ.
Le thème de la rédemption universelle qui serpente dans tout ce texte, apparaît nettement alors : « Revenons proclamer avec Jean : “Il est victime d’expiation pour nos péchés et pas seulement pour les nôtres, mais aussi pour ceux du monde entier.” (1 Jn 2, 2) “Un est mort pour tous.” (2 Co 5, 15) [7] “Par l’obéissance d’un seul tous seront constitués justes.” (Rm 5, 19) Le courage qu’il faut aujourd’hui pour croire dans l’universalité de la Rédemption du Christ n’est rien à côté du courage qu’il fallait à l’apôtre lorsqu’il écrivait ces paroles. » — Car en effet ce n’est pas du courage qu’il faut, c’est de la foi. Les mots écrits par les apôtres n’ont plus le même sens : ils sont cités pour justifier une pensée qui a rompu avec la Révélation.
C’est ce qui conduit tout naturellement au « pluralisme religieux [qui] ne consiste pas dans le fait de retenir toutes les religions également vraies : cela serait pour tous du relativisme, mais dans le fait de reconnaître à chacun le droit de tenir pour vraie sa propre religion, et de la diffuser par des moyens pacifiques dignes d’une religion. » — Autrement dit, une religion fausse doit avoir le droit de se propager, du moment qu’elle le fait pacifiquement par des personnes qui se trompent de bonne foi. Nous n’avons là que la simple application de Dignitatis humanæ.
Affirmons-le avec force : s’il y a d’autres religions positivement voulues par Dieu, en dehors de la religion hébraïque pour le temps de l’Ancienne Alliance et en dehors du catholicisme pour les derniers temps de la Nouvelle Alliance. Ou alors, l’Eglise, avec tous ses Papes, ses Saints, ses Pères, ses Docteurs, avec toute sa Tradition, l’Eglise nous aurait trompés. Et si l’Eglise nous a trompés, alors Jésus-Christ Lui-même, Dieu et Seigneur, nous a trompés. Mais un Dieu qui nous aurait trompés n’est pas Dieu. Ainsi, de deux choses l’une : ou il n’y a pas de Dieu, ou nous n’avons pas le même Dieu.
1 La cérémonie liturgique du Vendredi Saint.
2 Reproduite en grande partie dans les documents.
3 Ce terme doit être compris au sens de la nouvelle théologie, tel qu’il est exposé dans le livre Le Problème de la Réforme liturgique publié par la Fraternité Saint Pie X.
4 Jo. 12, 32.
5 Mt. 12, 28.
6 Nous soulignons.
7 Le latin comme le grec portent : « beaucoup ».
Père Raneiro Cantalamessa