Dossier spécial : Le voyage du pape en Suisse

Source: FSSPX Actualités

 

La visite du pape à Berne, les 5 et 6 juin, a suscité un enthousiasme considérable, relayé par tous les médias : 14.000 jeunes réunis à la patinoire, le samedi, et 70.000 fidèles assistant à la messe du dimanche. Au terme de ce voyage, se posent quelques questions : quelle est la portée exacte de ces grandes manifestations ? quels en sont les fruits pour la pratique religieuse des jeunes, pour les vocations sacerdotales et religieuses ?

La synthèse de ces deux journées et des déclarations qui y furent faites – telles qu’elles ont été relatées par l’agence Apic – permet d’apporter une réponse à cette interrogation.


La situation religieuse en Suisse

Sur 7,3 millions d’habitants, la Suisse compte 41 % de catholiques, dont 9,1 % d’origine étrangère, 37 % de protestants et environ 5 % de musulmans. 11 % des Helvètes se déclarent aujourd’hui sans confession, alors qu’ils n’étaient que 7,5 % dans ce cas il y a dix ans.

Les catholiques sont donc aujourd’hui, avec plus de 3,5 millions de fidèles, majoritaires dans le pays de Calvin. Mais le protestantisme y conserve une grande influence et les chrétiens vivent un fort "œcuménisme populaire". Il est "parfois imprudent", mais les Suisses estiment "être des pionniers", d’après un prélat romain. Les "agents pastoraux", des hommes et des femmes nombreux en Suisse alémanique, débordent souvent du champ de leur mission empiétant sur celle des prêtres, et ce malgré les rappels à l’ordre de Rome. Par ailleurs, l’hospitalité eucharistique entre chrétiens est une pratique répandue et les réactions défavorables aux récents documents romains sur ce sujet ont été nombreuses.

La grande majorité des catholiques suisses ne se reconnaît plus totalement dans l’Eglise traditionnelle. En dix ans, l’Eglise catholique en Suisse a perdu environ 150.000 fidèles. Composée de nombreux immigrés (un tiers des jeunes catholiques sont étrangers), frappée par l’indifférence, l’Eglise change de visage et les jeunes n’entretiennent plus de rapports institutionnels avec elle.

"Ils connaissent mieux les JMJ! Ils sont parfois dans des mouvements, des groupes de prières. Autrefois, la pastorale des jeunes n’avait pas de contacts avec les mouvements. Aujourd’hui, il y a un dialogue, une unanimité entre les mouvements et les diocèses. Bref, ils sont beaucoup mieux disposés pour accueillir le pape", souligne Mgr Amédée Grab, évêque de Coire et président de la Conférence épiscopale. "Cette rencontre, voulue par les évêques, n’aurait pas eu lieu sans les JMJ précédentes".

Cependant un récent sondage publié par l’Hebdo révélait que quasiment neuf Suisses sur dix veulent l’abrogation du célibat obligatoire des prêtres, partager l’Eucharistie avec d’autres chrétiens, renforcer l’œcuménisme ou donner des droits égaux aux femmes. 76% se déclarent en faveur du sacerdoce des femmes.


Samedi 5 juin, la rencontre avec les jeunes

Dans une Arena pleine comme un œuf – d’après le journaliste de l’Apic -, les t-shirts des participants, de toutes les couleurs, estampillés au slogan de cette 1ère Rencontre nationale des jeunes catholiques de Suisse, "Lève-toi" (Lc 7, 14) faisaient comme une toile impressionniste. Des banderoles étaient tendues au fond et sur les côtés de l’Arena. "Jean-Paul II, nous sommes à tes côtés", "Jean-Paul II , we love you", "Eglise mon amour, Eglise ma mère", "Cher Saint Père, merci d’être venu", "Cristo, non una strada ma la strada", " La joie vient du don", et d’autres encore.

Après le mot d’accueil de Mgr Denis Theurillat, délégué de la Conférence des évêques suisses pour la jeunesse et évêque auxiliaire du diocèse de Bâle, le pasteur Samuel Lutz, président du Synode des Eglises réformées de Berne-Jura-Soleure, prend la parole en commentant le thème de la rencontre: Lève-toi! "C’est ce que nous dit le Christ, à nous tous, à vous catholiques, à nous réformés. Levez-vous! Il ne l’entend pas comme un ordre, comme la sonnerie nerveuse d’un réveille-matin, mais comme une invitation, comme une chance, un appel". - Les Eglises protestantes de Suisse ont cependant décliné l’invitation de la Conférence épiscopale à participer le lendemain à la messe du pape, en raison de l’absence d’hospitalité eucharistique.

Puis, les spectacles s’enchaînent sur scène, sous forme de ballets, de chants, de mime, de clips vidéo, de concert rock et même d’un extrait dansé de la comédie musicale à succès Notre Dame de Paris. Spectacles dont les jeunes catholiques venus de toute la Suisse sont les acteurs, les danseurs, chantant et payant leur tribut à la "modern dance". Ils ont été plus d’une centaine à monter sur scène, dans le but d’illustrer dans un grand show leur espérance et leur foi, applaudis par une assistance bruyante et joyeuse.

Sur les deux écrans, des clips vidéo où alternent questions de société, statistiques, images de la vie et même images de sacrements. La musique rock électrise l’assistance, les décibels crachent. "Où suis-je ? Où est ma place"; "Anorexie pour être belle" ou encore "Je ne vaux rien", certaines de ces préoccupations ont été transposées sur scène. Une chorégraphie d’ensemble se termine sur un appel à Dieu. "Dieu est ici. - Dans la boue du monde ? - Oui".

La salle se chauffe avant la venue du pape, avec trois jeunes des trois régions linguistiques qui assurent la transition entre les spectacles. Sur scène comme dans la salle, on est en jeans. Des milliers de petits cartons de couleur sont tenus en l’air, des ballons éclatent, de petits drapeaux aux couleurs du Vatican, vendus sur place, ou des cantons et des pays d’où proviennent les jeunes - il y a même un grand drapeau albanais - s’agitent dans l’air. Un groupe de rock chrétien "Aquero" entraîne la salle - longs riffs de guitare électrique, saxophones - ça balance… Du bon rock à la gloire de Dieu. La salle reprend en refrain Alléluia. "One more time !".

L’ambiance est très affective, très chaleureuse. Mgr Grab, président de la Conférence des évêques suisses, remercie le pape "d’inciter partout dans le monde à la foi et à l’espérance malgré des difficultés de santé croissantes".

Le spectacle continue avec le pape pour spectateur d’honneur. Après un chœur en vêtements de style biblique, les pieds nus, interprétant le Psaume 8, trois jeunes Suisses des trois régions, deux filles et un garçon, remercient le pape et donnent leur témoignage. "Comment relever l’humanité blessée par ses propres folies?" a demandé la Romande, Elodie Coste. "En Suisse aussi il y a des jeunes dans la détresse, incertains d’avoir un travail et que les images de la torture et de guerre inquiètent" dit Barbara Grossmann, l’Alémanique. Quant au Tessinois, Andrea Cavallini, il a relevé que "l’engagement qui nous est demandé dans tous les domaines de la société a quelque chose d’aliénant, qui ne nous aide pas à vivre pleinement. Le stress et la confusion accroissent la difficulté de vivre aujourd’hui". Puis le jeune homme improvise une petite phrase spontanée, clouant le bec à toute contestation sur l’âge du pape, qui ne figurait pas dans le texte remis à la presse à l’avance: "Saint Père, les jeunes Tessinois vous souhaitent de vivre encore longtemps". Les vivats éclatent longuement. Les trois jeunes viendront tour à tour devant le pape, s’agenouillant et baisant son anneau. Moment touchant de dévotion, pour une fête qui allait se prolonger tard dans la nuit.

Mgr Grab avait remercié Jean-Paul II: "Malgré les difficultés croissantes, vous n’épargnez pas vos forces…" Le président de la Conférence des évêques suisses s’est souvenu de la visite du pape en Suisse en 1984, il y a 20 ans. "Les jeunes qui vous saluent aujourd’hui bruyamment et joyeusement, Très Saint-Père, vous connaissent, vous admirent et vous aiment". Ces jeunes, a-t-il poursuivi, veulent s’engager pour un monde où l’on travaille avec décision pour la paix. Un monde où la dignité de chaque personne et les droits fondamentaux sont respectés. Un monde dans lequel le terrorisme, l’esclavage sous toutes ses formes, la dictature de l’argent, le chauvinisme pourront être vaincus". Et de conclure en demandant au pape de bénir "nos familles, souvent menacées ou éclatées".

"Vous êtes l’avenir de la Suisse", répond Jean-Paul II en s’adressant plus particulièrement aux jeunes, aux acteurs de ces journées. "Je vous le dis à tous, chers jeunes, n’ayez pas peur de rencontrer Jésus". Et il poursuit : "Comme vous, j’ai eu 20 ans. J’aimais faire du sport, du ski, du théâtre. J’étudiais et je travaillais. J’avais des désirs et des préoccupations. Au cours de ces années désormais lointaines, au temps où ma terre natale était dévastée par la guerre et ensuite par le régime totalitaire, je cherchais le sens que je voulais donner à ma vie. Je l’ai trouvé en suivant le Seigneur Jésus".

Puis d’adresser à chaque jeune directement ces paroles sur la famille, le mariage : "Ne te lasse jamais de t’entraîner à la discipline difficile de l’écoute" (…) Ainsi tu pourras fonder une famille, édifiée sur le mariage, ce pacte d’amour entre un homme et une femme… Tu pourras, par ton témoignage personnel, affirmer que, bien qu’il y ait des difficultés et des obstacles, il est possible de vivre en plénitude le mariage chrétien comme une expérience pleine de sens et comme une "bonne nouvelle" pour toute la famille".

En ce troisième millénaire, dit le pape, "vous tous les jeunes êtes appelés à proclamer le message de l’Evangile par le témoignage de votre vie. L’Eglise a besoin de vos énergies, de votre enthousiasme, de vos idéaux de jeunes pour faire en sorte que l’Evangile pénètre le tissu de la société et fasse naître une civilisation de justice authentique et d’amour sans discrimination".

Jean-Paul II invite les jeunes à ne pas suivre les "mirages de la société de consommation", mais à écouter les préceptes de l’Evangile, leur conseillant de ne pas se "laisser aller au désespoir", de "ne pas se laisser absorber par des plaisirs passagers", de ne pas succomber à "l’indifférence et à la superficialité", et de ne pas dériver vers "une affectivité désordonnée", mais de suivre les préceptes chrétiens dans "un monde qui est souvent sans lumière et qui n’a pas le courage des nobles idéaux". "Ce n’est pas le moment de rougir de l’évangile, poursuit-il. "Il est plutôt venu le temps de le proclamer". "Le christianisme n’est pas un simple livre de culture ou bien une idéologie, ni seulement un système de valeurs ou de principes. Le christianisme est une personne".


La réaction des jeunes

Du discours du pape, les jeunes présents retiendront quelques bribes, des passages en français qu’ils ont pu difficilement capter bien que la foule, très respectueuse, ait à chaque fois fait silence quand Jean-Paul II lisait son texte avec peine. "C’était souvent trop difficile à comprendre… On a entendu qu’il a aussi eu un jour vingt ans, qu’il aimait faire du sport, du ski, du théâtre…".



Ils soulignent qu’il est courageux, malgré son âge, d’être venu nous rendre visite. Ils ont entendu que le pape leur a dit de ne pas avoir peur de suivre Jésus… Lui qui a dit "Lève-toi !" au jeune de Naïm qui gisait mort dans son cercueil. Ils savent désormais que ce n’est pas le moment de rougir de l’Evangile, dans un monde trop souvent dépourvu de nobles idéaux, "afin de faire naître une civilisation de justice authentique et d’amour sans discrimination".

"Moi, j’étais étonnée de voir comment la foule acclamait le pape, cette solidarité entre les gens, cette complicité, il y a quelque chose qui passait", lâche Nathalie. "Un ’je ne sais quoi’ est passé", confirme Magalie. Tandis que Baptiste se dit assez impressionné par le personnage: "Il est vieux, on voit qu’il a de la peine à communiquer, mais on a vite vu que c’est lui qui décidait, qui commandait!" Tous ont vu le geste d’autorité de Jean-Paul II, quand son secrétaire a voulu lui prendre des mains les feuilles de son discours. Les oreilles et les yeux encore pleins du spectacle qu’ils viennent de vivre, ces adolescents qui se préparent à la confirmation, échangent déjà des souvenirs.



Toutefois si leur parcours de confirmands – qui dure un an et demi, de septembre 2003 à février 2005, à raison d’une rencontre par mois et de trois sorties, comprenant notamment une excursion au Grand-Saint-Bernard et une autre à Taizé – n’avait pas mis la rencontre de Berne au programme, ils ne seraient pas venus spontanément, avouent-ils. Mais finalement, relève Grégoire, "si Jean-Paul II vient à Berne, si près de chez nous, c’est l’occasion de voir le pape qui est le chef de l’Eglise catholique, et aussi de partager un bon moment, de faire la fête".

Pour ces jeunes, c’est souvent le charisme de l’homme, Karol Wojtyla, qui est fascinant, alors qu’ils entretiennent peu de rapports institutionnels avec l’Eglise. Caroline Descamps, étudiante en anglais à Genève, voit avant tout en Jean-Paul II "l’homme de convictions" et "la force qu’il a de les maintenir", même si elle même ne les partage pas toujours. Pour Camille Moneau, étudiant en sciences à Lausanne, l’enseignement du pape "lui a servi quotidiennement" et il admire ce qu’il a fait pour la chute du bloc de l’Est. Ces deux étudiants ont participé aux JMJ de Rome en l’an 2000, comme de nombreux participants à la rencontre de Berne, qui ne sont pas tous Suisses, mais aussi Allemands, Français, Italiens et aussi Mexicains, pour ne citer que quelques pays. En revanche, c’est la première rencontre avec le pape pour un groupe d’adolescents de 14 ans de Neuchâtel. C’est avant tout l’homme historique qu’ils sont venus voir, "Karol Wojtyla et pas tout ce qu’il y a autour, le Vatican…" Le cardinal Henri Schwery, évêque émérite de Sion, constate : "Aujourd’hui, les jeunes vivent l’Eglise différemment, à travers des mouvements et des rassemblements du type des JMJ. Ils ne connaissent pas toujours bien l’enseignement du pape, ou ne le suivent pas, mais ils admirent la dimension de l’homme".



A la sortie de la rencontre de Jean-Paul II avec les 14.000 jeunes, réunis à la patinoire de Berne, Séverine Borlot, qui est venue de France pour rejoindre des amis suisses, sèche encore ses larmes. "J’ai été très émue de voir et surtout d’entendre le pape", déclare-t-elle. "J’ai été très impressionnée par sa volonté. Malgré sa maladie et la fatigue, il a lu tout son texte et j’ai été très touchée par le message qu’il nous a livré". Quant à Udo Waltman, étudiant à Innsbruck, il a été très impressionné par l’ambiance. "Je ne suis pas un admirateur inconditionnel de Jean-Paul II. Je suis catholique, mais je ne partage pas toujours le message de l’Eglise", dit-il. Cela dit, "c’est un homme extraordinaire, qui aime sincèrement la jeunesse, comme il nous l’a montré ce soir".

Chantal Brun, qui travaillait comme catéchiste dans la paroisse de Bethléem à Berne avant de s’occuper du secrétariat de la Rencontre, admet que ses compatriotes sont souvent réticents vis-à-vis de Rome. "Mais les gens considèrent que Jean-Paul II est une personnalité très populaire. Même quand ils ne partagent pas nécessairement ses opinions, notamment en matière de morale, ils se disent que s’il vient en Suisse, c’est l’occasion d’en savoir plus sur sa personne..." Nombre de jeunes, tout en critiquant clairement sa morale sexuelle, le considèrent par ailleurs comme un témoin de la paix, en raison de son engagement contre la guerre en Irak ces deux dernières années. "En Suisse alémanique, beaucoup apprécient ses positions sur le Moyen-Orient".

De fait, la ferveur de ces rassemblements de masse contraste sensiblement avec l’éloignement de nombreux jeunes de la vie paroissiale, fait remarquer un participant. Pour l’évêque auxiliaire de Lausanne, Genève et Fribourg, Mgr Bürcher, il est clair que depuis longtemps, la paroisse n’a plus l’exclusivité de l’annonce de l’évangile : "Il y a eu l’action catholique, qui existe et qui fleurit encore aujourd’hui, et il y a surtout les nouveaux mouvements ecclésiaux, comme Sant’Egidio, les Focolari, les groupes charismatiques. Les jeunes trouvent auprès d’eux quelque chose qui les touche davantage".


Dimanche 6 juin, la messe

Peu avant 10 h., la papamobile blanche de Jean-Paul II est annoncée, et déjà la foule est sous haute tension. A peine pénètre-t-elle sur la pelouse de l’Allmend de Berne qu’une nuée de servants de messe en aube – garçons et filles confondus – se met à courir dans son sillage pour apercevoir le visage du vieil homme courbé sur son fauteuil. C’est un moment de délire dans la foule.

Les fanions blancs et jaunes du Vatican s’agitent frénétiquement, bientôt noyés par le rouge et blanc, couleurs nationales de la Pologne – et de la Suisse, bien plus discrète -. Surnagent sur la foule ondoyante les damiers de la Croatie, l’aigle noir à deux têtes des Albanais du Kosovo, le drapeau allemand (publicité gratuite pour les JMJ d’août 2005 à Cologne!), les drapeaux du Portugal, d’Italie, du Brésil, et des divers cantons suisses, dont le Tessin, le Valais, Glaris. "Giovanni Paolo ! Giovanni Paolo!", scande la foule à diverses occasions, comme elle applaudira le pape lors des passages marquants de son homélie. Se détachant bien au milieu de la foule, une banderole de Solidarnosc, le glorieux syndicat polonais d’autrefois.

Au cours de son homélie, Jean-Paul II a lancé un appel aux chrétiens à "s’engager pour l’unité" et a réaffirmé sa volonté "d’avancer sur le chemin difficile de la pleine communion de tous les croyants". Il a rappelé que l’engagement pour l’unité des chrétiens était "un appel qui concerne pasteurs et fidèles, qui incite à une conscience renouvelée de leur responsabilité dans l’Eglise". "Toutefois, a-t-il poursuivi, d’une voix claire, il est certain qu’une forte contribution à la cause oecuménique viendra de la volonté des catholiques de vivre l’unité entre eux". "Une Eglise locale dans laquelle fleurira la spiritualité de la communion saura se purifier constamment des ’toxines’ de l’égoïsme, qui engendrent jalousies, méfiances, replis frileux, oppositions nuisibles".



"Chers jeunes amis, sachez que le pape vous aime", leur a-t-il dit. Il leur a aussi rappelé, en ce jour anniversaire du débarquement des troupes alliées en Normandie en 1944, que "la véritable source de grandeur de l’homme" est son "indestructible dignité". Jean-Paul II a également dénoncé les "outrages" faits à l’homme, allusion aux tortures et autres violences, "En définitive, a-t-il poursuivi, tout outrage fait à l’homme constitue un outrage à son Créateur, qui l’aime avec un amour de Père".

Le pape a alors rappelé que la Suisse a "une grande tradition de respect pour l’homme", placée sous la signe de la Croix-Rouge, fondée en 1863 par le Suisse Henri Dunant, pour venir en aide aux victimes des champs de bataille et des guerres. Pour finir, il a rendu hommage à la garde suisse pontificale, qui fêtera en 2005 ses cinq cents ans.

Lors de la prière de l’Angélus qui a suivi la messe, Jean-Paul II a "confié le peuple suisse à la Vierge" ainsi que sa jeunesse, l’appelant à aider les Suisses à "demeurer dans l’harmonie et l’unité entre les différents groupes linguistiques et ethniques qui la composent".

Durant la messe animée par des chants aux rythmes enlevés, les textes et les prières ont été lus dans les langues nationales de la Suisse: français, allemand, italien, romanche, mais aussi en espagnol, portugais et albanais. Les organisateurs souhaitaient ainsi démontrer "l’ouverture de la Suisse au monde". Les jeunes catholiques suisses sont pour un tiers étrangers. De plus, le pape a béni l’eau de quatre fleuves et rivières baignant la Suisse, le Rhin, le Rhône, l’Inn et le Ticino. Avec ces quatre eaux mélangées dans un large bassin, symbolisant la richesse des différences culturelles et linguistiques de la Suisse, le pape a béni la foule.

Enfin, une quête a été organisée au cours de la célébration pour subvenir aux frais de la Rencontre des jeunes catholiques suisses, mais aussi pour venir en aide à des jeunes atteints du sida en Afrique du Sud. Cette collecte se fait en collaboration avec les diocèses de Marianhill et Durban et l’Action de carême des catholiques suisses.









Revue de presse

Le lundi 8 juin, la plupart des quotidiens, romands, alémaniques et tessinois consacrent leur "une" à cet événement. Photos et commentaires accompagnent les reportages les plus divers.

Dans son ensemble, la presse suisse salue "la parole forte" du pape. Jean-Paul II a impressionné par son charisme auprès des jeunes. "La parole forte d’un pape presque inaudible", titre le Quotidien Jurassien. Si le pape est accueilli par les jeunes comme une vedette, "c’est parce qu’il leur propose des valeurs différentes pour un monde plus humain et plus juste", écrit le quotidien de Delémont.

Le Nouvelliste consacre plusieurs articles à l’événement. Le quotidien valaisan estime qu’"après l’accueil fait au successeur de Pierre par la jeunesse suisse, les personnalités catholiques qui lui ont envoyé récemment sa lettre de démission peuvent revoir leur copie".

La Liberté, de Fribourg, et le Courrier de Genève consacrent leur "une" ainsi que trois pages au rendez-vous du pape avec la jeunesse. La Liberté relève le contraste avec la visite de Jean-Paul II en 1984, où les jeunes avaient présenté leurs voeux de réforme de l’Eglise à "un pape conquérant", et celle-ci, où "ils font un triomphe sans ombre à Jean-Paul II". "Sa voix saccadée délivre un message quasiment inaudible. Mais veut-on vraiment l’entendre? N’a-t-il pas déjà tout dit?", s’interroge encore La Liberté qui poursuit : les jeunes venus à la rencontre de Jean-Paul II n’ont pas voulu aborder de sujets qui fâchent "dans cette ultime fête avec grand-papa". Préférant poser sur lui "le regard des fans et des groupies".



Affaibli, inaudible, mais "superstar". A l’image du quotidien vaudois 24 heures, la presse suisse se dit impressionnée du bilan chiffré de ces deux jours: 14.000 jeunes samedi soir à la BernArena et 70.000 personnes dimanche sur la plaine de l’Allmend, pour la plus grande messe de ces 50 dernières années en Suisse. Au final, et peut-être grâce à cette manière de ne pas aborder les problèmes des catholiques frondeurs et des protestants fâchés, écrit 24 Heures, le bilan de ces deux jours est "presque providentiel".

Pour Le Temps, "La magie a opéré une nouvelle fois. Entre le pape Jean-Paul II et les jeunes, il y a un amour durable, sans doute entretenu par l’éclair de la foi". La Tribune de Genève met pour sa part en avant l’aspect de "show à l’américaine", orchestré par un pape promu "idole des jeunes". Selon le quotidien de la cité de Calvin la rencontre a "manqué terriblement de contenu".

Autre quotidien romand, Le Matin accorde une large place à cette visite, et n’hésite pas à se faire critique : "Les adolescents en admiration devant le pape ne connaissent pas tous son conservatisme. Chanter et danser, c’est bien pour donner une image moderne d’une Eglise qui ne l’est pas". Le Matin pose la question : "Le pape écoute-t-il les jeunes?" Pour le quotidien romand, aucune allusion n’a été faite au mariage, au préservatif, et à l’eucharistie refusée aux protestants…

Le Giornale del Popolo, quotidien catholique du Tessin, consacre bien entendu son gros titre et plusieurs pages à cette visite. "Jamais autant de gens ne se sont rassemblés pour un événement de cette portée". Les jeunes fans du pape, peut-on lire, "ont infligé une secousse à la Suisse". Le quotidien de langue italienne souligne aussi le lien paternel qui s’est établi entre le pape et les jeunes.

La presse alémanique ne fait pas exception, qui s’interroge sur le "secret" du vieux pape. Le Bund croit le trouver dans son image de "grand-père sévère mais chaleureux". Pour la MittellandZeitung, Jean-Paul II est "l’un des derniers qui rappellent aux humains que la vie ne peut se résumer à une question de pouvoir et d’argent". Le Tages Anzeiger, de Zurich, met l’accent sur ce qui divise: "Les fossés restent profonds", commente-t-il, à propos de l’"exclusion des Eglises réformées du repas vespéral".

La Neue Zürcher Zeitung, de la Zurich libérale, relate plus discrètement cette visite, sans photo en première page. Elle relève en page intérieure que ce week-end de liesse à Berne était aussi marqué par une interdiction totale de manifester. La Berner Zeitung, quotidien de la capitale helvétique, estime enfin que "les stars et les idoles peuvent aussi fonctionner indépendamment du contenu".

Au cours de la conférence de presse qui suivit la visite du Souverain Pontife, Mgr Amédée Grab fit savoir qu’il gardait de ces deux jours un sentiment de joie, impressionné par l’immense sympathie manifestée par les jeunes au pape. "Un grand moment", a-t-il poursuivi, "fut le repas avec le pape, au Viktoriaheim, où étaient réunis les évêques de sa suite ainsi que les évêques suisses", - les autres membres des délégations prenant leur repas à l’Hôtel Novotel, en face de la Bern Arena. Placé à côté du pape, Mgr Grab a pu parler à Jean-Paul II, qui ne pouvait répondre que brièvement. "Mais son intérêt est toujours présent. Si sa pensée réagit immédiatement à ce qu’on lui dit, il ne peut pas parler dans l’immédiat et s’exprime difficilement".

Quant à Mgr Denis Theurillat, il a fait part de son émotion et s’est dit "reconnaissant envers toutes les personnes et les jeunes adultes qui ont déployé tant de temps et d’énergie pour que réussisse cette fête". De très nombreuses séances ont été nécessaires, depuis janvier 2003 pour mener à bien ces deux jours exceptionnels. Pour l’évêque, responsable du Comité d’organisation, les jeunes, même s’ils n’ont pas tout compris des paroles du pape, sont repartis avec cette invitation pressante : "Lève toi, fais de ta vie quelque chose!". Enfin, il s’est enthousiasmé devant "cet accueil fou", de même que pour l’eucharistie de dimanche: "Cette foule de 70.000 personnes dans ce soleil"… "Nous avons célébré dimanche la beauté de la vie" a-t-il conclu avant de lancer : "Je suis encore comme sur un nuage!"

Répondant à une question, Mgr Amédée Grab a précisé que "la visite du pape était une visite pastorale et d’amitié". "Ce n’était pas un voyage de rappel à l’ordre, ni destiné à appliquer en Suisse les normes de l’Eglise universelle", a-t-il lancé. Les deux délégations, romaine et suisse, n’ont donc pas abordé les sujets qui fâchent. Mais "les évêques suisses devront (le faire), lors de leur visite à Rome ".

Interrogé par l’Apic sur sa réaction face à la prise de position du théologien suisse Hans Küng qui, dans le Blick, a qualifié l’événement de "culte triomphaliste de la personne", Mgr Amédée Grab a répondu: "Nous n’avons pas invité le pape pour lui manifester un débordement d’affection. La manière dont les jeunes veulent accueillir leur hôte est leur affaire. Il n’y avait pas de claque pour l’accueillir! Dans cette espèce d’enthousiasme pour une personne et pour un idéal, certaines formes déplaisent à certains théologiens. Ceux qui protestent contre le culte de la personnalité sont des gens âgés. Si la jeunesse manifeste sa joie, tirons-en une leçon. Ne nous laissons pas gagner par l’aigreur!"

De retour à Rome, le Saint Père a déclaré le mercredi suivant, devant les 10.000 pèlerins réunis place Saint-Pierre, parmi lesquels on remarquait des membres du mouvement bouddhiste Rissho Kosei-Kai du Japon : "Je remercie le Seigneur qui m’a donné l’opportunité de vivre un moment de grand enthousiasme spirituel avec les jeunes suisses".

Au cours de la semaine, dans une lettre rédigée en italien, Mgr Grab exprimait au pape la gratitude des évêques suisses et leur satisfaction pour sa visite : "Saint-Père, nous vous remercions pour votre venue qui a su donner un élan d’espérance et d’encouragement à l’Eglise qui est en Suisse. Malgré les quelques critiques prononcées durant les préparatifs de votre visite, les médias ont eux aussi compris le message central que vous défendez : la force du christianisme ne réside pas dans l’apparence extérieure mais dans la réalité spirituelle qui ouvre de nouvelles dimensions et libère l’homme de l’égoïsme. Il est merveilleux de constater à quels point les médias se sont fait l’écho de votre message évangélique."


Et après ?

L’abbé Pierre-Yves Maillard, responsable du Comité pastoral de la 1ère Rencontre des jeunes catholiques de Suisse, et supérieur du séminaire du diocèse de Sion à Givisiez (FR), est content de constater que les jeunes ont vraiment joué le jeu : près d’un millier d’entre eux étaient déjà à l’œuvre à la veille de la rencontre. Ces jeunes se sont impliqués depuis des mois dans la préparation de la rencontre : la chorale, les chorégraphies, les décors, etc. "Ce n’est pas seulement ce week-end, mais tout le cheminement qui est intéressant… On n’a pas affaire à un feu de paille, une partie d’entre eux s’engageront ensuite dans leur communauté". S’il ne peut pas à ce stade confirmer la mise sur pied régulière d’une telle rencontre nationale, le jeune prêtre pense qu’il y aura "certainement une suite", sans pouvoir encore préciser sous quelle forme. Il est toutefois conscient qu’une grande partie du succès de ce week-end est dû au charisme propre de Jean-Paul II.

Quelle suite ? Le Comité d’organisation n’est pas encore en mesure de proposer des pistes concrètes. "Il n’y a encore aucune proposition sur la table, mais après ce succès, il est évident qu’il doit y avoir un ‘après’ 5 juin 2004", affirme Alexandre Praz du Comité d’organisation de la Rencontre. "Quand on a vu tous les ponts que l’on pouvait créer, que ce soit au niveau des régions de la Suisse, entre les diverses sensibilités ecclésiales, de la pastorale traditionnelle de la jeunesse dans les paroisses aux communautés nouvelles, il faut poursuivre quelque chose". Cette sorte d’"œcuménisme intracatholique" est une première, mais elle montre qu’au-delà des différences, "on partage quelque chose d’encore plus fort qui nous unit, la même foi en Jésus-Christ".