Entretien avec l’abbé Davide Pagliarani, à propos des entretiens théologiques - 2011
Le site internet du district d’Italie de la Fraternité Saint-Pie X a fait paraître le 26 juillet 2011, un entretien avec son supérieur, l’abbé Davide Pagliarani, sur les discussions doctrinales avec Rome. – Propos recueillis par Marco Bongi.
La fin de cet entretien traitait l’Instruction Universae Ecclesiae sur l’application du Motu proprio Summorum Pontificum, dont on trouvera le commentaire de la Maison générale de la Fraternité Saint-Pie X dans DICI n°235 du 19/05/11.
Marco Bongi : Les entretiens théologiques entre la Fraternité Saint-Pie X et les autorités romaines touchent à leur terme. Même si aucun communiqué officiel n'a été encore publié pour le moment, nombreux sont ceux qui, sur la base d'indiscrétions, les commentent en jugeant qu'elles ont échoué. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
Abbé Davide Pagliarani : Je pense que c'est une erreur de considérer que les entretiens ont échoué. Peut-être que ceux qui tirent ces conclusions sont ceux qui s'attendaient à ce que les entretiens aboutissent à un résultat étranger aux finalités des entretiens eux-mêmes. Le but des entretiens n'a jamais été de déboucher sur un accord concret, mais bien de rédiger un dossier clair et précis, qui souligne les positions doctrinales respectives à remettre au Pape et au Supérieur général de la Fraternité.
A partir du moment où les deux commissions ont travaillé patiemment, en traitant sur le fond tous les thèmes figurant à l'ordre du jour, je ne vois pas pourquoi l'on devrait considérer que les discussions ont échoué. Les discussions auraient échoué si, pour une raison absurde, les représentants de la Fraternité avaient rédigé des rapports qui ne correspondraient pas exactement à ce que la Fraternité soutient, par exemple s'ils avaient dit qu'après tout la collégialité ou la liberté religieuse représentent des adaptations au monde moderne parfaitement conciliables avec la Tradition. Bien qu’une certaine discrétion ait été observée, je pense pouvoir dire qu'il n'y a pas de risque que l'on aboutisse à cet échec. Et celui qui ne saisit pas suffisamment l'importance de ce témoignage de la part de la Fraternité et de ce qui est en jeu, pour le bien de l'Église et de la Tradition, inévitablement ne peut que formuler des jugements qui se situent dans d'autres perspectives.
D'après vous, quelles perspectives pourraient être erronées ?
A mon humble avis, il existe une zone traditionaliste, plutôt hétérogène, qui, pour des raisons diverses, attend quelque chose d'une hypothétique régularisation canonique de la situation de la Fraternité.
1) Bien sûr, il y a ceux qui espèrent un effet positif pour l’Église universelle ; et à ces amis que je considère comme sincères, je dirais pourtant de ne pas se faire d'illusions ; la Fraternité n'a pas la mission, ni le charisme de changer l'Église en un jour. La Fraternité entend simplement coopérer, afin que l'Église se réapproprie intégralement sa Tradition, et elle ne pourra continuer à travailler lentement pour le bien de l’Église que dans la mesure où elle continuera à être, comme toute œuvre d'Église, une pierre d'achoppement et un signe de contradiction : avec ou sans régularisation canonique, qui n'interviendra que lorsque la Providence jugera que les temps sont venus. En outre, je ne pense pas qu'une hypothétique régularisation – à l'heure actuelle – supprimerait cet état de nécessité qui dans l’Église continue à subsister, et qui a justifié jusqu'à maintenant l'action de la Fraternité.
2) D'un autre côté, tout à fait opposé, il existe des groupes que je définirais comme conservateurs, dans le sens un peu bourgeois du terme, qui s'empressent de dire que les entretiens ont échoué, en les assimilant à des pourparlers en vue d’un accord : l’intention, mal dissimulée, est de pouvoir démontrer le plus rapidement possible que la Tradition, telle que la Fraternité l'incarne, ne pourra jamais avoir droit de cité dans l’Église. Cet empressement est déterminé non pas seulement par un amour désintéressé pour l'avenir de l’Église et pour la pureté de sa Doctrine, mais plutôt par une peur réelle de l'impact que la Tradition proprement dite pourrait avoir face à la fragilité de positions conservatrices ou néo-conservatrices. En réalité, cette réaction révèle une lente prise de conscience – même si elle n'est pas reconnue – de l’inconsistance et de la faiblesse intrinsèque de ces positions.
3) Mais il me semble surtout détecter l'existence de groupes et de positions qui attendent un certain bénéfice d'une régularisation canonique de la Fraternité, sans pour autant faire leur le combat que mène la Fraternité, tout en en assumant les devoirs et les conséquences. Il existe en effet, dans l'archipel varié du monde traditionaliste, de nombreux "commentateurs" qui, bien qu'exprimant un fort désaccord avec la ligne de la Fraternité, font remarquer avec un grand intérêt le développement de notre œuvre, en espérant qu'il aura des répercussions positives sur leurs positions ou sur les situations locales dans lesquelles ils sont engagés. Je suis impressionné par les fibrillations auxquelles ces commentateurs sont sujets chaque fois que la moindre rumeur affleure sur l'avenir de la Fraternité. Pourtant, je pense que ce phénomène est facile à expliquer.
Pourquoi ?
Il s'agit d'une catégorie de fidèles ou de prêtres qui sont fondamentalement déçus et qui sentent – à juste titre – une certaine instabilité dans leur situation future. Ils se rendent compte que la majorité des promesses auxquelles ils ont cru ont du mal à être maintenues et appliquées. Ils espéraient qu'avec le Motu Proprio Summorum Pontificum tout d'abord, et avec le texte d’application Universae Ecclesiae ensuite, le plein droit de cité et la liberté étaient garantis et efficacement protégés en faveur du rite tridentin ; mais ils se rendent compte que la chose ne se passe pas si pacifiquement, surtout au niveau des évêques. Et par conséquent – malheureusement – si ces groupes s'intéressent à l'issue de l'histoire de la Fraternité, ce n'est pas à cause des principes doctrinaux qui la sous-tendent, ni à cause de la portée qu'il pourrait y avoir pour l’Église, mais plutôt dans une perspective "instrumentale" : la Fraternité est perçue par eux comme une formation de prêtres qui n'ont désormais plus rien à perdre, mais qui, s'ils obtiennent quelque chose d'important pour leur congrégation, créeront un précédent juridique auquel à leur tour eux-mêmes pourront se référer.
Ce comportement, qui est moralement discutable et peut-être aussi un peu égoïste, a néanmoins deux avantages : - avant tout, celui de démontrer paradoxalement que la position de la Fraternité est la seule crédible, dont pourra sortir quelque chose d'intéressant, et à laquelle nombreux sont ceux qui se réfèrent malgré eux ; - le deuxième avantage est de souligner que si la voie doctrinale n'est pas privilégiée, afin de permettre à l’Église de se réapproprier sa Tradition, alors immanquablement on glissera dans une perspective diplomatique, faite de calculs incertains et de résultats instables, où l'on s'expose à de dramatiques déceptions.
Si le Vatican, par hypothèse, offrait à la Fraternité la possibilité de se structurer en un ordinariat dépendant directement du Saint-Siège, comment cette proposition pourrait-elle être reçue ?
Elle pourrait être prise sereinement en considération, sur la base des principes et des priorités, et surtout avec la prudence surnaturelle dont les Supérieurs de la Fraternité se sont toujours inspirés.
Pourriez-vous nous en dire plus ?
Je ne peux que répéter ce qui a déjà été clairement expliqué par mes Supérieurs : la situation canonique dans laquelle se trouve actuellement la Fraternité est la conséquence de sa résistance aux erreurs qui infestent l’Église ; par conséquent, la possibilité pour la Fraternité de s'approcher d'une situation canonique régulière ne dépend pas de nous, mais de l'acceptation par la hiérarchie de la contribution que la Tradition peut apporter à la restauration de l’Église.
Si l'on n'envisage aucune régularisation canonique, cela signifie simplement que la hiérarchie n'est pas encore suffisamment convaincue de la nécessité et de l'urgence de cette contribution. Dans ce cas, il faudra attendre encore quelques années, en espérant une augmentation de cette prise de conscience, qui pourrait croître proportionnellement avec l'accélération du processus d'auto-destruction de l’Église.
"Le peu que nous puissions faire à Rome est probablement plus important que le grand bien que nous pouvons faire ailleurs". Cette phrase est lourde de sens. Elle a été prononcée par Mgr de Galarreta aux ordinations sacerdotales d'Ecône, et elle concerne directement notre district d’Italie. Bien entendu, elle se référait surtout aux entretiens théologiques, mais il est évident que l'image de la Fraternité en Italie, du fait de sa proximité par rapport à Rome, revêt aussi une importance toute particulière. Vous qui êtes le Supérieur de ce district, comment avez-vous perçu cette affirmation capitale ?
Ce que Mgr de Galarreta a dit à Ecône correspond à une conviction profonde de la Fraternité, et cette affirmation me paraît évidente pour une esprit authentiquement catholique : je ne vois là rien de surprenant. Je pense que Monseigneur résume parfaitement l'esprit romain avec lequel la Fraternité veut servir l’Église romaine : faire tout le possible pour que l'Église se réapproprie sa Tradition, à commencer par Rome elle-même.
L'histoire de l’Église nous enseigne qu'aucune réforme universelle, efficace et durable n'est possible, si Rome ne fait pas sa propre réforme et si la réforme ne part pas de Rome.
Sur ces points, de nombreux observateurs extérieurs prétendent qu'il existe une division interne à la Fraternité Saint-Pie X, entre une aile, dite "romaine", plus prête à dialoguer avec les autorités, et une autre aile, "gallicane" celle-là, qui serait hostile à toute approche en direction du Pape. Au-delà de cette simplification excessive, et dans la limite où vous pouvez vous exprimer sur ce sujet, pensez-vous que cette idée est fondée ?
Comme dans toute société humaine, il existe dans la Fraternité aussi des nuances et des sensibilités différentes entre les différents membres. Penser qu'il puisse en être autrement serait un peu puéril. Pourtant je crois que l'on tombe facilement dans les simplifications évoquées ci-dessus lorsque l'on perd la sérénité du jugement, ou lorsque l'on s'exprime en s’appuyant sur des jugements tout faits : on finit alors par créer des partis pour pouvoir y caser sans discernement les uns plutôt que les autres.
Les membres de la Fraternité comprennent clairement que l'identité de leur congrégation est établie sur un axe défini et précis qui s'appelle la Tradition : c'est sur ce principe, universellement partagé au sein de la Fraternité qu'est construite l’unité de la Fraternité elle-même. Et je pense qu'objectivement il est impossible de trouver un principe d’identité et de cohésion plus fort : c'est justement cette cohésion de base sur l'essentiel qui permet aux membres d'avoir des nuances différentes sur tout ce qui est sujet à discussion.
Je crois qu'une certaine impression de non-homogénéité peut provenir de la grande différence des tons que les membres de la Fraternité emploient en des lieux différents, dans des situations différentes, dans des pays différents et surtout face aux positions très diverses et contradictoires que les représentants de la hiérarchie officielle expriment à notre égard et à l'égard de tout ce qui a le goût de la Tradition. La perception de ces données complexes diminue chez ceux qui évaluent les affirmations séparées, en les sortant de leur contexte et en les nivelant on line devant leur écran d’ordinateur. Il s'agit là certainement de considérations dont l'évidence n'est pas immédiate pour l'observateur extérieur.
Texte original italien sur le site du district d’Italie.
(Source : FSSPX.Italie – Traduction française revue MG - FSSPX.Actualités - 14/07/2018)