Entretien du théologien Paul Zulehner avec l’agence Apic

Source: FSSPX Actualités

 

Apic: "Aufbrechen oder untergehen" (Se mettre en marche ou disparaître) est le titre de votre dernier livre, qui aborde le développement de l’Eglise. Si celle-ci ne se met pas en marche vers de nouvelles rives, elle risque de disparaître, pourrait-on dire …

Paul Zulehner: L’Eglise se trouve sous nos latitudes dans une situation de crise de transformation. Il apparaît clairement que la période de confort qu’elle a traversée, durant laquelle l’Etat et la société ont soutenu le christianisme avec tous les moyens culturels possibles, arrive à son terme. Dans cette Europe chrétienne, le christianisme faisait vraiment partie de la vie normale, au point qu’on le considérait comme une évidence culturelle.

Nous vivons maintenant dans un contexte culturel post-chrétien. Cela ne signifie pas que cette culture soit hostile au christianisme, mais elle demande à chaque citoyen de se déterminer. Comme l’a affirmé Karl Rahner, nous sommes passés d’un "christianisme de génération" à un "christianisme par choix".

Dans cette situation, si l’Eglise agit comme si elle voulait pour ainsi dire maintenir l’institution en vie, alors elle se trompe. Car cette forme d’Eglise arrive maintenant à son terme. Lorsque je parle de disparition, je ne veux pas dire que l’Eglise en tant que telle va disparaître, mais nous assistons à la fin d’une certaine forme historique confortable. Elle doit maintenant trouver une nouvelle forme d’existence.

Apic: Cela ne semble pas être facile du tout pour l’Eglise. Dans votre livre, vous affirmez qu’elle a "une manière dépressive de subir la crise, avec presque du plaisir et sans agir" et elle "se plaint de sa situation improductive". Dans l’Eglise, on entonne une traditionnelle litanie de lamentations …

Paul Zulehner: Les gens ont autrefois appartenu à l’Eglise sans se poser de questions, pour ainsi dire de la même façon qu’ils ont "baigné" dans le lait maternel. Le climat social obligeait clairement les parents à aller à l’église en compagnie de leurs enfants.

Si nous évaluons de façon chiffrée ces faits qui appartiennent à l’Eglise du passé, alors apparaît imperturbablement depuis plusieurs décennies la même exclamation: "Quoi? On n’est plus que…"

Nous assistons pour ainsi dire à un processus et nous sommes marqués par ce sentiment: le bateau coule, le nombre de membres diminue, celui des prêtres également, les religieux disparaissent devant nos yeux, les gens deviennent plus âgés. Il est également sûr que le nombre de non-baptisés augmente. A peine la moitié des parents présentent leurs enfants au baptême dans les grandes villes comme Munich ou Zurich. Cela signifie que nous perdons, que nous diminuons. Voilà l’arrière-plan qui justifie ces "lamentations".

Apic: Perdre n’a pourtant rien de drôle ….

Paul Zulehner: Non, et cela correspond bien à l’attitude de "lamentations". Pourtant, partout où la vie se développe, il y a des crises. Et la crise signifie: tu quittes une forme de vie, mais tu réussis à traverser cette crise dès le moment où tu la prends comme une chance en vue d’atteindre des nouvelles rives, en vue d’une vie plus intensive, plus intéressante, d’une vie plus sincère, plus profonde!

Et c’est aussi une chance pour l’Eglise. La forme traditionnelle disparaît et en même temps, la force de l’Evangile faiblit visiblement dans le cœur des hommes. Voilà une chance pour l’Eglise en vue d’un nouveau bond en avant non pas quantitatif, mais qualitatif. Mais on peut aussi rater une chance. Comme dans le parcours de vie d’une personne, lorsqu’un infarctus ne constitue pas une occasion d’adopter un nouveau style de vie, elle va en payer le prix. Et une deuxième alerte conduit souvent à la mort.

Apic: Que doit donc entreprendre l’Eglise, afin que cet infarctus aboutisse à quelque chose de sain?

Paul Zulehner: Le théologien va invariablement prétendre: Si le Seigneur ne bâtit pas la maison, alors tous les responsables bâtissent en vain. Nous sommes certains que l’Esprit Saint est suffisamment présent dans la communauté ecclésiale au point qu’il l’aidera à trouver de nouvelles rives, si elle écoute vraiment ce que Dieu a à lui dire. Le Concile Vatican II a affirmé: Tu dois lire les signes des temps. Tu dois te demander: Qu’est-ce qui préoccupe les hommes? De quoi sont constituées leurs tristesses et leurs joies, leur espérance et leurs peurs? Cela est déjà une première leçon pour l’Eglise.

Nous découvrons dans les nouvelles recherches spirituelles ce qui préoccupe les hommes au-delà des Eglises. Et ensuite, emplis à ras bord de l’Evangile et pleins de bonne volonté, nous allons dire: Que faisons-nous maintenant aux côtés des hommes avec ces questions d’un nouveau genre? Avec ces questions que nous n’avons pas choisies nous-mêmes, mais que les hommes sont venus nous poser …

Apic: L’Eglise ne peut-elle pas apprendre déjà beaucoup à l’écoute de ses propres membres?

Paul Zulehner: Naturellement. L’Eglise doit déjà se mettre à l’écoute des nombreuses personnes que Dieu lui a procurées, les femmes comme les hommes, les vieux comme les jeunes, ceux qui ont suivi une formation comme ceux qui n’en ont pas, les artistes comme les gens ennuyeux. Elle a tout à gagner en écoutant attentivement ce que ces gens peuvent lui apporter à travers leur expérience.

Tout cela nécessite une forte disposition notamment de la part des autorités, afin qu’elles acceptent de ne pas être les seuls canaux de transmission de l’Esprit Saint dans l’Eglise. Cela nécessite également de la part des premiers responsables hiérarchiques, dont je ne remets aucunement l’autorité en question, un énorme esprit d’ouverture et une grande capacité d’écoute du peuple.

Un évêque peut apprendre dans quelle direction il faut aller à travers des signes prophétiques inhabituels. Par exemple lors d’une assemblée de chrétiennes et chrétiens engagés, lors d’un mouvement de protestation ou encore par une singulière histoire qui s’est déroulée dans l’Eglise qui ne plaît à personne ...

(…)

Apic: Il faut donc souhaiter à l’Eglise un peu plus de sérénité dans le déclin …

Paul Zulehner: Dans le sens que si ce sentiment d’humilité est serein, sa mise en route a déjà débuté! Mais actuellement je ne vois que des lamentations. Cela signifie donc qu’il n’y a pas de perspective de mise en route. Je l’observe dans de nombreux lieux de planification, dans les Conférences épiscopales. On est tellement affairé au financement de l’ancienne institution que j’ai l’impression que les perspectives d’avenir sont encore loin.