Espagne : Forte opposition des évêques au gouvernement socialiste
Madrid, le 26 décembre 2004. La Conférence épiscopale espagnole a rendu public un document intitulé "Homme et Femme Il les a créés", dans lequel elle déclare l’homosexualité "intrinsèquement mauvaise du point de vue moral". Elle refuse aux homosexuels tout droit au mariage et à l’adoption. Cette prise de position va à l’encontre d’un projet de loi du gouvernement espagnol autorisant le mariage et l’adoption pour les couples homosexuels.
"On ne peut choisir entre être homme ou femme" affirme la Conférence épiscopale, "la différence sexuelle nous est donnée". Elle considère comme "erroné" le concept d’"orientation sexuelle". Pour l’Eglise en Espagne, "le comportement homosexuel est toujours éthiquement répréhensible même s’il faut juger avec prudence la culpabilité de chacun".
Le gouvernement socialiste de José Luis Rodriguez Zapatero a adopté en octobre dernier un projet de loi autorisant le mariage et l’adoption pour les couples homosexuels, qui devrait entrer en vigueur en 2005. Ce texte constitue un sujet de discorde majeur avec l’Eglise catholique espagnole qui déclare dans "Homme et Femme Il les a créés" : "Il est nécessaire de s’opposer de façon claire et incisive (au projet gouvernemental) de reconnaître légalement les unions homosexuelles". Elle appelle pareillement à "rejeter" le droit à l’adoption par les couples homosexuels qui "ne constituent pas un référent adéquat pour l’adoption".
La critique des évêques espagnols ne s’arrête pas à la question de l’homosexualité. Dans un entretien publiée par ABC, le cardinal Antonio Maria Rouco Varela, président de la Conférence épiscopale, lance une attaque frontale contre le gouvernement de José Luis Rodriguez Zapatero. Il y estime que la position du gouvernement dans les questions liées à l’éducation et à la famille n’est pas admissible d’un point de vue chrétien. Et de relever in fine que le gouvernement espagnol observe une ligne de conduite qui n’est "ni évangélique, ni chrétienne et en contradiction avec les valeurs morales traditionnelles et les droits de l’homme" (sic).
Rome, le 24 janvier 2005. Jean-Paul II invite l’Eglise en Espagne à ne pas céder à "une mentalité inspirée du laïcisme", par crainte d’une restriction de la liberté religieuse.
Recevant une quarantaine d’évêques espagnols dans le cadre de la visite ad limina, le pape a particulièrement insisté sur le domaine social, où "se diffuse une mentalité inspirée du laïcisme", - une "idéologie qui mène graduellement, de manière plus ou moins consciente, à la restriction de la liberté religieuse". Il y a "un risque de relégation de la foi dans la sphère privée, lorsqu’on s’oppose à son expression publique".
Jean-Paul II a également affirmé que "de nouvelles générations d’Espagnols sont en train de grandir dans le contexte social actuel, influencées par l’indifférence religieuse, l’ignorance d’une tradition chrétienne au riche patrimoine spirituel", et sont de surcroît "exposées à une morale permissive". Il a ajouté: "la jeunesse a droit, dès le début de sa formation, à être éduquée dans la foi", précisant: "l’éducation de tant de jeunes ne peut se passer de l’enseignement religieux à l’école". Le pape espère aussi que "l’empreinte de la foi catholique dans la culture espagnole demeure".
Pour lui, cette idéologie laïciste se présente désormais comme "l’unique voie de la rationalisation", ce qui a pour conséquence qu’"une conception intègre de la liberté religieuse" n’est plus envisagée. "On ne peut réduire la liberté religieuse sans priver les hommes de quelque chose de fondamental".
Les propos à l’encontre du gouvernement espagnol et de sa politique sur l’avortement et le mariage gay ne datent pas d’hier. Recevant le 18 juin 2004 au Vatican Jorge Dezcallar de Mazarredo, le nouvel ambassadeur d’Espagne près le Saint-Siège, Jean-Paul II avait rappelé l’importance des valeurs du mariage, de la famille et de la vie dans une Espagne fortement marquée par son héritage catholique. Le 21 juin, le pape avait aussi réitéré ses mises en garde contre le programme politique du Premier ministre espagnol, élu le 14 mars. Dès le début de sa campagne électorale, José Luis Rodriguez Zapatero s’était en effet montré favorable au mariage homosexuel, à la possibilité d’avorter plus facilement, à la suppression de l’étude des religions dans les programmes scolaires, et à plus de liberté dans le domaine de la procréation assistée.
Madrid, le 25 janvier. Le ton n’est pas à l’apaisement entre la hiérarchie de l’Eglise catholique espagnole et le gouvernement de Zapatero. Ce dernier a fermement invité l’Eglise catholique à ne pas s’ingérer dans la sphère publique. Surtout, la division entre catholiques eux-mêmes semble s’amplifier, après les critiques du pape sur la laïcisation de l’Espagne, - des critiques largement commentées, souvent jugées "sévères" par une presse divisée entre "conservateurs" et "progressistes".
La première réaction, dès le 24 janvier, fut celle du ministre espagnol de la Justice Juan Fernando Lopez Aguilar: l’Eglise et le gouvernement sont "deux sphères complètement distinctes dans toute société démocratique". Le gouvernement de Rodriguez Zapatero "fait son travail", avait-il dit, ajoutant: "Le rôle du gouvernement est de prendre l’initiative politique et de répondre d’elle devant les citoyens".
José Bono, ministre de la Défense, catholique pratiquant, est à son tour monté au créneau, le lendemain 25 janvier, malgré son "respect" pour "l’autorité morale" du pape. Il a mis quiconque au défi de trouver un gouvernement en Europe qui traite mieux l’Eglise catholique que le gouvernement espagnol, faisant allusion à la convention qui lie depuis plus de 20 ans l’exécutif et le Saint-Siège sur le financement de l’Eglise catholique espagnole et de l’enseignement religieux. Et de se demander pourquoi l’Eglise était "en permanence obnubilée par le sexe", alors que "le Christ serait aujourd’hui certainement plus préoccupé par ces 25.000 enfants qui meurent chaque jour de faim dans le monde, et par ces guerres meurtrières et contraires au droit international".
"On ne peut pas en permanence critiquer le gouvernement pour son laïcisme. Le gouvernement espagnol n’est pas le prédicateur de la chrétienté", a ajouté José Bono. Pour lui, "la foi n’est pas une chose qu’un gouvernement peu imposer".
Le même jour, 25 janvier, le nonce apostolique en Espagne, Mgr Manuel Monteiro de Castro, a été convoqué au ministère des Affaires étrangères, où il s’est vu exprimer la "surprise" du gouvernement de José Luis Rodriguez Zapatero.
Mgr Manuel Monteiro de Castro a été reçu par le sous-secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères, Luis Calvo Merino. Selon la presse madrilène, le sous-secrétaire d’Etat s’est montré particulièrement surpris de la mention faite par Jean-Paul II du "devoir des pouvoirs publics de garantir le droit à l’enseignement religieux et d’assurer les conditions de son application". Il a rappelé au nonce que l’enseignement religieux est régi par un accord entre l’Espagne et le Saint-Siège, remontant à 1979.
Durant l’entretien au Palais de Santa Cruz, Luis Calvo Merino a exprimé le malaise du gouvernement face aux critiques - qualifiées de sévères - formulées par le pape. Il a néanmoins réaffirmé dans la conversation un « désir de maintenir une entente fructueuse avec l’Eglise", par le biais "d’un dialogue permanent fondé sur un profond respect dans le cadre des accords entre l’Espagne et le Saint-Siège".
Rome, le 26 janvier. Le Vatican a réagi à cette convocation et aux propos du gouvernement. Rome a pris acte "avec satisfaction de la volonté du gouvernement espagnol de garder une entente fructueuse avec l’Eglise à travers un dialogue permanent inspiré par le respect réciproque", a déclaré le porte-parole du Vatican, Joaquin Navarro-Valls.
Le Vatican a également manifesté sa volonté de dialoguer avec le gouvernement espagnol dans un esprit de "respect mutuel" tout en appelant Madrid à une lecture "attentive" de ce discours du pape, perçu comme une critique des autorités socialistes. Joaquin Navarro-Valls a cependant réaffirmé que le discours de Jean-Paul II illustrait bien la position de l’Eglise.
L’intervention du porte-parole du Saint-Siège faisait suite non seulement à la convocation du nonce à Madrid, mais aux déclarations du chef du gouvernement. En effet, José Luis Rodriguez Zapatero avait lui-même réagi, ce 26 janvier, au discours du pape en assurant que l’Espagne vivait aujourd’hui dans un climat où règne "la plus grande liberté religieuse, idéologique et politique jamais connue en Espagne". Il s’était déclaré "profondément respectueux" des opinions du pape, soulignant que les accords avec le Vatican était "scrupuleusement" respectés. Le Premier ministre estimait que Jean-Paul II avait le droit d’exprimer son opinion sur ce que font les gouvernements. Néanmoins il considérait "exagéré" d’affirmer qu’il existe un problème à propos de la liberté religieuse en Espagne.
En guise de conclusion provisoire. Début février, le prêtre d’un petit village d’Andalousie a refusé la communion à un homme vivant avec un autre homme. Au moment où l’ecclésiastique a vu cet homme, âgé de 30 ans, prendre place dans la file pour recevoir la communion, il s’est rendu au micro et lui a demandé devant toute l’assemblée s’il ne s’était pas "marié" en décembre avec un autre homme.
Les deux hommes, Juan Diego Fuentes et Angel Garcia, ont déclaré à la presse qu’ils avaient porté plainte contre le prêtre. "Nous n’avons pas déposé plainte parce qu’il nous a refusé la communion, mais avant tout parce qu’il nous a couverts de honte devant tout le monde", a affirmé Angel Garcia.
Il y a quelques semaines, l’archevêque de Pampelune, Mgr Fernando Sebastian, avait qualifié l’homosexualité de "véritable épidémie". Le prélat, vice-président de la Conférence épiscopale espagnole, avait également affirmé que les homosexuels "pourraient changer leur situation s’ils le voulaient".