Etats-Unis : Un théologien jésuite interdit d’enseignement
Après cinq ans d’enquête, la Congrégation pour la doctrine de la foi a interdit d’enseignement le jésuite américain Roger Haight en raison de "graves erreurs doctrinales". Selon l’agence catholique américaine CNS, la condamnation du Vatican vise le livre Jésus, symbole de Dieu que le Père Haight a publié en 1999. Il y traite de la divinité du Christ, de la Résurrection, de la Trinité et du salut des non-chrétiens.
Une note doctrinale signée du cardinal Ratzinger, a été publiée par l’Osservatore Romano des 7-8 février, à la demande de Jean-Paul II. Elle déclare que le livre du Père Haight contient de "graves erreurs doctrinales contre la foi catholique et divine de l’Eglise". En conséquence, Rome interdit à l’auteur d’enseigner la théologie catholique tant que ses positions n’ont pas été rectifiées de façon à être en totale conformité avec la doctrine de l’Eglise.
L’ouvrage du P. Haight, Jésus, symbole de Dieu, est consacré au dialogue interreligieux ; il y affirme que "la révélation de Jésus enseigne que la grâce de Dieu est opérante dans les autres religions". Affirmer la validité des autres religions, estime le Père Haight, "ne diminue pas la normativité de Jésus-Christ. Et affirmer la normativité du Christ, non seulement pour les chrétiens mais pour tous les êtres humains, ne diminue point la validité des autres religions". Paradoxalement, en 2000, Jésus, symbole de Dieu avait obtenu aux Etats-Unis le prix de la Catholic Press Association, comme meilleur livre de théologie de l’année.
La note du Vatican relève que l’assertion du Père Haight selon laquelle la théologie catholique doit être "en dialogue" avec le monde moderne le conduit à minimiser ou à nier les enseignements centraux de l’Eglise, notamment que la Parole de Dieu existe de toute éternité, que la Parole a été faite chair en Jésus-Christ, que Jésus est de nature divine, que le salut est offert aux hommes par Jésus, et que le Fils et l’Esprit sont des personnes au sein de la Trinité et pas simplement des "métaphores" désignant les actions du Dieu unique.
La Congrégation de la foi critique également l’affirmation du Père Haight selon laquelle - en raison de la conscience moderne pluraliste - on ne peut pas continuer à affirmer que le christianisme est une religion supérieure, ou que le Christ est le centre du plan salvifique de Dieu. La Congrégation déclare qu’en utilisant des phrases comme "Jésus doit être considéré comme divin", le Père Haight laisse entendre que cette affirmation est simplement symbolique, et que "Jésus était un être humain comme nous".
La note du Vatican précise que le Père Haight avait répondu aux demandes romaines en juin 2000, mais ses réponses "n’avaient ni clarifié ni corrigé les erreurs" qui avaient été relevées. Suite à cela, un examen théologique plus approfondi a été entrepris, concluant en 2002 que le travail du jésuite américain contenait de graves erreurs. Le Père Haight a été invité à fournir une explication de ses méthodes et à apporter des corrections au contenu de son travail. Une réponse signée du Père Haight est arrivée au début de l’année dernière. La Congrégation pour la doctrine de la foi l’a considérée insatisfaisante.
Le supérieur provincial des jésuites à New York, le Père Gerald J. Chojnacki, a déclaré que le Père Haight avait remis sa lettre de démission au président de la Weston Jesuit School of Theology en février 2003, et qu’elle avait été acceptée en octobre 2004. "Le Père Haight vit maintenant à New York, où il poursuit ses recherches et ses écrits". - Plus précisément, il enseigne actuellement dans le cadre d’un séminaire théologique protestant, à New York.
En réaction, la Société Théologique Catholique d’Amérique (CTSA) s’est déclarée "profondément peinée" par l’action du Vatican contre le Père Roger Haight. Elle relève que l’ouvrage du Père Haight a rendu un grand service en mettant en avant des questions cruciales qui ont besoin d’être traitées. Le bureau de la CTSA ne nie pas qu’il puisse y avoir des erreurs dans la théologie présentée dans ce livre, et des théologiens admettent qu’ils ont de sérieux problèmes avec le contenu de cet ouvrage. Des points controversés ont d’ailleurs été débattus lors du congrès de la CTSA en 2002, et il s’agissait là, estime la société des théologiens américains, "précisément du type de débat interne et de correction mutuelle qui ont été encouragés par le magistère". Et la CTSA d’affirmer que l’intervention de la Congrégation romaine, dans ce cas, "menace gravement l’authentique processus de critique interne sérieuse et systématique que la Congrégation et les évêques ont longtemps encouragé parmi les théologiens". Pour la Société Théologique Catholique d’Amérique, l’intervention du magistère romain devrait avoir lieu en dernier ressort, uniquement dans les cas où ce processus de correction a clairement échoué.
Pour Roberto S. Goizueta, président de la CTSA et professeur de théologie au Boston College, la note de la Congrégation romaine brouille la frontière entre la théologie et la catéchèse, "alors que la théologie concerne l’exploration créative de la Révélation et de la doctrine de l’Eglise"(sic). A ses yeux, le livre contesté est "une exploration, et le Père Haight ne prétend pas autre chose". William P. Thompson-Uberuaga, professeur de théologie à la Duquesne University de Pittsburgh, et ancien président de la CTSA, s’est dit pour sa part en accord avec le contenu de la note vaticane. Mais il aurait préféré que ce soit la communauté théologique et les jésuites eux-mêmes qui règlent d’abord le problème, selon le "principe de subsidiarité".