Europe : les évêques invitent à voter pour défendre le “projet européen”

Le comité permanent du COMECE en visite à la secrétairerie d'Etat en 2018
A l’approche des élections européennes qui auront lieu en juin 2024, les évêques de la Commission des épiscopats de la Communauté européenne (COMECE) ont publié deux documents. Dans une déclaration commune du 12 mars, ils appellent les citoyens européens à « un vote responsable encourageant les valeurs chrétiennes et le projet européen ».
Cette déclaration a été signée, pour la France, par Mgr Antoine Hérouard, archevêque de Dijon et premier vice-président de la COMECE.Dans le second document, daté du 19 mars, les prélats offrent une « boîte à outils catholique pour les jeunes Européens » (sic).
Cet opuscule d’une dizaine de pages, édité en 13 langues, souhaite permettre aux jeunes de toute l’Europe de s’engager activement dans le processus démocratique. Il vise à encourager la participation électorale, soulignant l’importance de l’engagement civique et le rôle central des jeunes dans la construction de l’avenir de l’Europe.
« Nous encourageons les jeunes à prendre conscience de l’importance de leur vote comme moyen concret de contribuer au projet européen qui est leur avenir », déclare le père Manuel Barrios Prieto, secrétaire général de la COMECE.
Divisé en cinq sections, la « boîte à outils » aborde des sujets tels que la politique, la citoyenneté, le bien commun, l’identité européenne et la pensée critique. Elle incite les jeunes à réfléchir aux aspects éthiques de leur engagement politique en mettant l’accent sur des valeurs telles que la solidarité, la justice et la dignité humaine.
Evêques européens ou fonctionnaires mitrés ?
Dans La Nuova Bussola Quotidiana du 20 mars, Stefano Fontana se demande si les auteurs de ces deux documents sont des évêques ou des fonctionnaires de l’Union européenne. Il rappelle que la COMECE qui a son siège à Bruxelles « est présidée par l’Italien Mgr Mariano Crociata, ancien secrétaire de la Conférence épiscopale italienne, et composée de 24 évêques représentant les conférences épiscopales nationales, quatre d’entre eux faisant office de vice-présidents. »
Et il s’interroge : « Que viennent faire les épiscopats européens à Bruxelles ? Une question qui se pose spontanément à la lecture des deux documents publiés à l’approche du vote, où la Doctrine sociale catholique se fait rare et où les clichés triomphent. »
L’intellectuel italien commente : « Il est notoire que l’Union européenne est en crise et dans un état de grande confusion. La liste de ses méfaits serait très longue. Le président Macron a exprimé la volonté d’inscrire le droit à l’avortement dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, après l’avoir déjà inscrit dans la Constitution française.
« Dans toute l’Union, les agriculteurs manifestent leur dégoût face aux politiques duGreen New Deal voulues par Bruxelles qui, poursuivant l’idéologie climatiste d’un réchauffement attribué à des causes humaines, impose des mesures absurdes et antiéconomiques. Les pays de l’Union, peu ou prou, sont envahis par une migration clandestine incontrôlée tandis que l’islam atteint des pourcentages très élevés dans plusieurs villes, imposant sa civilisation.
« Les institutions européennes défendent et diffusent une culture homogène inspirée par la démocratie relativiste et le subjectivisme narcissique qui tue la famille et les autres dimensions naturelles de la vie sociale avec les “nouveaux droits”… Et la liste pourrait s’allonger… » Stefano Fontana s’étonne légitimement :
« Face à cette authentique perte de repères qui provoque des dérives inquiétantes, les 24 évêques de la COMECE ne savent rien faire d’autre que réaffirmer le bien-fondé du projet européen, en rappelant que des hommes politiques catholiques en ont été à l’origine, inviter les citoyens à participer aux élections.
« Ils invitent à “voter pour les personnes et les partis qui soutiennent clairement le projet européen et dont nous pensons raisonnablement qu’ils vont promouvoir nos valeurs et notre idée de l’Europe, telles que le respect et la promotion de la dignité de chaque personne humaine, la solidarité, l’égalité, la famille et le caractère sacré de la vie, la démocratie, la liberté, la subsidiarité, la sauvegarde de notre Maison commune”. »
L’Europe de « l’apostasie silencieuse »
Pour Stefano Fontana : « L’invitation à voter pour ceux qui soutiennent clairement le projet européen, a pour but de dissuader de voter pour des partis d’opposition, ce que vont faire de nombreux catholiques exaspérés par cette Union européenne. Le respect de la personne humaine est désormais un concept polyvalent et vide de sens puisque même Macron y fait appel.
« Solidarité, égalité, liberté, subsidiarité ne sont que des mots conventionnels et génériques si on ne les éclaire pas à la lumière de la Doctrine sociale de l’Eglise. Dans les traités, par exemple, la subsidiarité est envisagée, mais ce n’est pas celle de la pensée sociale catholique.
« La défense de l’environnement (la “Maison commune”) ne pouvait manquer [de figurer dans cette déclaration], mais que d’idéologie aujourd’hui sur ce point, un brouillard idéologique que les évêques de la COMECE dans leur communiqué ne songent pas à dissiper.
« Enfin, la famille et la vie : mais face aux défis d’aujourd’hui, suffit-il de se limiter à mentionner ces deux mots dans une liste ? Ne fallait-il pas parler un peu plus fort et taper du poing sur la table ? Ce communiqué a toute la saveur d’un texte rédigé par des évêques-fonctionnaires, plus bureaucrates qu’évêques, aseptisés, froids, alignés, timides et craignant de brouiller les cartes disposées sur la table. »
Plus sévère sur le second document épiscopal, Stefano Fontana écrit : « Le kit pour les jeunes est encore plus fade et plus mou. Il se compose de cinq courtes fenêtres, toutes (sauf une) rigoureusement accompagnées de citations de François sur la politique, la citoyenneté, le bien commun et la sauvegarde de la création, l’Union européenne en tant que communauté d’appartenance, l’esprit critique.
« Un jeune lecteur est amené à penser que la Doctrine sociale de l’Eglise est une généralité du genre : “Aimons-nous les uns les autres et participons aux élections”. Aucune question sérieuse n’émerge. […] Il n’y a pas d’évaluation critique du projet européen, ni d’évaluation pour l’avenir. Et surtout, il n’est jamais fait mention de Dieu et du Christ.
« En pratique, de l’eau de rose, avec de nombreuses concessions aux lieux communs inventés par la pensée dominante : l’accusation de “populisme”, l’éloge des “représentants populaires”, la focalisation sur l’utilisation des réseaux sociaux – un sujet qu’il ne coûte rien d’aborder –, l’Union européenne présentée comme une “communauté”, le bien commun réduit à l’écologie, l’action pour le climat, et les jérémiades sur la baisse du taux de participation [aux élections]. Et à la fin, bien sûr, en bons fonctionnaires, les indications pratiques pour voter. »
Une Europe à bout de souffle
Il faut croire que les résultats des prochaines élections européennes inquiètent fortement les évêques autant que les hommes politiques, car les prélats de l’Euregio – qui regroupe les diocèses du Luxembourg, de Trèves (Allemagne), de Metz, Verdun, Nancy-Toul et Troyes (France), de Liège et Namur (Belgique) –, ont, eux aussi, signé une lettre pastorale commune, datée du 8 avril, intitulée : Un nouveau souffle pour l’Europe.
En voici quelques extraits qui manifestent une Europe plutôt à bout de souffle, non plus missionnaire mais démissionnaire. Sur l’islam on peut lire : « Bien sûr, la question des réfugiés et celle d’un islam sur le sol européen pèsent lourd sur le débat. Mais nous croyons qu’il est possible de vivre ensemble, cela est même vital pour éviter et repousser les extrémismes. Pour cela il faut résister à la tentation du repli sur soi. »
Et sur l’arrivée massive de migrants : « Le problème est réel et on n’a pas le droit de le nier. La Méditerranée est devenue un cimetière où sont mortes plus de vingt mille personnes de tous âges qui rêvaient d’Europe.
« Des frères et sœurs migrants nombreux frappent à notre porte : la grande majorité fuit les conditions de vie difficiles et sans avenir, qu’ils connaissent chez eux et sont prêts à braver la mort pour fuir leur situation actuelle et ses impasses. Ils nous bousculent, mais ils contribuent aussi à aider et dynamiser l’Europe. » – Voilà comment la langue de bois politique et la langue de buis ecclésiastique se rejoignent…
Sur le même thème :
(Sources : cath.ch/Nuova Bussola Quotidiana/ECF – Trad. à partir de benoitetmoi/DICI n°443- FSSPX.Actualités)
Illustration : Observercom1, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons