France : Au secours du Concile Vatican II
Enzo Bianch est le fondateur et le prieur laïc d’une communauté monastique interconfessionnelle d’hommes et de femmes, au nord de l’Italie. Il fait partie des invités du cardinal Vingt-Trois aux conférences de carême de Notre-Dame.
L’approche du cinquantenaire du Concile Vatican II (1962-1965) voit se multiplier les initiatives destinées à commémorer l’événement. Toutefois cette célébration ne s’annonce pas nécessairement glorieuse. La raréfaction des vocations et la désertification des églises, due à une chute vertigineuse de la pratique religieuse, n’incitent guère au panégyrique. Il s’agit plutôt de venir au secours du concile sur le mode défensif du type « Vatican II n’avait pas voulu cela », ou « sans Vatican II cela aurait été pire ». Ou plus étonnant encore : « Vatican II n’a pas encore été compris. 50 ans après, il faut toujours se l’approprier ». C’est ce que tentent de faire les évêques français au cours de leur session de formation et les conférenciers du carême à Notre-Dame de Paris.
Quatre cardinaux et une soixantaine d´évêques se sont réunis à Albi, du 22 au 24 janvier 2010, pour leur session annuelle de formation. Celle-ci avait pour objet une « relecture attentive du Concile pour en poursuivre la réception et aider le peuple chrétien à en découvrir la profondeur évangélique », selon les termes du communiqué de presse de la Conférence des évêques de France (CEF). Les nombreuses réformes et transformations survenues après le Concile ont également fait l´objet d´une relecture, et plus particulièrement celles des dix années qui ont immédiatement suivi Vatican II.
Mgr Pierre-Marie Carré, archevêque d’Albi et président de la commission doctrinale de la Conférence des évêques, organisateur de la session, a expliqué : « Le concile Vatican II est celui qui a produit le plus de textes : il faut en dégager les idées maîtresses, ce qui ressortirait si on devait le relire dans trois cents ans ». Et de poursuivre : « Nous commençons à réfléchir aux célébrations du cinquantenaire. Il est important que, nous les évêques, nous nous y préparions, que nous réfléchissions à ce que nous pourrons prendre comme initiatives. »
De son côté, le cardinal André Vingt-Trois, archevêque de Paris et président de la CEF, a organisé les conférences de carême à Notre-Dame sur le thème : « Vatican II, une boussole pour notre temps. Plus de quarante ans après qu’est devenu le concile ? ». Car il s’agit de « sensibiliser les chrétiens à l’actualité et à la pertinence des documents du concile Vatican II ». Et « par ces conférences, poursuit le cardinal, nous voulons offrir à tous des clés de compréhension et d’assimilation de cet héritage, pour en activer la capacité opératoire pour l’Église en ce XXIe siècle ».
Au cours de la première de ces conférences « qui se veulent moins des catéchèses d’édification qu’une aide pour les chrétiens qui s’affrontent à toutes sortes de philosophies et de croyances », Mgr Eric de Moulins-Beaufort, évêque auxiliaire de Paris, déclare qu’à Vatican II, « pour la première fois (c’est nous qui soulignons), parce que le moment en était venu, l’Église décrit à la lumière de la Révélation et de son expérience historique qui est l’homme auquel il a plu à Dieu de s’adresser ‘comme à un ami’ (Dei Verbum n° 2).
C’est cet homme-là, l’homme à qui Dieu parle, qui connaît la tentation de l’athéisme ». Athéisme que le cardinal König a appelé « l’aiguillon du concile ».
COMMENTAIRE : On notera cette affirmation « pour la première fois » ; l’orateur considère en effet que Vatican II a réalisé au XXe siècle ce qu’aucun des conciles qui l’ont précédé n’avait pu faire. Il déclare un peu plus loin : « Pour la première fois depuis sa première croissance, il lui a été possible (à l’Eglise) de se regarder telle que l’a faite la Parole de Dieu qui a pris chair en Jésus et son action à travers les cœurs. Elle s’est trouvée libérée de l’amitié encombrante des princes et des États, libérée du souci d’apporter aux nations leur consistance. Le Concile a donc pu la dégager des formes humaines de société, mais, c’est le point névralgique, non pas en l’isolant, au contraire en l’insérant dans le cours de l’histoire des hommes. Car cette histoire est dans la main de Dieu par delà toute apparence.
C’est à cette profondeur, je crois, qu’il faut entendre le thème de l’« adaptation ». Traduction imparfaite de l’aggiornamento (…) ». Pour Mgr de Moulins-Beaufort, le concile a dégagé l’Eglise des formes humaines de société, tout en l’insérant dans le cours de l’histoire des hommes. En bref, depuis Vatican II, nous avons une Eglise dégagée et insérée ! C’est sans aucun doute un « point névralgique » !
Il essaie de dissiper ce paradoxe par un hymne à la liberté et à la charité : « Aujourd’hui, quarante-cinq ans après la fin du Concile, mieux que jamais nous le savons : notre force pour accomplir ce travail n’est pas à chercher dans des soutiens extérieurs, la pression sociale, la tradition culturelle, la loi de l’État. Elle est dans les ressources cachées de notre liberté habitée par la grâce, heurtée par la Parole de Dieu qui la bouscule et la mobilise, dans la communion de l’Église dans laquelle nous nous portons les uns les autres du premier au dernier des croyants et dans la charité, l’amour, qui nous fait désirer pour chacun de nos frères et chacune de nos sœurs qu’ils puissent goûter un jour la joie de la communion que nous pressentons. Par le concile Vatican II, l’Église s’est en quelque sorte ressaisie elle-même pour agir mieux en vue de l’œuvre de Dieu. » Le « en quelque sorte » est censé atténuer ce que l’affirmation a de foncièrement irrespectueux pour le magistère antérieur au concile, en écho aux déclarations précédentes : « pour la première fois depuis sa première croissance, il lui a été possible (à l’Eglise) de se regarder telle que l’a faite la Parole de Dieu » et « pour la première fois, parce que le moment en était venu, l’Église décrit à la lumière de la Révélation et de son expérience historique qui est l’homme auquel il a plu à Dieu de s’adresser ‘comme à un ami’ ».
Sans jamais citer explicitement les critiques qui émanent des milieux attachés à la Tradition, Mgr de Moulins-Beaufort y fait allusion à plusieurs reprises, mais pour les écarter comme des « préjugés » ou une forme d’ironie déplacée. Il est instructif de noter que le discours à la curie du 22 décembre 2005, où Benoît XVI oppose une herméneutique de la continuité à une herméneutique de la rupture, n’a pas retenu l’attention de l’orateur qui pourtant se proposait de répondre à la question : Vatican II, ancien ou moderne ? Sur ce point, il faut dire que l’invitation d’Enzo Bianchi à la 2e conférence sur Parole de Dieu et Ecritures saintes situe ce carême à Notre-Dame dans une ligne qui n’est pas celle de l’herméneutique de la continuité. En effet, Bianchi est le fondateur et le prieur laïc d’une communauté monastique interconfessionnelle d’hommes et de femmes, au nord de l’Italie, la communauté de Bose. Outre son intérêt pour le dialogue œcuménique, il est connu pour son souci du dialogue avec les religions non-chrétiennes (principalement avec le judaïsme) et ses prises de position sur les problèmes de société. Le vaticaniste Sandro Magister le présentait, en 2007, en ces termes : « Parmi les théoriciens qui interprètent Vatican II comme une ‘rupture’ et un ‘nouveau commencement’, les plus opposés aux décisions pontificales ont été le fondateur et prieur du monastère de Bose, Enzo Bianchi, et l’historien du christianisme Alberto Melloni ».
Par ailleurs, il est intéressant de remarquer que les orateurs parisiens qui se succèdent à Notre-Dame de Paris, ont tous écrit sur le P. Henri de Lubac : Mgr de Moulins-Beaufort (Anthropologie et mystique selon Henri de Lubac, Cerf), le P. Denis Dupont-Fauville qui est intervenu aux côtés d’Enzo Bianchi (L'Eglise mère chez Henri de Lubac, Parole et silence) et le P. Matthieu Rougé qui prendra la parole le 14 mars sur le thème Réformer la liturgie ? (contribution à l’ouvrage collectif Henri de Lubac, la rencontre au cœur de l’Eglise, Cerf). Le P. de Lubac qui fut expert au Concile Vatican II, avait été directement visé par Pie XII dans l’encyclique Humani Generis (1950), après la publication en 1946 de Surnaturel. Etudes historiques, ouvrage que le Saint-Office soupçonnait de modernisme. (Sources : apic/La Croix/CEF - DICI n°211 du 06/03/10)
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