France : le blues du chrysanthème
Un "puits du souvenir" à Colmar
La France des chrysanthèmes cède la place à celle du « puits du souvenir », une urne communautaire collectant les cendres des défunts, ou du « jardin du souvenir », des parcelles vertes où les cendres des défunts peuvent être répandues : en 2023, 45% des Français ont fait le choix de l’incinération, une pratique en augmentation qui témoigne de l’effondrement de la matrice catholique dans l’Hexagone.
Relayée par les grands médias français, la dernière étude du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc) sur les rites funéraires des Français note un recul du sens religieux de la mort dont témoigne le progrès de l’incinération. L’inhumation traditionnelle ne représente plus que 53% des pratiques funéraires, contre 63% en 2014, tandis que la crémation progresse.
« C’est une tendance forte et structurante de notre marché », remarque Sylvestre Olgiati, président de la Chambre syndicale nationale de l’art funéraire (CSNAF) dans les colonnes du Figaro. Et d’ajouter que « la part des décès suivis d’un rite de crémation n’augmente que de 1 point chaque année ; la tendance s’essouffle donc un peu ».
Une baisse des inhumations qui se traduit tout naturellement par une baisse du sentiment religieux envers les défunts : la fréquentation des cimetières est en baisse constante. Ainsi, selon l’enquête du Credoc, en 2024, seul un tiers des Français âgés de 40 ans et plus s’y rendent systématiquement au temps de la Toussaint (34 %).
Un chiffre qui traduit un recul de douze points par rapport à ce qui s’observait en 2009. De manière générale en 2024, 29 % des plus de 40 ans déclarent ne pas se rendre au cimetière ou s’y rendre moins d’une fois par an, contre 21% en 2009.
A côté de la crémation, de nouvelles pratiques importées de l’étranger au nom du dogme écologique sont en train d’émerger dans certains pays d’Europe et arriveront sans tarder en France : telle la « promession », ou plongée du corps dans l’azote liquide afin de le désagréger en fines particules biodégradables garanties sans émission de gaz à effet de serre…
Le sociologue Jérôme Fourquet, dans son dernier ouvrage Métamorphoses, fait lui aussi le constat d’un effacement de la célébration des morts. Pour lui, le recul de l’incinération « va de pair avec la dislocation de la vieille matrice judéo-chrétienne. (…) Longtemps, l’Eglise catholique a été très stricte en la matière. Il a fallu attendre 1963, dans le sillage de Vatican II, pour qu’elle autorise la crémation, jusqu’alors prohibée et proscrite. »
Le chercheur souligne également que l’effondrement de la matrice catholique est concomitant de la disparition d’un monde ancien, de cette France des clochers et des cimetières marquée par un attachement puissant à son territoire natal et son histoire.
Et d’y voir une forme ultime du « processus d’autonomie de l’individu » : une forme du « ni Dieu ni maître » qui se traduit aussi par l’explosion du modèle familial traditionnel et la baisse de la natalité où l’individu contemporain entend être libéré de toute contrainte, notamment corporelle.
Un déclin que l’essor de la fête d’Halloween manifeste en creux, comme on le voit dans les temples de la grande distribution où les chrysanthèmes perdent du terrain : s’il se vend encore en moyenne 165 millions d’euros de chrysanthèmes dans notre pays au moment de la Toussaint – un chiffre en baisse – celui des friandises grimpe à 115 millions sur la même période, sans parler de l’argent dépensé pour se grimer en sorcière ou autre avatar morbide.
Un déclin français que donne à méditer Maurice Barrès qui voyait dans la nation « la possession en commun d’un antique cimetière et la volonté de faire valoir cet héritage indivis ». Un écrivain qui aurait souri si on lui avait dit que cent ans après sa mort la citrouille détrônerait le chrysanthème…
(Sources : Credoc/Le Figaro – FSSPX.Actualités)
Illustration : Le kiosque colmarien