France : les évêques français face à la crise des vocations

Le Figaro du 9 novembre rapporte les propos inquiétants de certains évêques lors de l’assemblée de la Conférence épiscopale, tenue à Lourdes du 2 au 8 novembre. « Quand j'ordonne deux prêtres par an, déclarait le cardinal Philippe Barbarin, archevêque de Lyon, j'en enterre vingt…».
« 40 % des donateurs du denier de l'Église ont plus de 80 ans », reconnaissait Mgr Roland Minnerath, évêque de Dijon. Rien d’étonnant dès lors que, face à ce tableau sinistre, le Père Bernard Podvin, porte-parole de l'épiscopat, note qu’un « phénomène d'usure touche tous les états, prêtres, diacres, laïcs engagés ». Aussi plusieurs évêques ont-ils relevé qu’« un réalisme impitoyable » avait pesé sur leur réunion, comme l’a relaté dans son article Jean-Marie Guénois : « ‘Moins d'idéologies entre nous’, pouvait commenter un évêque. ‘Davantage d'humilité’, avançait un autre. ‘Moins de conflits, plus de réalisme’, tranchait un troisième ». Dans son discours de conclusion, prononcé le dimanche 8, le cardinal André Vingt-Trois, président de la Conférence des évêques de France (CEF), a avoué sans détours : « Nous mesurons chaque jour l'affaiblissement de nos moyens et l'abîme qui sépare nos pauvres ressources de ce qui serait nécessaire. Notre désir pastoral et missionnaire est sans cesse confronté à cet écart, et chacune de nos communautés chrétiennes y est confrontée avec nous ». C’est qu’il n’y a plus que 8.715 prêtres en activité en France - où l’on compte 45.000 clochers – et 1.315 d’entre eux viennent d’un pays étranger.
Comme le relève Philippe Baverel dans Le Parisien du 8 novembre : « La moitié (650) arrive d’Afrique, les autres d’Europe de l’Est (de Pologne notamment) mais aussi du Vietnam, d’Inde… », et de remarquer : « Qu’en l’espace de six ans, le nombre de prêtres étrangers exerçant en France ait doublé en dit long sur l’ampleur de la crise des vocations. Quatre-vingt-dix hommes seulement ont été ordonnés dans l’Hexagone en 2008, contre 101 en 2007 et 94 en 2006 ». Quelles solutions les évêques ont-ils trouvées ? Ils ont d’abord pris connaissance du rapport de leur confrère, Mgr Claude Dagens, évêque d’Angoulême, qui se refuse à organiser des « stratégies pastorales », et propose trois pistes pour renouveler l’Eglise en France : 1. Lancer une réflexion nouvelle sur la notion de « tradition catholique » : « tout comme l'identité nationale, l'identité catholique s'enracine dans le mystère de Dieu» ; 2. « revaloriser l'appartenance à l'Église » en laissant définitivement de côté « le schéma dépassé » d'une « appartenance forcée » à la paroisse. Car aujourd'hui il y a « un désir d'appartenance » sur fond de « mémoire catholique » ; 3. Investir dans la communication, non pas « institutionnelle » mais personnelle : « Je me demande parfois si nous ne sommes pas muets. Comme si nous étions incapables d'exprimer que nous croyons à un Dieu de miséricorde plus fort que tout le mal du monde », déclare l’évêque, membre de l’Académie française.
Les évêques français ont également entendu les interventions de Mgr Dominique Lebrun, évêque de Saint-Etienne, et de Mgr Guy Bagnard, évêque de Belley-Ars. Le premier espère créer des « pôles missionnaires » dans son diocèse où les prêtres vivraient en communauté. Le second a pu expliquer les raisons et les résultats de ses choix pastoraux plus classiques, lui qui a créé un séminaire diocésain à Ars et promu la stabilité du curé de paroisse, non sans essuyer de vives critiques de la part de certains de ses confrères. Au terme de ces débats, le cardinal Jean-Pierre Ricard, archevêque de Bordeaux, avouait que les évêques n'avaient pas encore de « convictions communes sur un scénario type ou un modèle à promouvoir », mais qu'ils savaient que l'organisation actuelle n'était plus tenable. Et le cardinal Barbarin affirmait : « Aucun évêque aujourd'hui ne peut se prévaloir d'avoir ‘la’ solution ». Le cardinal Vingt-Trois ne disait pas autre chose dans son discours de clôture : « Nos échanges de ces jours-ci ne nous donnent pas des modèles transposables, mais ils nous donnent matière à réfléchir sur chacune de nos situations », non sans avoir préalablement écarté la tentation de « nous laisser submerger par les regrets de ce qui était hier une relative prospérité ou par l’angoisse de maintenir à tout prix ce que nous avons connu ». - En clair, il ne doit pas y avoir de retour sur ce qui a été, bien qu’on ne sache pas ce que sera l’avenir de l’Eglise en France, avec un clergé exsangue.
Commentaire
On notera que, sans le dire, les évêques de France ont levé au cours de leur assemblée d’automne ce qui était jusqu’à présent un tabou : la crise vertigineuse des vocations qui pose la question de la survie de l’Eglise en France. Un évêque interrogé en privé, il y a quatre ans, sur ce sujet répondait qu’il avait demandé au cardinal Ricard, alors président de la CEF, de mettre la question à l’ordre du jour. A quoi il lui fut dit que beaucoup d’évêques ne voulaient pas entendre parler de cette crise des vocations parce que cela les déprimait… Il semble donc que les faits et les chiffres soient désormais pris en compte malgré leur effet déprimant sur les têtes mitrées. En revanche, ce qui n’est pas encore envisagé c’est la part de responsabilité que les hommes d’Eglise eux-mêmes peuvent avoir dans cette crise sans précédent. On a constaté à Lourdes l’« indifférence religieuse » contemporaine - ce qui est indéniable -, et l’on a proposé une meilleure « visibilité de l’Eglise », - ce qui est plus que souhaitable. Mais on a oublié de faire un examen de conscience sur quarante ans de pastorale de « l’enfouissement » où les prêtres, sous des habits séculiers, adoptaient le langage et les habitudes de la vie séculière.
L’indifférence religieuse ne s’explique-t-elle pas - au moins en partie - par cette absence de différence, voulue et assumée par le clergé lui-même au nom de « l’ouverture au monde » ? Mais l’enfouissement n’a pas été que vestimentaire, il n’a pas affecté que le vocabulaire et les mœurs des clercs recyclés après le Concile Vatican II. Il y a eu aussi un enfouissement philosophique et théologique, autrement dit une sécularisation de la pensée catholique. Qui a écrit : « Nous acceptons sans hésiter de nous situer, comme catholiques, dans le contexte culturel et institutionnel d’aujourd’hui, marqué notamment par l’émergence de l’individualisme et par le principe de laïcité. Nous refusons toute nostalgie pour des époques passées où le principe d’autorité semblait s’imposer de façon indiscutable. Nous ne rêvons pas d’un impossible retour à ce qu’on appelait la chrétienté » ? - C’était déjà Mgr Claude Dagens, dans son rapport adopté par l’assemblée plénière des évêques en novembre 1996, Proposer la foi dans la société actuelle (Cerf, p. 20). On ne peut que se réjouir de voir les évêques français rompre enfin avec une « pastorale de l’autruche » désastreuse. Mais ne vouloir constater que les faits, sans voir qu’ils sont également les effets d’une cause dont on peut être responsable, c’est s’interdire d’aller à la racine et se condamner à une médecine symptomatique. Celle qui soigne la fièvre sans toucher au foyer infectieux.
(DICI n°205 – 14/11/09 – Sources : Le Figaro/ Le Parisien/ eglise.catholique.fr)