France : Réactions au projet de loi contre les signes religieux ostensibles

Source: FSSPX Actualités

 

L’annonce par le président de la République française d’un prochain texte de loi contre les signes religieux « ostensibles », a provoqué une série de réactions, non seulement en France mais dans le monde entier.

Tout d’abord, dès le 19 décembre, un rappel des exigences de la laïcité, en forme de profession de foi démocratique, par Mgr Jean-Pierre Ricard, président de la Conférence des évêques de France : L’Etat est laïc. Cette neutralité en matière religieuse est l’un des fondements de la démocratie moderne. Elle s’accompagne d’une vigilance pour assurer la liberté de conscience et pour garantir le libre exercice des cultes. Cette vigilance va plus loin que le simple fait de permettre à chacun d’exprimer et de pratiquer sa foi. Elle implique la prise en compte de la dimension sociale et institutionnelle des religions dans la société. Il est de la responsabilité de l’Etat d’assurer le même respect, la même considération à toutes les grandes familles spirituelles. Il le fera en tenant compte de la diversité de ces familles religieuses qui n’ont pas toutes la même histoire, la même conception de Dieu, de l’homme et de la femme, la même façon de vivre les rapports entre les lois religieuses et les lois de la société. Il ne saurait y avoir un traitement indifférencié du "religieux", pas plus d’ailleurs qu’un front commun de défense des religions.

Au Vatican, une critique du cardinal Mario Francesco Pompedda, préfet du Tribunal suprême de la signature apostolique, dans Il Giornale du 21 décembre : "De quelle laïcité parlons-nous ? Je peux comprendre que l’Etat français légifère sur le fait qu’un enseignant, un juriste, un médecin, ou que des membres de l’administration ne manifestent pas leur foi dans leur travail de façon publique et ne se comportent pas de façon partisane selon leur religion d’appartenance. Mais affirmer qu’il faut empêcher les élèves de porter un signe distinctif, symbole de leur croyance, ce n’est pas de la laïcité, c’est de l’aversion contre la foi d’une personne". Le voile islamique serait une menace à la laïcité dans les écoles "s’il provoquait des désordres ou des divisions. Mais à part quelques cas litigieux que les autorités scolaires doivent régler, je ne vois pas pourquoi empêcher celui qui porte une croix chrétienne, un voile islamique ou une kippa juive, de manifester son appartenance à une foi religieuse. Là, on essaie d’envahir un champ privé, avec le risque d’ostraciser telle ou telle religion".

Au Royaume-Uni, une déclaration du chef de l’Eglise anglicane, Rowan Williams, dans son sermon de Noël à la cathédrale de Canterbury, où il a estimé que la décision française d’interdire le port du voile islamique n’était pas un débat propre à la France et qu’elle traduisait une peur séculaire à l’égard de la religion. La proposition d’interdire le port du voile islamique dans les écoles françaises suggère qu’"une certaine nervosité demeure" dès lors qu’il s’agit de laisser son engagement religieux apparaître publiquement

En Allemagne, où le cardinal Lehmann, président de la Conférence épiscopale allemande répond au président Johannes Rau qui avait prôné un traitement égal à l’égard du port des symboles religieux musulmans et chrétiens. Le prélat, dans le magazine Focus, émet des doutes sur le fait que les symboles chrétiens et musulmans soient perçus de la même façon par la population. La croix et l’habit religieux sont considérés comme des "signes religieux de haut rang" dans lesquels on "ne peut voir la plus petite trace de propagande politique". Le voile islamique, par contre, n’est pas en soi un symbole religieux. Le cardinal y voit bien davantage une signification politique. - L’archevêque de Hambourg, Mgr Werner Thissen estime, pour sa part, "incompréhensible que le président Rau traite de la même façon la question du voile islamique et les signes de la foi chrétienne", relate le Hamburger Abendblatt. Alors que le message chrétien prône la réconciliation et la vie commune dans la paix, le message véhiculé par le voile islamique est pour le moins peu clair ».

En Belgique, deux sénateurs ont déposé au parlement un projet de loi interdisant tout signe religieux "ostensible" dans les écoles et administrations. Cette mesure touche le port du foulard islamique, et également celui de la croix. Elle ne concerne pas les écoles privées. Les sénateurs Lizin (socialiste) et Destexhe (Mouvement Réformateur) entendent introduire en Belgique une loi similaire à celle qui est en passe d’être adoptée en France. Ils estiment qu’une telle mesure devient urgente en Belgique. Selon eux, elle devrait protéger les mineurs dans leur développement, maintenir la neutralité de l’Etat et surtout permettre une égalité des droits entre hommes et femmes.

Au Liban, les manifestations d’hostilité à l’égard de la France se multiplient. - La presse hexagonale n’en parle guère.- Des centaines d’écolières ont ainsi manifesté dans les rues de Tripoli contre la décision de Jacques Chirac. Les jeunes filles, rassemblées devant les bureaux du ministère de l’Education à l’appel de l’Amicale des étudiants musulmans, et en coopération avec diverses institutions islamiques, scandaient: "Notre voile est notre liberté!" "Laïcité = Terrorisme", "A bas le terrorisme de la laïcité", pouvait-on lire sur une banderole portée par des étudiantes masquées. S’adressant à la foule, cheikh Ammar Chaabane, un responsable du Mouvement d’unification islamique (MUI, fondamentaliste sunnite), s’est déclaré "très étonné de la position du président Chirac, surtout que nous considérons que les positions de la France sont en faveur de notre pays, notamment en Palestine, et du fait de son hostilité à la guerre en Irak".

A Saïda, plusieurs dizaines d’étudiantes se sont regroupées devant le siège du Rassemblement des ulémas de Jabal Amel (chiite), également pour protester contre la décision de Jacques Chirac. "Interdire le voile est un complot contre l’islam et les musulmans", lisait-on sur une pancarte portée par l’une d’elles, vêtue d’un tchador. "La liberté est bafouée dans le pays de la démocratie", était-il écrit sur une autre pancarte.- Des dizaines d’étudiantes musulmanes avaient auparavant manifesté à Beyrouth, devant le siège de l’ambassade de France, pour protester contre la décision de Jacques Chirac.

Dans le monde arabo-musulman, du président iranien Mohammed Khatami à l’influent cheikh d’origine égyptienne Youssef al-Qaradaoui qui a libre accès à la chaîne très suivie d’al-Jazira, en passant par les muftis des principaux pays arabes, les appels à Jacques Chirac se sont multipliés. Cheikh Qaradaoui a appelé à une mobilisation face à ce projet de loi, exhortant lors du prêche du vendredi les musulmans à adresser des messages au président français pour lui demander de "revenir sur sa décision".

Le mufti de Syrie, cheikh Ahmad Kaftaro, a écrit au président français lui demandant de reconsidérer sa position, affirmant que "la nation musulmane voit dans le voile un des fondements de sa religion". Au Bahreïn, des associations islamiques ont annoncé l’organisation d’un sit-in "imposant" devant l’ambassade de France, au cours duquel sera remise une lettre de protestation au président Chirac.

Le mufti sunnite du Liban, cheikh Mohammed Rachid Qabbani, est allé plus loin évoquant une "haine pour l’islam". Un avis partagé par les Frères musulmans dont le guide en Egypte, Maamoun al-Hodeiby, a mis en garde contre "la haine entre la France et les peuples musulmans" que risque de susciter une telle loi.

En Irak, un dignitaire chiite a appelé à boycotter les produits français pour protester contre la décision du président Jacques Chirac d’interdire le foulard islamique :"Nous condamnons la décision du gouvernement français interdisant le voile islamique et nous nous demandons où est la liberté que la France affirme incarner", a déclaré Sayyed Amer al-Husseini devant plus de 10.000 fidèles rassemblés à Sadr City, la banlieue chiite populaire de Bagdad, indique l’AFP.

En revanche, en Egypte, le cheikh Mohammed Sayyed Tantawi, de l’Université d’Al-Azhar au Caire a affirmé, à l’occasion de la visite du ministre français de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, que les musulmans établis dans des pays non islamiques ne devaient pas s’offusquer de l’interdiction du port du voile dans les lieux officiels. Mais il est le seul, et très contesté par ses coreligionnaires pour cette déclaration.

Alors que ce texte de loi est en cours de rédaction, on peut légitimement se demander quels échos toutes ces réactions du monde arabo-musulman trouveront auprès des 4 à 6 millions de musulmans qui se trouvent en France, sous l’influence des imams locaux.