Irak : Une rescapée de l’attentat de Bagdad raconte

Source: FSSPX Actualités

Le 31 octobre dernier, 53 personnes ont été tuées dans un attentat commis en pleine messe par un commando islamiste dans la cathédrale syriaque catholique de Bagdad, Notre-Dame du Perpétuel-Secours. Des hommes armés de mitraillettes et de grenades ont pris d’assaut l’édifice, retenant en otage l’assemblée durant plus de 5 heures, exécutant sommairement les prêtres et les fidèles, blessant plus ou moins gravement 67 autres personnes.

Un groupe de la mouvance d'Al-Qaïda a revendiqué l'attaque sous le prétexte que l'Eglise copte d'Egypte emprisonnerait des musulmanes dans des monastères de ce pays. Parmi la dizaine de personnes à ne pas avoir eu de blessures physiques, deux sœurs d’une même famille se sont exprimées devant une caméra vidéo, offrant ainsi un témoignage précieux. La télévision irakienne ayant refusé de le diffuser, c’est une chaîne chrétienne libanaise, Télé Lumière du Liban, qui l’a rendu public et placé en libre accès sur Internet.

Nous vous proposons la transcription écrite des propos de cette étudiante d’environ 25 ans qui a perdu son frère et sa mère dans l’attaque. Assise sur un canapé à côté de son père et de sa sœur, très choquée, elle raconte, tant bien que mal, ce qu’elle a vécu durant la soirée du dimanche 31 octobre 2010.

« La cérémonie a débuté à 17 h. A 17h15, après la lecture d’un extrait de la Bible et le début d’une prière, des terroristes ont pris d’assaut l’église. On a entendu des tirs à l’extérieur. Je ne sais pas combien ils étaient exactement mais on s’est éloigné de l’entrée, on s’est rapproché de l’autel avant de se jeter à plat ventre. Quatre hommes sont venus près de nous, ils venaient de pays arabes mais un seul d’entre eux avaient un accent irakien. (…) Ils ont d’abord tué le diacre qui lisait l’évangile. Et puis l’abbé Wasseem est venu pour tenter de calmer la situation. Ils l’ont immédiatement tué en lui tirant dessus. Juste après, ils ont aussi tué l’abbé Thaer qui était au même endroit. 

J’étais venue avec ma sœur, mon frère, ma mère, nous étions tout un groupe de paroissiens. Quand les terroristes sont entrés, tout le monde s’est séparé. Ils ont commencé à tirer sur tout et sur tout le monde. Ils ont tué les gens de façon arbitraire. Et puis ils ont vu la croix… Ils ont crié : ‘Infidèles ! Allah ou akbar !’ L’un d’entre eux était debout, juste à côté de moi, j’ai même senti son arme contre mes pieds. J’attendais qu’il me tue. (…) Mais ce sont les jeunes hommes qui ont tous été tués. Ils n’ont pas laissé un seul jeune homme en vie. Ma mère avait été placée avec d’autres fidèles dans la sacristie. (…) Bien que la pièce soit petite, ils étaient environ 80 personnes (…) Il y avait aussi dans cette pièce l’abbé Raphäel. Ils ont ouvert la porte et lancé des grenades… Et puis l’un des terroristes m’a dit : ‘Vous êtes des infidèles, vous irez en enfer alors que moi, j’irai au paradis.’ Un terroriste, un Syrien, a demandé à ce qu’une femme vienne et appelle avec son téléphone portable. Je me suis levée parce que je ne savais pas quoi faire. Il m’a dit : ‘si tu ne bouges pas, je te tue.’ Je me suis alors déplacée jusqu’à lui. Il m’a mis une grenade dans la main et j’ai parlé au téléphone. C’était la presse.

Il m’a ordonné de dire qu’ils ne nous faisaient rien. Mais comme j’avais très peur, je n’ai pas dit ce qu’il me demandait. Tout le monde était mort, je voyais les cadavres devant moi. Le terroriste a alors dit : ‘On ne va pas vous épargner, vous les chrétiens, vous êtes des infidèles, vous vénérez la croix, mais Dieu est unique, ne vénérez pas la croix !’ Ils ont alors tiré sur la statue du Christ qui s’est effondrée sur le sol. Ils ont tout détruit dans l’église. Et puis le terroriste a tué mon frère alors que son fils de 3 ans était à côté de lui et hurlait : ‘Arrêtez ! Arrêtez !’ Je ne pouvais même pas le prendre dans mes bras… (…) 

L'église Notre-Dame du Perpétuel-Secours le lendemain des attentats.

A côté de mon frère, il y avait aussi une femme qui saignait énormément. Elle a demandé au terroriste : ‘Tuez-moi, s’il vous plaît, ne me laissez plus souffrir.’ Il lui a répondu : ‘Non, souffre, comme ça tu expérimenteras à la fois l’enfer sur terre et après ta mort.’ Et il a répété : ‘Vous êtes des infidèles, Allah ou akbar !’. Et moi, alors, je priais le rosaire, la tête inclinée vers le sol. Un terroriste est venu me demander : ‘Qu’est-ce que tu pries ? Qu’est-ce que tu vénères ? Est-ce que tu vénères le Christ ?’ Et puis, des grenades ont explosé et on a vraiment eu l’impression que l’église allait s’effondrer sur nous. Moi, je ne pensais absolument pas que je survivrais. Je priais comme si j’allais mourir.

C’est Notre Mère qui nous a sauvés. » Dans son édition datée du 12 novembre 2010, Le Figaro publie également des propos qui révèlent la barbarie des assaillants. Une jeune femme raconte : « Ils ont commencé à crier et à nous insulter : “Chiens de chrétiens, vous allez tous mourir car vous êtes des infidèles, vous irez en enfer et nous au paradis ! Allah Akbar!” Ils ont tué tout de suite les personnes du premier rang, puis le prêtre a tenté de s'interposer pour les calmer et il a été exécuté aussi. J'avais quatre de ces terroristes en face de moi. Je voyais leur haine dans leur regard. » 

Au bout d'une heure, ils ont commencé à tuer tous les hommes puis les enfants, mon frère a été emmené puis mitraillé contre le mur. Ils riaient en continuant à nous insulter ! (…) Puis, l'un deux voyant que mon père n'était que blessé, il l'a achevé. Il tentait de protéger mon neveu de 3 ans sous son corps, ils ont pris l'enfant et lui ont tiré une balle dans la tête... (…) Je priais Marie de nous protéger... L'armée est ensuite entrée, les terroristes n'avaient plus de munitions, ni de grenades, ils se sont alors fait exploser. Les détonations étaient tellement puissantes que j'ai cru à un tremblement de terre, que l'église allait nous tomber dessus... Ils étaient le diable, je peux dire que je l'ai vu... » 

Cette prise d’otages a été suivie de nouvelles attaques meurtrières contre les domiciles de membres de la communauté chrétienne à Bagdad, le 10 novembre. Six personnes sont mortes et 26 autres ont été blessées. Selon un responsable du ministère de l´Intérieur, deux obus de mortier et dix bombes artisanales ont visé des habitations chrétiennes dans différents quartiers de la capitale irakienne, entre 4h et 6h du matin. La veille, trois maisons appartenant à des chrétiens à Mansour, dans l´ouest de Bagdad, avaient été la cible d´attentats à la bombe, faisant trois blessés.

Déjà très surveillée sous le régime de Saddam Hussein où l’apostolat et les conversions étaient interdites sous peine de mort, la communauté chrétienne d’Irak vit dans la terreur depuis l'invasion conduite par les Etats-Unis en 2003. Pourtant présente en Irak depuis les premiers temps du christianisme, l’Eglise d’Orient voit ses fidèles quitter chaque jour leur terre natale, passant de 800.000 à 500.000 membres au cours des sept dernières années. « Les gens souffrent tellement de la peur. Il y a de la rage et de la détresse, et ils ne savent pas où se tourner. Je n´ai qu´un message : s´il vous plaît, priez pour nous.

C´est un temps vraiment très difficile. C´est le chaos », a déclaré Mgr Bashar Warda, archevêque chaldéen d'Arbil (nord du pays) à l´œuvre d´entraide catholique internationale Aide à l´Eglise en Détresse (AED). Plusieurs manifestations de soutien ont été organisées en Europe, réunissant des milliers de personnes en Belgique, en Suède et en France qui est le seul pays à avoir accueilli des chrétiens blessés dans l’attaque terroriste. Dans son édition en ligne datée du 15 novembre 2010, le Journal du Dimanche a recueilli le témoignage de certains de ces Irakiens récemment arrivés. Parmi ceux-ci, Najlla, dont le frère, prêtre, est mort alors qu’il lisait l’Evangile : « Dans la rue, c’est horrible, confie-t-elle. On nous oblige à porter le voile. Il y a des enlèvements, des meurtres. Même la vie des enfants à l’école devient impossible. Ils s’y font traiter d’infidèles, les petites filles surtout.

Avant, sous Saddam Hussein, nous étions des citoyens comme les autres. Aujourd’hui, on veut notre mort en Irak. » De son côté, Jamal, dont la mère a été touchée par une balle à l’abdomen, relate une vie quotidienne infernale : « Dans la rue, tu les entends insulter le Christ et la Vierge Marie. On te dit qu’on va te tuer. Qu’on te connaît, qu’on sait où tu habites, où tu travailles. Tu ne peux plus faire confiance à personne. » Dès le 1er novembre, le pape avait réagi, après la prière de l’Angélus, place Saint-Pierre à Rome, lançant un appel pour dénoncer l'attentat : « Je prie pour les victimes de cette violence absurde, d'autant plus féroce puisqu'elle a frappé des personnes sans défense, recueillies dans la maison de Dieu, qui est une maison d'amour et de réconciliation. J'exprime en outre ma proximité affectueuse à la communauté chrétienne, frappée de nouveau, et encourage tous les pasteurs et fidèles à être forts et solides dans l'espérance. » – Dès lors, qu’est-ce que le dialogue interreligieux si les chrétiens n’ont plus qu’à choisir entre la valise ou le cercueil ?

(Sources : apic/Le Figaro/Le Parisien/Le Journal du Dimanche/ Télé Lumière du Liban – DICI n° 225 du 20/11/10)